Poésies choisies de André Chénier. André Chénier

Poésies choisies de André Chénier - André Chénier


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des malheureux, le sort inexorable

      Ne prend point les avis de l'homme secourable.

      Tous, par sa main de fer en aveugles poussés,

      255

      Nous vivons; et tes voeux ne sont point exaucés.

      Cléotas est perdu; son injuste patrie

      L'a privé de ses biens; elle a proscrit sa vie.

      De ses concitoyens dès longtemps envié,

      De ses nombreux amis en un jour oublié,

      260

      Au lieu de ces tapis qu'avait tissus l'Euphrate,

      Au lieu de ces festins brillants d'or et d'agate

      Où ses hôtes, parmi les chants harmonieux,

      Savouraient jusqu'au jour les vins délicieux,

      Seul maintenant, sa faim, visitant les feuillages,

      265

      Dépouille les buissons de quelques fruits sauvages;

      Ou, chez le riche altier apportant ses douleurs,

      Il mange un pain amer tout trempé de ses pleurs.

      Errant et fugitif, de ses beaux jours de gloire

      Gardant, pour son malheur, la pénible mémoire,

      270

      Sous les feux du midi, sous le froid des hivers,

      Seul, d'exil en exil, de déserts en déserts,

      Pauvre et semblable à moi, languissant et débile,

      Sans appui qu'un bâton, sans foyer, sans asile,

      Revêtu de ramée ou de quelques lambeaux,

      275

      Et sans que nul mortel attendri sur ses maux

      D'un souhait de bonheur le flatte et l'encourage;

      Les torrents et la mer, l'aquilon et l'orage,

      Les corbeaux, et des loups les tristes hurlements

      Répondant seuls la nuit à ses gémissements;

      280

      N'ayant d'autres amis que les bois solitaires,

      D'autres consolateurs que ses larmes amères,

      Il se traîne; et souvent sur la pierre il s'endort

      A la porte d'un temple, en invoquant la mort.

      —Que m'as-tu dit? La foudre a tombé sur ma tête.

      285

      Dieux! ah! grands dieux! partons. Plus de jeux, plus de fête!

      Partons. Il faut vers lui trouver des chemins sûrs;

      Partons. Jamais sans lui je ne revois ces murs.

      Ah! dieux! quand dans le vin, les festins, l'abondance,

      Enivré des vapeurs d'une folle opulence,

      290

      Celui qui lui doit tout chante, et s'oublie, et rit,

      Lui peut-être il expire, affamé, nu, proscrit,

      Maudissant, comme ingrat, son vieil ami qui l'aime.

      Parle: était-ce bien lui? le connais-tu toi-même?

      En quels lieux était-il? où portait-il ses pas?

      295

      Il sait où vit Lycus, pourquoi ne vient-il pas?

      Parle: était-ce bien lui? parle, parle, te dis-je;

      Où l'as-tu vu?—Mon hôte, à regret je t'afflige.

      C'était lui, je l'ai vu ........................

      .........................Les douleurs de son âme

      300

      Avaient changé ses traits. Ses deux fils et sa femme

      A Delphes, confiés au ministre du dieu,

      Vivaient de quelques dons offerts dans le saint lieu.

      Par des sentiers secrets fuyant l'aspect des villes,

      On les avait suivis jusques aux Thermopyles.

      305

      Il en gardait encore un douloureux effroi.5

      Je le connais; je fus son ami comme toi.

      D'un même sort jaloux une même injustice

      Nous a tous deux plongés au même précipice.

      Il me donna jadis (ce bien seul m'est resté)

      310

      Sa marque d'alliance et d'hospitalité.

      Vois si tu la connais.' De surprise immobile,

      Lycus a reconnu son propre sceau d'argile;

      Ce sceau, don mutuel d'immortelle amitié,

      Jadis à Cléotas par lui-même envoyé.

      315

      Il ouvre un oeil avide, et longtemps envisage

      L'étranger. Puis enfin sa voix trouve un passage.

      'Est-ce toi, Cléotas? toi qu'ainsi je revoi?

      Tout ici t'appartient. O mon père! est-ce toi?

      Je rougis que mes yeux aient pu te méconnaître.

      320

      Cléotas! ô mon père! ô toi qui fus mon maître,

      Viens; je n'ai fait ici que garder ton trésor,

      Et ton ancien Lycus veut te servir encor;

      J'ai honte à ma fortune en regardant la tienne.'

      Et, dépouillant soudain la pourpre tyrienne

      325

      Que tient sur son épaule une agrafe d'argent,

      Il l'attache lui-même à l'auguste indigent.

      Les convives levés l'entourent; l'allégresse

      Rayonne en tous les yeux. La famille s'empresse;

      On cherche des habits, on réchauffe le bain.

      330

      La jeune enfant approche; il rit, lui tend la main:

      'Car c'est toi, lui dit-il, c'est toi qui, la première,

      Ma fille, m'as ouvert la porte hospitalière.'

       Table des matières

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      UN CHEVRIER, UN BERGER

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