Comte du Pape. Hector Malot
pour placer une question de ce genre qu'Aurélien écoutait son ami, et c'était avec l'espérance de rencontrer enfin un jour ce prince Michel qu'il continuait à venir régulièrement au Pincio.
VII
Sur ces entrefaites, Aurélien reçut une réponse à la demande d'audience qui avait été présentée à l'antimera pontifica par l'entremise de son ami Vaunoise.
Un soir comme il rentrait, le portier de la Minerve l'arrêta pour lui remettre un large pli cacheté.
—Une lettre du Vatican, dit-il; la personne qui l'a apportée reviendra demain, pour la petite gratification.
—Pourquoi ne l'avez-vous pas donnée?
—Je ne savais pas combien monsieur voulait donner.
—Et combien donne-t-on ordinairement?
—Trois francs, cinq francs.
—Vous en donnerez vingt.
L'audience était fixée pour onze heures: à dix heures quarante-cinq minutes Aurélien se présenta à la porte du Vatican, qu'il n'eût pas trouvée de lui-même si son cocher ne la lui avait pas indiquée; car, chose étrange, ce palais le plus vaste du monde, n'a pas pour ainsi dire d'entrée.
Dans le vestibule les suisses montaient la garde dans leur uniforme de valets de cartes, à bandes de drap rouge, bleu et jaune, culottes courtes et bas de même couleur que l'uniforme, buffleteries jaunes, Remington sur l'épaule, porté à la prussienne.
Sur les paliers d'un escalier doux et poli, des hallebardiers se tenaient immobiles comme des statues, dans leur bizarre uniforme dessiné par Michel-Ange, le casque à pointe de cuivre sur la tête, le corps serré dans une veste à crevés, la hallebarde à la main.
Et çà et là dans les corridors, dans les antichambres, tout un monde de valets en simarre de soie violette damassée, allant et venant, affairés, importants avec les laïques, complaisants, obséquieux, paternels avec les ecclésiastiques; des femmes en robe de soie noire, la tête couverte d'un voile noir passaient émues, haletantes, allant deçà delà, d'un pas rapide et incertain, une feuille de papier à la main.
On fit entrer Aurélien dans un salon dans lequel se trouvait un monsieur en habit noir et en cravate blanche, qui un carnet à la main prenait des notes ou des croquis, de grands cheveux, une tête laide plutôt que belle, mais caractéristique; la tête, le regard, le carnet, disaient que ce devait être un artiste. Aurélien, ayant passé derrière lui, vit qu'il ne s'était pas trompé dans ses conjectures: le monsieur aux grands cheveux prenait et des notes et des croquis, il avait rapidement esquissé la copie des tapisseries d'Audran qui ornaient les murs et même le tapis vert à fleurs rouges et blanches qui recouvrait le parquet.
Des fenêtres qui éclairaient ce salon, l'on découvrait toute la ville de Rome éparse dans la plaine le long du cours tortueux du Tibre ou étagée sur les pentes de ses sept collines, avec ses maisons, ses palais, ses églises, ses ruines, au-dessus desquels s'élevaient çà et là des dômes, des campaniles, des colonnes, des aiguilles dorées, des obélisques et des cyprès noirs aux tiges élancées ou des pins aux cimes rondes et étalées; vue merveilleuse, encadrée dans des montagnes bleues d'un profil pur et sévère.
Pendant le temps qu'Aurélien était resté le nez collé à la vitre, le salon s'était rempli peu à peu: trois ecclésiastiques s'étaient assis dans un coin; deux étaient vêtus de soutanes neuves, évidemment, étrennées pour cette solennité; ils se tenaient droits, la tête haute, respirant avec peine comme des gens qui sont sous le poids d'une fiévreuse émotion; de temps en temps ils prononçaient quelques mots de français, mais avec un accent étranger qui tenait le milieu entre le bas-normand et l'anglais; le troisième était aussi pimpant que ses deux compagnons étaient embarrassés; il se levait à chaque instant, se promenait par le salon et tournait sur ses talons avec une désinvolture pleine de légèreté.
Dans un coin opposé se tenaient deux Français silencieux et recueillis, ne prêtant aucune attention à ce qui se passait autour d'eux.
Près d'eux, un grand et long personnage décoré, d'ordres étrangers avait déposé sur un fauteuil tout un tas de boîtes et de paquets enveloppés dans du papier blanc! on eût dit un parrain qui venait attendre une marraine avec une collection de bonbons.
Et, dans l'angle de la fenêtre, le monsieur aux longs cheveux, qu'Aurélien avait supposé être un artiste, continuait de prendre des notes ou des croquis sur son carnet: il promenait autour de lui un regard circulaire, et sa main, armée d'un crayon, courait rapide et légère sur le papier, soit pour écrire soit pour dessiner.
A un certain moment, l'ecclésiastique qui paraissait être dans sa propre maison, voulut voir sans doute ce qu'on écrivait sur ce carnet, et il manoeuvra de façon à se rapprocher de la fenêtre; mais cette manoeuvre, si habile qu'elle fût, ne réussit pas, le carnet se ferma et disparut dans une poche juste à point pour tromper l'espérance du curieux; cela se fit simplement, sans affectation, mais de manière cependant à bien marquer l'intention qui avait provoqué ce mouvement.
Deux nouveaux venus attirèrent l'attention d'Aurélien; c'étaient deux jeunes Anglais de dix-huit à dix-neuf ans, qui, faisant leur voyage d'Italie, avaient voulu visiter le pape, comme le lendemain ils visiteraient Garibaldi ou les thermes d'Antonino Caracalla; c'était une curiosité à voir, inscrite dans leur itinéraire, protestants d'ailleurs, à en juger par la pitié méprisante avec laquelle ils regardaient les deux ecclésiastiques et les deux Français, qui laissaient paraître leur émotion dans l'attente de ce qui, pour ces catholiques, était une pieuse solennité.
Ce qui les amusait surtout, c'étaient les paquets déposés sur le fauteuil; ils se les montraient d'un coup d'oeil, et ils parlaient à voix basse, en riant silencieusement.
Évidemment ils avaient deviné ce qui se trouvait renfermé dans ces paquets, et cela leur paraissait profondément ridicule.
Onze heures avaient sonné depuis quelques minutes déjà quand la porte s'ouvrit devant un nouvel arrivant qui, bien qu'en retard, entra sans se presser et d'un pas nonchalant, en homme qui ne prend pas souci qu'on l'ait ou qu'on ne l'ait pas attendu.
Grande fut la surprise d'Aurélien, grande fut sa joie.
Le bienheureux hasard sur lequel il avait compté se réalisait enfin: celui qui venait n'était autre que le fils de madame de la Roche-Odon, le frère de Bérengère,—le prince Michel Sobolewski.
Ils étaient donc en face l'un de l'autre.
Mais quel malheur que Vaunoise ne fût pas dans ce salon pour les mettre en rapport!
Il fallait qu'Aurélien se présentât seul, et la chose était assez délicate.
En aurait-il le temps, d'ailleurs? Les portes n'allaient-elles pas s'ouvrir pour l'audience; et après avoir impatiemment attendu cette audience, il désira qu'elle fût retardée.
Comment aborder Michel? que lui dire?
L'attitude qu'avait prise le jeune prince ne rendait pas la tâche facile.
Il s'était assis sur un fauteuil, et les jambes allongées, la tête renversée, il promenait tout autour du salon un regard dédaigneux et ennuyé.
Comment aller à lui? Sous quel prétexte?
Cependant Aurélien, venant à la fenêtre près de laquelle Michel s'était installé, se rapprocha peu à peu du siége que celui-ci occupait.
Il importait de ne pas s'exposer à une rebuffade et de procéder sagement.
Comme il cherchait cette façon de procéder, le prêtre qui tournait si légèrement sur ses talons vint à son tour dans l'embrasure de la