Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet. Divers Auteurs

Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet - Divers Auteurs


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le prince de Condé par l'espérance d'un traité, pendant qu'on lui enlevait la Guienne et qu'on prenait ses places. L'armée du roi, commandée par Turenne et d'Hocquincourt, tenait la campagne;[T.I pag.84] celle des princes, au contraire, était forcée de se retirer dans Étampes. A Paris, le parlement se séparait de plus en plus de Condé, et la bourgeoisie commençait à prendre les armes pour mettre un terme à l'anarchie qu'entretenaient les factieux. Il était temps que les bons citoyens montrassent quelque énergie pour repousser les dangers qui les menaçaient: le prévôt des marchands, qui s'était rendu auprès du duc d'Orléans, pour pourvoir de concert avec lui à l'approvisionnement de la ville, avait failli être égorgé. La populace l'accabla d'injures et le poursuivit jusque dans le palais du Luxembourg, qu'habitait le prince. Gaston d'Orléans, sous prétexte de protéger le prévôt et deux échevins qui l'accompagnaient, les reconduisit dans la cour du palais où étaient rassemblés cinq ou six mille factieux, et dit à haute voix: «Je ne veux pas qu'il leur soit fait aucune injure céans[137].» C'était les livrer à la fureur populaire dès qu'ils auraient franchi le seuil du palais. Aussi furent-ils poursuivis par les factieux, qui les auraient mis en pièces, s'ils n'eussent trouvé asile dans une maison de la rue de Tournon. «Cette insulte, faite au prévôt des marchands, étonna tous les honnêtes gens, même du parti des princes[138].» Ainsi parle un grave magistrat, organe des hommes modérés. Le maréchal de l'Hôpital, gouverneur de Paris, le conseil de ville, les quarteniers et colonels, vinrent demander justice au parlement contre l'attentat dont le chef de la bourgeoisie parisienne avait[T.I pag.85] failli être victime. Le parlement montra peu d'énergie pour rétablir l'ordre et contenir les factieux; aussi les bourgeois adoptèrent-ils la résolution de se protéger eux-mêmes. Ils se firent donner l'ordre par le roi de prendre les armes et occupèrent aussitôt les portes et tous les postes qui pouvaient assurer la tranquillité de Paris (5 mai).

      Pendant que le crédit des princes déclinait à Paris, leur armée, surprise par Turenne près d'Étampes (5 mai), essuyait une sanglante défaite. Le maréchal la força de s'enfermer dans cette ville, l'y tint assiégée et conçut l'espérance de la détruire entièrement. Le parlement, qui avait été blessé de ce que les princes avaient négocié avec la cour sans sa participation, voulut alors prendre l'initiative de la paix, et avant tout éloigner les troupes qui dévastaient les environs de Paris. Le procureur général reçut ordre de se rendre à Saint-Germain et de retracer au roi les doléances de sa bonne ville. Nous avons la harangue que Nicolas Fouquet prononça dans cette circonstance[139]. Elle est d'un style plus net et plus clair que celui des discours ordinaires de la magistrature à cette époque. C'est un spécimen que je crois unique du talent oratoire de Nicolas Fouquet[140], et c'est ce qui me détermine à la publier textuellement:[T.I pag.86]

      «Sire,

      «Votre parlement de Paris m'a envoyé vers Votre Majesté pour la supplier très-humblement de vouloir accorder un jour à ses députés et à ceux des autres compagnies pour faire les remontrances qui ont été ordonnées sur la conjoncture des affaires présentes, et sur la cause des mouvements dont l'État est misérablement agité. Outre plus, Sire, j'ai été chargé de faire entendre à Votre Majesté l'extrémité de la misère à laquelle sont réduits la plupart de vos sujets. Les crimes et les excès des gens de guerre n'ont plus de bornes; les meurtres, les violements, les incendies et les sacrilèges ne passent plus que pour des actions ordinaires; on ne se cache plus pour les commettre, et les auteurs en font vanité. Les troupes de Votre Majesté, Sire, vivent aujourd'hui dans une telle licence et un tel désordre, qu'elles n'ont point de honte d'abandonner leurs quartiers, même pour aller piller ceux de vos sujets qui se trouvent sans résistance. Les soldats forcent les maisons des ecclésiastiques, des gentilshommes et de vos principaux officiers, en plein jour, à la vue de leurs chefs, sans crainte d'être connus et sans appréhension d'être punis. Les pauvres habitants de la campagne, misérablement pillés, outragés et massacrés, viennent tous les jours demander justice à votre parlement, et votre parlement, dans l'impuissance de la leur rendre, la demande à Votre Majesté pour eux.

      «Je n'entreprends point, Sire, de représenter à Votre[T.I pag.87] Majesté le grand préjudice qu'apportera cette désolation publique à vos affaires et l'avantage qu'en doivent tirer les ennemis, voyant les lois les plus saintes publiquement violées, l'impunité des crimes solidement établie, la source de vos finances tarie, les affections des peuples altérées et votre autorité méprisée. Je viens seulement convier Votre Majesté, Sire, au nom de son parlement et de tous ses sujets, de se laisser toucher de pitié par les cris de son pauvre peuple, d'écouter les plaintes et les gémissements des veuves et des orphelins, et de vouloir conserver ce qui reste et qui a pu échapper à la furie de ces barbares qui ne respirent que le sang et le carnage des innocents, et qui n'ont aucun sentiment d'humanité. Sire, le mal est grand et pressant; mais il n'est pas sans remède, si Votre Majesté s'y daigne appliquer sérieusement. C'est un soin digne de sa générosité et de l'affection paternelle qu'elle doit à ses sujets.

      «Faites, Sire, faites connaître la tendresse de votre bon naturel dans le commencement de votre règne, et que la compassion que vous aurez de tant de misérables attire les bénédictions célestes sur les premières années de votre majorité[141], qui seront sans doute suivies d'un grand nombre d'autres beaucoup plus heureuses, si les souhaits et les vœux de votre parlement et de tous vos bons sujets sont exaucés.

      «Qu'il plaise à Votre Majesté, Sire, en attendant ce grand et seul remède à nos malheurs présents, que demanderont[T.I pag.88] au premier jour toutes les compagnies de votre bonne ville de Paris, faire vivre au moins les gens de guerre en quelque sorte de discipline, faire observer les ordonnances, contenir les soldats et leurs officiers dans les quartiers, punir les criminels et enfin obliger les chefs et commandants, sans distinction des personnes, à livrer les coupables à la justice pour être châtiés, ou demeurer responsables, en leurs propres et privés noms, de tous les désordres qui auront été commis. Ce sont les très-humbles supplications que votre parlement de Paris fait à Votre Majesté par ma bouche.»

      Ces remontrances ayant produit peu d'effet, le parlement renvoya les gens du roi à Saint-Germain, où était Louis XIV, et les chargea de demander expressément que les troupes fussent éloignées à dix lieues au moins de Paris[142]. Au retour de cette mission, Nicolas Fouquet en rendit compte au parlement. La relation, écrite entièrement de sa main, est parvenue jusqu'à nous[143]:

      «Nous partîmes vendredi au soir (10 mai), M. Bignon et moi, pour aller à Saint-Germain, en exécution de l'arrêt rendu le même soir, et arrivâmes fort tard. Nous ne pûmes voir M. le garde des sceaux[144], qu'il ne fût près d'onze heures, au retour du conseil. Dès ce soir-là nous fîmes entendre à mondit sieur le garde des sceaux le sujet de notre voyage et l'intention de la compagnie[T.I pag.89] pour l'éloignement des gens de guerre, et parce que nous avions appris, depuis notre arrivée, qu'il y avait eu des troupes commandées pour faire, cette nuit même, l'attaque du pont de Saint-Cloud[145], nous fîmes nos efforts pour faire changer cette résolution, dans l'appréhension que nous eûmes que les affaires ne se portassent dans l'aigreur à cette occasion. Nous ne pûmes obtenir, pour ce soir, ce que nous demandions, pour ce qu'il était trop tard, et que l'on nous dit la chose engagée et peut-être faite; mais on nous fit espérer de surseoir ce qui resterait.

      «Le lendemain nous eûmes notre audience entre trois et quatre heures après midi, et nous fûmes conduits à la chambre du sieur Duplessis[146], secrétaire d'État, par le sieur Saintot, maître des cérémonies, et de là dans le cabinet du roi, dans lequel nous fûmes introduits par ledit sieur Duplessis. Dans le cabinet, le roi était assis et la reine à côté. M. le duc d'Anjou[147] y était, M. le garde des sceaux, M. le prince Thomas[148], MM. de Bouillon, de Villeroy, du Plessis-Praslin, Servien, M. le surintendant[149], les quatre secrétaire d'État[150]. Nous nous approchâmes du roi et lui fîmes entendre en peu de mots le sujet pour lequel nous étions envoyés, suppliâmes Sa Majesté de vouloir délivrer sa bonne ville de Paris de [T.I pag.90]l'oppression en laquelle elle se trouvait réduite par le séjour des troupes dans son voisinage, d'avoir la bonté de les éloigner de dix lieues à la ronde au moins, et par ce moyen faciliter le passage des vivres, la liberté du commerce et rétablir l'abondance nécessaire à un si grand peuple; que le parlement demandait seulement


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