Les vrais mystères de Paris. Eugène François Vidocq

Les vrais mystères de Paris - Eugène François Vidocq


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une sorte d'affectation dont Salvador saisissait parfaitement l'intention, mais dont il ne voulait pas avoir l'air de s'apercevoir; et comme il lui faisait observer que son intendant ne s'était absenté que pour terminer quelques affaires, et qu'il serait de retour dans quelques jours, Silvia fit semblant de ne pas le croire.

      —Si vous voulez me dire où il s'est retiré, continua-t-elle, je me charge de le faire revenir sans blesser en rien les convenances. De grâce, mon ami, accordez-moi cette faveur. J'aime beaucoup monsieur Lebrun, et si je ne dois plus le voir près de vous, je vous assure que cela me fera beaucoup de peine.

      Toute l'adresse diplomatique de Silvia, échoua contre la réserve de Salvador, et cette fois encore, elle dépensa sans obtenir de résultats, tous les trésors de son éloquence.

      Une chaise de poste, attelée de deux vigoureux chevaux, attendait Roman à la porte de l'hôtel de Salvador. Le misérable se berçait de si étranges illusions; il était si bien convaincu de l'infaillibilité des calculs auxquels il avait soumis la chose la moins susceptible d'être calculée, le hasard, qu'il aurait voulu pouvoir franchir d'un seul bond, l'espace qui le séparait des tapis verts de Baden-Baden, et que la seule crainte qu'il éprouvait était celle qu'un autre, plus diligent que lui, et possesseur d'un secret semblable au sien, n'arrivât avant lui et ne fit sauter la banque de l'administration des jeux, qu'il regardait déjà comme sa propriété.

      Après avoir traversé le Rhin sur un pont de bateaux, on arrive à Bischofshein, première poste sur la grande chaussée de Rastadt et de Francfort, dont un embranchement conduit à Baden-Baden.

      Cette route est d'abord aussi monotone qu'un sentier tracé au milieu des guérets de la Beauce, ou des plaines crayeuses de la Champagne Pouilleuse; elle est étroite, sablonneuse, et se prolonge à travers une ligne interminable de peupliers, et la rive droite du Rhin, qu'on entrevoit de temps à autre.

      Ce n'est qu'après avoir traversé Stollhofen que le paysage change d'aspect, et que la route, jusque-là monotone, change tout à coup et offre à la vue des collines couronnées à leur sommet par des villages ou de simples hameaux, dont la pierre blanche contraste avec le vert éclatant d'une végétation vigoureuse, couvertes à leur pied de vignes, de vergers, et de riches moissons, et dominées par les sommets bleus d'une chaîne de hautes montagnes qui se confondent à l'horizon avec la cime toujours verte des sapins de la Forêt-Noire; forêt dont le nom rappelle à la mémoire une foule de vieilles chroniques, d'antiques traditions de mélodrames oubliés et de refrains populaires.

      Cette longue et sombre chaîne de hautes montagnes court parallèlement au Rhin depuis les frontières du nord de la Suisse jusqu'à l'Enz, près Pforzheim, et renferme dans son sein un nombre considérable de belles vallées. C'est dans la plus belle de ces belles vallées qu'est située la petite ville de Baden-Baden, à deux lieues de Rastadt, où furent assassinés les plénipotentiaires français en 1793, et à sept de Carlsrhue, capitale des Etats du grand-duc de Bade.

      On arrive à Baden-Baden par une chaussée bien entretenue, tracée au milieu d'une riche prairie, bornée à droite par des champs couverts de riches moissons et de magnifiques vignobles, et les villas éparses des plus riches habitants de la ville, à gauche par des bois de sapin, de fortes masses de rochers et les ruines pittoresques du vieux Burg, berceau de l'antique maison des margraves de Bade.

      Au centre, au bout de cette chaussée, est située l'ancienne Civitas Aurelia Aquensis, bains de l'empereur Aurélien, aujourd'hui Baden-Baden, nom que les Allemands lui donnèrent vers le milieu du septième siècle, et le château que les margraves, que jusqu'à cette époque, la nécessité d'être toujours en garde contre les attaques imprévues avaient forcé de résider au Burg, firent bâtir vers le commencement du treizième siècle.

      Ce château a éprouvé des fortunes diverses. Il ne fut achevé qu'en 1417. Rebâti sur un meilleur plan par les soins du margrave Philippe de Bade, et complétement achevé en 1579, il fut peu de temps après incendié et complétement dévasté par les généraux français forcés d'obéir aux ordres qu'ils avaient reçus de l'impérieux Louvois; mais on le rétablit bientôt dans l'état où il existe maintenant.

      Une route large et commode, construite par les soins du grand-duc actuellement régnant, conduit à ce château, qui, à part sa position, qui est magnifique puisqu'elle domine au loin toute la contrée, et ses souterrains, n'offre rien de bien remarquable.

      C'est dans ces souterrains que, suivant quelques savants, se tenaient les séances d'un tribunal de francs-juges, semblable à ceux qui existaient à la même époque en Westphalie et dans plusieurs autres contrées de l'Allemagne.

      Ces souterrains sont formés d'une suite de voûtes profondes sous lesquelles on entre par la tour de l'angle droit du château, après avoir descendu un escalier à vis et passé près d'un ancien bain à nager de style romain, et deux cuves de pierres incrustées l'une sur l'autre dans le mur, à l'entrée des souterrains. Après avoir descendu encore deux degrés, on entre dans une allée courbe et étroite, haute de sept pieds et longue de six, qui conduit dans un vestibule d'environ seize pieds de diamètre; après ce vestibule, on parcourt plusieurs autres allées de différentes longueurs, dont une dans les murs de laquelle on remarque, à gauche, deux lignes parallèles de trous, et à droite, six soutiens de bancs en pierre, mènent à une salle à laquelle la tradition a conservé le nom de chambre de la question, à cause sans doute de plusieurs anneaux de fer encore scellés dans le mur; après la chambre de la question est une voie étroite fermée par une porte à trappe. C'est là qu'existait le fameux cachot du baiser de la Vierge; s'il faut en croire ce que rapporte la tradition, lorsqu'un criminel s'approchait de la fatale trappe, elle s'ouvrait subitement et il tombait entre les bras garnis de lames tranchantes d'une statue mobile de la Vierge. On découvrit dans ce cachot, il y a quelques années, des débris de vêtements, des ossements, des fragments de roues garnies de lames tranchantes, et plusieurs autres objets qui avaient sans doute appartenu aux malheureuses victimes du tribunal wéimique.

      A l'heure qu'il est, le cachot du baiser de la Vierge est entièrement comblé; cependant ce n'est pas sans éprouver un vif sentiment de crainte mystérieuse, que les gens du pays approchent du lieu où il existait autrefois.

      Une partie de la ville de Baden-Baden, qui est protégée à l'est par les montagnes appelées Grosse-Stauffenberg-Mercurius et par le petit Stauffenberg, à l'ouest par le Prémersberg, et au nord par la chaîne de montagnes dont les plus hautes sont situées dans cette direction, est assise au dos de la colline qui s'élève en terrasses superposées l'une au-dessus de l'autre; l'autre partie couvre la colline et est dominée par le château dont nous venons de parler.

      Le Grosse-Stauffenberg-Mercurius, le petit Stauffenberg et le Prémersberg qui forment autour de la ville une ceinture naturelle, sont couvertes des bois aciculaires qui font la richesse de la Suisse alpestre; mais leurs collines les plus avancées nourrissent les essences spéciales aux climats tempérés, le hêtre, le chêne, l'orme qui sont entremêlés de bouquets de châtaigniers, du bouleau pittoresque, du houx toujours vert et du genièvre brancheux dont les baies bleues se groupent dans les taillis.

      Les vieux murs de la ville de Baden-Baden, qui depuis seize ans a été considérablement embellie, ont été abattus, les fossés des vieilles fortifications ont été comblés et convertis en boulevards bordés de belles maisons bourgeoises et de brillantes boutiques, l'ancien Stadt-Graben n'existe plus; cependant Baden-Baden, comme toutes les villes situées sur les bords du Rhin, a conservé cette couleur pittoresque particulière aux cités du moyen âge, couleur qui plaît tant aux imaginations rêveuses et aux amateurs des vieilles chroniques; elle est encore aujourd'hui irrégulière dans sa forme et ses anciennes constructions flanquées de petites tourelles, sont en général tellement enfoncées dans un sol escarpé, que dans plusieurs on peut facilement passer du grenier au jardin.

      Un ruisseau couvert traverse et nettoie la partie basse de la ville, qui forme avec ses faubourgs un ensemble d'environ quatre cents maisons, dominées par les clochers de trois églises, dont la plus remarquable est celle dont la fondation est attribuée aux moines de Vissembourg.

      Alte-Schloss, le vieux Burg de Bade, est situé à une demie-lieue


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