Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet. Divers Auteurs

Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet - Divers Auteurs


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les troupes: ils disposent tout pour cela. Son Altesse Royale en a très-grande défiance.» La duchesse de Chevreuse, fidèle à la cause royale, contribuait à rendre plus indécis le duc d'Orléans. Chavigny, désespérant enfin d'entraîner Gaston, appela à Paris le prince de Condé, qui était encore en Guienne, et, en attendant que le prince put arriver, il ne cessait d'exciter la populace contre les Mazarins. A la fin de mars et au commencement d'avril, il se forma sur le pont Neuf des rassemblements[T.I pag.65] de Frondeurs, qui se livrèrent à d'odieux excès[109]. Ils arrêtaient les carrosses, faisaient descendre les personnes qui s'y trouvaient, hommes ou femmes, et les forçaient de crier: Vive le roi! point de Mazarin! maltraitant ceux qui refusaient, et menaçant de les jeter à la Seine. Quelquefois même la populace, à laquelle se joignaient des voleurs et des misérables de la pire espèce, pillait et brisait les carrosses. La maréchale d'Ornano, tante et mère adoptive de madame de Rieux-Elbeuf, fut forcée de s'enfuir à pied avec ses gens. Madame Paget, femme d'un maître des requêtes, crut se soustraire aux mauvais traitements en disant qu'elle était femme d'un conseiller du parlement. «Tant mieux! s'écrièrent quelques-uns des séditieux; ils sont cause de notre misère. Il faut tous les jeter à la Seine.» Madame Paget ne s'échappa qu'avec peine de leurs mains. Il en fut de même de madame La Grange-Le-Roy et de sa nièce, la jeune et belle madame de Montchal. Elles eurent à subir les insultes et même les coups de la populace.

      Pendant près de trois heures, le pont Neuf fut le théâtre de scènes de cette nature (2 avril). Vers cinq heures, le bruit se répandit dans cette foule qu'un des leurs avait été blessé par les gens de l'hôtel de Nevers [110] [T.I pag.66] et y était enfermé. Aussitôt la multitude se précipita vers l'hôtel, criant qu'il fallait tout piller et brûler. Ils commencèrent à attaquer les portes et les murailles à coups de hache et de marteau, et ils les auraient brisées sans l'arrivée d'une vingtaine de gardes du duc d'Orléans, qui vinrent au secours de madame Duplessis-Guénégaud et la délivrèrent. Ces scènes de violence se renouvelaient chaque jour. Le lendemain 5 avril, de nouveaux attroupements se formèrent sur le pont Neuf. Le carrosse de mademoiselle de Guise fut arrêté près de la Samaritaine. Elle se tira de ce danger grâce à la prudence de son écuyer La Chapelle, et vint au Luxembourg, où elle parla en princesse outragée au duc et à la duchesse d'Orléans. On envoya quelques compagnies de milices bourgeoises pour dissiper la foule, mais elles ne parvinrent pas à rétablir l'ordre. Les orfèvres et autres marchands qui habitaient en grand nombre dans le quartier du Palais de Justice fermèrent leurs maisons, et pendant près de trois mois tout commerce resta suspendu.

      Ces excès servaient la cause du roi et dégoûtaient la bourgeoisie de la Fronde. Mazarin recommandait à l'abbé Fouquet de profiter de ces dispositions. «Il serait bon, lui écrivait-il, de faire afficher des placards contre M. le Prince, qui disent particulièrement qu'il veut empêcher le retour du roi à Paris, et jeter, par ce moyen, les habitants dans une dernière ruine. S'il est nécessaire de distribuer quelque argent, je vous prie de le faire, et on le rendra ponctuellement.» L'abbé Fouquet s'acquitta de cette tâche avec le zèle et l'ardeur qu'il portait dans[T.I pag.67] toutes les affaires. Un placard qu'il fit afficher, et dont une partie seulement nous a été conservée[111], montrait l'armée des princes affamant Paris, appelant les Espagnols, et livrant les campagnes à une soldatesque effrénée. L'abbé Fouquet représentait Condé faisant de la Guienne le théâtre de la guerre, la plongeant dans la plus profonde misère, puis l'abandonnant, lorsque les barricades élevées à Agen lui ont prouvé que les Gascons ne veulent pas se soumettre à son joug. «Il est venu alors comme un désespéré vers Paris, ajoutait le placard, pour tâcher d'y exciter la même révolte, le désordre et la division du royaume étant le fondement unique de sa puissance.»

      A l'époque où l'abbé Fouquet s'efforçait ainsi de soulever les passions populaires contre Condé, ce prince avait déjà quitté la Guienne, et, par une marche rapide et hardie à travers des provinces qu'occupaient les troupes royales, il était venu se mettre à la tête de l'armée des Frondeurs[112]. Il annonça sa présence par un de ces succès éclatants qui le rendaient si populaire: le maréchal d'Hocquincourt avait dispersé ses quartiers. Condé les enleva à Bléneau (1er avril) et tailla en pièces une partie de l'armée royale. Sans l'habileté de Turenne, la cour, qui était à Gien, serait tombée entre les mains de Condé. Après ce combat, qui fut plus brillant que décisif, Condé se rendit à Paris, où il espérait remporter[T.I pag.68] des avantages aussi rapides et briser toutes les résistances. Il y fit son entrée le 11 avril, et ne tarda pas à reconnaître que la situation était difficile. Le duc d'Orléans, qui l'accueillit en apparence avec empressement, était désolé de se voir éclipsé par un rival aussi supérieur. Le coadjuteur, toujours hostile à Condé, excitait la jalousie de Gaston. Le parlement était divisé. Les rentiers et la bonne bourgeoisie gémissaient des violences du parti des princes. Condé n'avait entièrement à sa disposition que la populace: l'éclat de son nom, l'argent qu'il distribuait, ses défauts mêmes, avaient séduit les classes inférieures. La figure de Condé, telle que la retrace un contemporain, devait frapper vivement les imaginations déjà éblouies de sa gloire: «M. le Prince, dit Bussy-Rabutin, avait les yeux vifs, le nez aquilin et serré, les joues creuses et décharnées, la forme du visage longue, la physionomie d'un aigle.» Des soldats déguisés se mêlaient au peuple, entretenaient son enthousiasme pour le héros de la France, et l'excitaient à des actes de fureur et au massacre des Mazarins. Pendant plusieurs mois (avril-juillet 1652), Paris fut dominé par cette dangereuse faction. Il n'y eut plus de sécurité pour les suspects; mais les excès mêmes de la nouvelle Fronde finirent par la perdre.

      Le prince de Condé ne se porta pas d'abord aux violences que lui conseillaient son caractère et sa position comme chef de parti. Il commença par s'adresser au parlement: il s'y rendit avec le duc d'Orléans (12 avril). Peu s'en fallut que le parlement ne lui fermât ses portes. Les présidents Le Bailleul, de Novion, de Mesmes et Le Coi[T.I pag.69]gneux s'étaient assemblés avec le procureur général Fouquet, pour aviser aux moyens de repousser un prince qui avait été reconnu criminel de lèse-majesté par déclaration royale enregistrée au parlement de Paris[113]. Ne se trouvant pas assez forts pour frapper ce coup décisif, ils voulurent du moins lui prouver que sa conduite était sévèrement blâmée par le parlement. Lorsque le prince eut pris séance avec le duc d'Orléans, le président Le Bailleul, qui, en l'absence du premier président Mathieu Molé[114], dirigeait les délibérations, manifesta en termes énergiques sa désapprobation de la conduite du prince, et dit qu'il n'eût pas voulu le voir siéger au parlement sous le coup d'une accusation de lèse-majesté et les mains encore teintes du sang des troupes royales[115]. Les partisans des princes cherchèrent à étouffer, par leurs murmures, la voix du président Le Bailleul; mais le blâme n'en avait pas moins porté coup, et quelques jours après (17 avril) le procureur général Nicolas Fouquet se sentit assez fort pour venir attaquer en plein parlement le manifeste publié par le prince. Condé y avouait qu'il avait fait des liaisons dedans et dehors le royaume pour sa conservation. C'était proclamer hautement son traité avec l'Espagne, ennemie de la France. Le parlement ne pouvait s'associer à une pareille déclaration sans approuver l'alliance avec des puissances en lutte ouverte contre la nation. Il recula devant un acte aussi manifestement criminel, et le prince[T.I pag.70] fut obligé de consentir à rayer de sa déclaration les mots incriminés par Fouquet[116].

      Cet échec fut suivi de plusieurs autres, qui prouvèrent que le parti des princes n'avait pas de racines profondes dans les grands corps de l'État. Le 22 avril, le duc d'Orléans et le prince de Condé se présentèrent à la chambre des comptes; mais tous les présidents, à l'exception d'un seul, qui était intendant de la maison du prince de Condé, se retirèrent, prétendant qu'on ne devait pas accorder aux princes la place qu'ils voulaient occuper au-dessus d'eux[117]. A la cour des aides, le premier président Amelot rappela en face au prince de Condé la déclaration royale qui l'avait flétri comme criminel de lèse-majesté, et qui avait été enregistrée au parlement. Il lui reprocha d'avoir récemment combattu l'armée royale et fait battre le tambour dans Paris pour lever des troupes contre le roi avec les deniers provenant de l'Espagne[118]. Condé, surpris d'une attaque aussi vive, demanda au premier président s'il parlait au nom de sa compagnie. Amelot répondit qu'en la place qu'il occupait il avait le droit de dire son avis, et n'avait jamais été démenti


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