Les vrais mystères de Paris. Eugène François Vidocq

Les vrais mystères de Paris - Eugène François Vidocq


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de la société de ces établissements, que dans le langage ordinaire, on nomme des tables d'hôtes, société polie, mais assurément très-peu honnête.

      Il y a peut-être à Paris des réunions de ce genre, composées principalement de personnes recommandables, mais ce sont justement celles-là que recherchent les flibustiers en tous genres, car là où il y a des honnêtes gens, il y a nécessairement des dupes à exploiter.

      Les tables d'hôtes dans lesquelles on joue, ne sont pas seulement fréquentées par des escrocs, des grecs et des chevaliers d'industrie, on y rencontre aussi des donneurs d'affaires[230]; ces derniers chercheront à connaître la position, les habitudes de l'individu qu'ils veulent prendre pour dupe, les heures durant lesquelles il est absent de chez lui, et lorsqu'ils auront appris tout ce qu'il leur importe de savoir, ils donneront à celui qu'ils nomment un ouvrier[231] et qui n'est autre qu'un adroit cambrioleur[232], le résultat de leurs observations, cela fait, l'ouvrier prend l'empreinte de la serrure, une fausse clé est fabriquée, et au moment favorable, l'affaire[233] se trouve faite. Il n'est pas nécessaire d'ajouter, que le donneur d'affaires sait toujours se ménager un alibi incontestable, ce qui le met à l'abri des résultats que pourraient amener ses questions hardies et ses visites indiscrètes.

      Viennent ensuite les emporteurs[234], qui sont chargés de lever[235], ce sont ces derniers qui amènent dans les tables d'hôtes où l'on joue, cette foule de jeunes gens sans expérience, qui trouvant là tout ce qui peut les corrompre: le jeu, des vins exquis, une chaire délicate, des amis empressés, des femmes agréables et d'une complaisance extrême, lorsque leur bourse paraît bien garnie, viennent y dépenser leurs plus belles années en folles orgies et en débordements de toute nature.

      La plus suivie et la plus luxueuse de toutes les maisons de ce genre, fut patronnée par un vieux général (un général pour de vrai), mort depuis peu d'années, et dont le nom est souvent cité dans le recueil des Victoires et conquêtes, elle est tenue par une femme que les liens du sang attachent à une comédienne, qui fut, sous l'empire, la plus sémillante, la plus jolie et la moins cruelle de toutes les prêtresses de Thalie. Ce fut dans cette maison que Roman fut conduit. Deux individus que nous avons vu figurer au dîner donné chez Lemardelay, par Alexis de Pourrières, le comte palatin du saint-empire romain, et son digne ami qu'il avait rencontrés par hasard, furent ses introducteurs.

      Roman était assez expérimenté pour apprécier au premier coup d'œil, la valeur morale des individus qui composaient la masse des habitués de cette maison; mais ses introducteurs qui croyaient avoir mis la main sur un oiseau qu'il serait facile de plumer, lui firent tant de politesses, qu'il ne put se dispenser d'accepter un souper fin à la Maison dorée.

      Le bon vin, le café et les liqueurs ayant mis les convives en belle humeur, le comte palatin du saint-empire romain lui demanda ce qu'il pensait de la maison dans laquelle il avait été conduit.

      —Voulez-vous que je vous parle avec franchise? répondit-il.

      —Vous nous ferez plaisir.

      —Défunt mon pauvre père m'a dit souvent qu'il y avait dans Paris, une foule d'individus qui conduisaient les riches étrangers dans des maisons de jeux tenues par des femmes galantes, afin de pouvoir les dépouiller à leur aise. Je suis bien loin de croire que vous êtes des individus de ce genre; mais je crois que la maison dans laquelle vous m'avez mené, n'est pas très-catholique.

      —Cependant le général...

      —Le général me fait l'effet d'un vieux voltigeur du camp de la Lune.

      —Mais les dames de la compagnie ne vous ont-elles pas paru aimables, jolies et spirituelles?

      —Oh! vous leur accordez beaucoup trop de qualités, elles ne sont aimables que lorsqu'elles gagnent; jolies, elles l'ont été peut-être; quant à leur esprit, il ne m'a pas été permis d'en juger.

      —Ainsi, mon cher monsieur, cette maison ne vous convient pas.

      —Non, cher comte, et si vous ne pouvez m'indiquer quelque chose de beaucoup mieux, je serai forcé de garder dans mon portefeuille les quelques billets de mille francs que j'étais déterminé à perdre.

      —Le gouvernement en faisant fermer les anciennes maisons de jeu, a commis un abus de pouvoir intolérable, dit le comte palatin qui avait renoncé à l'espoir de tirer quelque chose de sa nouvelle connaissance; mais puisque vous êtes si fort tourmenté de l'envie de jouer, pourquoi n'allez-vous pas chercher le remède de vos maux dans le lieu où il existe?

      —Vous voulez sans doute m'envoyer bien loin, dit Roman.

      —Comment! vous ne savez pas, répondit le comte palatin, que le digne monsieur Bénazet a transporté sur le territoire hospitalier du grand-duché de Bade ses tapis verts, ses râteaux et ses croupiers, et que l'impôt qu'il paye au souverain de ce pays, forme la partie la plus claire du revenu du prince Léopold.

      —Je le savais, mais je n'y pensais pas, s'écria Roman qui partit avec la rapidité d'une flèche, après avoir souhaité le bonsoir à ses deux compagnons.

      Roman, lorsqu'il quitta le comte palatin et son ami, était déterminé à aller tenter la fortune à Baden. Comme tous ceux qui se laissent dominer par la passion du jeu, il n'attribuait pas à un hasard qui pouvait bien ne pas changer, les nombreuses pertes qu'il venait de faire, il n'accusait que sa maladresse, et il était aussi persuadé qu'il est possible de l'être, qu'une martingale qu'il venait de combiner amènerait la ruine de la banque. Après avoir fait les préparatifs de son départ, préparatifs qui ne lui prirent pas un temps considérable; car, ainsi qu'il a été facile de s'en apercevoir, il était ennemi du faste et des grandeurs, Roman alla voir Salvador qu'il trouva dans son hôtel du faubourg Saint-Honoré, entouré de toutes les recherches du luxe, et d'une foule de fournisseurs, marchands de chevaux, carrossiers et tapissiers, dont il soldait les mémoires.

      —Ainsi tu ne renonces pas à cette funeste passion? dit Salvador à son ami, lorsque celui-ci lui eût fait part de son projet.

      —Mon cher ami, l'amour du luxe et des jolies femmes, l'ambition et l'orgueil constituent une passion aussi coûteuse au moins que celle du jeu.

      —Tu as peut-être raison; mais qu'y faire? Nous obéissons à notre destinée, et nous arriverons probablement au même but après avoir suivi une route différente.

      —Allons, encore ces folles idées; je te quitte: je n'aime pas à entendre parler de ce que l'avenir me réserve; adieu, mon ami.

      —Adieu, et fais en sorte de revenir millionnaire.

      Roman, avant de quitter Salvador, lui demanda cinquante mille francs, avec lesquels il voulait, disait-il, tenter la fortune une dernière fois. Salvador, qui de son côté, avait fait d'énormes dépenses pour monter sa maison et celle de sa maîtresse, qui plus que lui, peut-être était dominée par un amour effréné du luxe, et qui ne pouvait se dissimuler, que les droits de son complice, sur l'héritage sanglant d'Alexis de Pourrières, étaient au moins égaux aux siens, lui remit cette somme, sans se permettre d'autres observations que celles qu'il lui avait déjà faites à Pourrières, et les deux amis se quittèrent en apparence satisfaits l'un de l'autre.

      Il n'en était rien cependant. Salvador s'était peu à peu habitué à ne considérer son complice que comme un subalterne, et ce n'était pas sans éprouver un vif sentiment de contrariété, sentiment, dont après quelques instants de réflexion, il reconnaissait l'injustice, mais auquel il obéissait à son insu, qu'il le voyait agir avec indépendance. Roman, pour sa part, ne voyait pas avec plaisir la liaison qui existait entre son ami et Silvia, et il trouvait assez peu convenable, qu'une fortune, qui ne devait appartenir qu'à deux individus, fût devenue la proie de trois.

      Salvador, après le départ de Roman, fut pendant quelques jours soucieux et taciturne. Silvia saisit cette occasion pour tâcher d'apprendre quelque chose.

      —Pourquoi donc? dit-elle à son amant, ce bon monsieur Lebrun vous a-t-il quitté; vous l'avez sans doute renvoyé sans motifs; vous


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