Poésies choisies de André Chénier. André Chénier

Poésies choisies de André Chénier - André Chénier


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l'écoutaient en foule, et n'osaient respirer,

      Car en de longs détours de chansons vagabondes

      Il enchaînait de tout les semences fécondes,

      Les principes du feu, les eaux, la terre et l'air,

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      Les fleuves descendus du sein de Jupiter,

      Les oracles, les arts, les cités fraternelles,

      Et depuis le chaos les amours immortelles;

      D'abord le roi divin, et l'Olympe, et les cieux,

      Et le monde ébranlé d'un signe de ses yeux,

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      Et les dieux partagés en une immense guerre,

      Et le sang plus qu'humain venant rougir la terre,

      Et les rois assemblés, et sous les pieds guerriers

      Une nuit de poussière, et les chars meurtriers,

      Et les héros armés, brillant dans les campagnes

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      Comme un vaste incendie aux cimes des montagnes,

      Les coursiers hérissant leur crinière à longs flots,

      Et d'une voix humaine excitant les héros;

      De là, portant ses pas dans les paisibles villes,

      Les lois, les orateurs, les récoltes fertiles;

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      Mais bientôt de soldats les remparts entourés,

      Les victimes tombant dans les parvis sacrés,

      Et les assauts mortels aux épouses plaintives,

      Et les mères en deuil, et les filles captives;

      Puis aussi les moissons joyeuses, les troupeaux

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      Bêlants ou mugissants, les rustiques pipeaux,

      Les chansons, les festins, les vendanges bruyantes,

      Et la flûte et la lyre, et les noces dansantes.

      Puis, déchaînant les vents à soulever les mers,

      Il perdait les rochers sur les gouffres amers;

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      De là, dans le sein frais d'une roche azurée,

      En foule il appelait les filles de Nérée,

      Qui, bientôt à ses cris s'élevant sur les eaux,

      Aux rivages troyens parcouraient les vaisseaux.

      Puis il ouvrait du Styx la rive criminelle,

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      Et puis les demi-dieux et les champs d'asphodèle,

      Et la foule des morts: vieillards seuls et souffrants,

      Jeunes gens emportés aux yeux de leurs parents,

      Enfants dont au berceau la vie est terminée,

      Vierges dont le trépas suspendit l'hyménée.

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      Mais, ô bois, ô ruisseaux, ô monts, ô durs cailloux!

      Quels doux frémissements vous agitèrent tous,

      Quand bientôt à Lemnos, sur l'enclume divine,

      Il forgeait cette trame irrésistible et fine

      Autant que d'Arachné les pièges inconnus,

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      Et dans ce fer mobile emprisonnait Vénus,

      Et quand il revêtait d'une pierre soudaine

      La fière Niobé, cette mère thébaine;

      Et quand il répétait en accents de douleur

      De la triste Aédon l'imprudence et les pleurs,

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      Qui d'un fils méconnu marâtre involontaire,

      Vola, doux rossignol, sous le bois solitaire!

      Ensuite, avec le vin, il versait aux héros

      Le puissant népenthès, oubli de tous les maux;

      Il cueillait le moly, fleur qui rend l'homme sage;

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      Du paisible lotos il mêlait le breuvage:

      Les mortels oubliaient, à ce philtre charmés,

      Et la douce patrie et les parents aimés.

      Enfin l'Ossa, l'Olympe et les bois du Pénée

      Voyaient ensanglanter les banquets d'hyménée,

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      Quand Thésée, au milieu de la joie et du vin,

      La nuit où son ami reçut à son festin

      Le peuple monstrueux des enfants de la nue,

      Fut contraint d'arracher l'épouse demi-nue

      Au bras ivre et nerveux du sauvage Eurytus.

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      Soudain, le glaive en main, l'ardent Pirithoüs:

      'Attends; il faut ici que mon affront s'expie,

      Traître!' Mais avant lui, sur le centaure impie

      Dryas a fait tomber, avec tous ses rameaux,

      Un long arbre de fer hérissé de flambeaux.

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      L'insolent quadrupède en vain s'écrie; il tombe,

      Et son pied bat le sol qui doit être sa tombe.

      Sous l'effort de Nessus, la table du repas

      Roule, écrase Cymèle, Évagre, Périphas.

      Pirithoüs égorge Antimaque et Pétrée,

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      Et Cyllare aux pieds blancs, et le noir Macarée,

      Qui de trois fiers lions, dépouillés par sa main,

      Couvrait ses quatre flancs, armait son double sein.

      Courbé, levant un roc choisi pour leur vengeance,

      Tout à coup, sous l'airain d'un vase antique, immense,

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      L'imprudent Bianor, par Hercule surpris,

      Sent de sa tête énorme éclater les débris.

      Hercule et la massue entassent en trophée

      Clanis, Démoléon, Lycotas, et Riphée

      Qui portait sur ses crins, de taches colorés,

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      L'héréditaire éclat des nuages dorés.

      Mais d'un double combat Eurynome est avide,

      Car ses pieds, agités en un cercle rapide,

      Battent à coups pressés l'armure de Nestor;

      Le quadrupède Hélops fuit; l'agile Crantor,

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      Le bras levé, l'atteint; Eurynome l'arrête;

      D'un érable noueux il va fendre sa tête,

      Lorsque le fils d'Égée, invincible, sanglant,

      L'aperçoit, à l'autel prend un chêne brûlant,

      Sur


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