George Sand et ses amis. Albert Le Roy

George Sand et ses amis - Albert Le Roy


Скачать книгу
avec la Cour de Rome, aux fins de briser l'Eglise constitutionnelle et nationale de 1789. L'armée, en sa grande majorité, accueillait assez mal cette première étape sur la route de Canossa. «Le Concordat, écrit Maurice Dupin à sa mère, ne fait pas ici le moindre effet. Le peuple y est indifférent. Les gens riches, même ceux qui se piquent de religion, ont grand'peur qu'on n'augmente les impôts pour payer les évêques. Les militaires, qui ne peuvent pas obtenir un sou dans les bureaux de la guerre, jurent de voir le palais épiscopal meublé aux frais du gouvernement.» Et le jeune homme, fervent voltairien, raille la bulle du Pape, «écrite dans le style de l'Apocalypse, et qui menace les contrevenants de la colère de saint Pierre et de saint Paul.» Bref, conclut-il, «nous nous couvrons de ridicule.» A la cérémonie de Notre-Dame en l'honneur du Concordat, les généraux se rendirent à peu près comme des chiens qu'on fouette. Le légat était en voiture, et sa croix devant lui, dans une autre voiture. Ce fut là l'occasion de négociations Pour lui, soldat de la Révolution, ayant grandi auprès d'une mère royaliste mais philosophe, il voyait avec inquiétude «des changements dans les affaires publiques qui ne promettent rien de bon», et même «un retour complet à l'ancien régime». Démocrate, il devait s'affilier à la franc-maçonnerie qui était déjà le foyer des idées libérales. Il nous a malicieusement conté son initiation: «On m'a enfermé dans tous les trous possibles, nez à nez avec des squelettes; on m'a fait monter dans un clocher au bas duquel on a fait mine de me précipiter… On m'a fait descendre dans des puits, et, après douze heures passées à subir toutes ces gentillesses, on m'a cherché une mauvaise querelle sur ma bonne humeur et mon ton goguenard, et on a décidé que je devais subir le dernier supplice. En conséquence, on m'a cloué dans une bière, porté au milieu des chants funèbres dans une église, pendant la nuit, et, à la clarté des flambeaux, descendu dans un caveau, mis dans une fosse et recouvert de terre, au son des cloches et du De profundis. Après quoi chacun s'est retiré. Au bout de quelques instants, j'ai senti une main qui venait me tirer mes souliers, et, tout en l'invitant à respecter les morts, je lui ai détaché le plus beau coup de pied qui se puisse donner. Le voleur de souliers a été rendre compte de mon état et constater que j'étais encore en vie. Alors on est venu me chercher pour m'admettre aux grands secrets. Comme avant l'enterrement on m'avait permis de faire mon testament, j'avais légué le caveau dans lequel j'avais été enfermé au colonel de la 14e, afin qu'il en fît une salle de police; la corde avec laquelle on m'y avait descendu, au colonel du 4e de cavalerie, pour qu'il s'en servît pour se pendre, et les os dont j'étais entouré, à ronger à un certain frère terrible, qui m'avait trimbalé toute la journée dans les caves et greniers.»

      C'étaient là les menues distractions de la vie de garnison à Charleville. Toutes les journées ne devaient pas y être aussi plaisantes pour Maurice, partagé entre sa maîtresse et sa mère. Celle-ci, exempte de préjugés religieux, et qui n'acceptait guère que les doctrines du Vicaire savoyard ou cette foi à l'Etre suprême que George Sand appelle le culte épuré de Robespierre et de Saint-Just, admettait fort bien que jeunesse se passe, mais ne pouvait tolérer une mésalliance. C'est donc à son insu que le mariage fut conclu, le 16 prairial an XII (1804), par devant le maire du deuxième arrondissement de Paris, entre Maurice Dupin et Victoire Delaborde, qui désormais prendra le prénom de Sophie. Un mois plus tard, le 12 messidor (1er juillet), George Sand vit le jour, dans la maison portant le numéro 15 de la rue Meslay. Ces deux événements furent cachés à madame Dupin, qui, ultérieurement informée, courra à Paris et essayera vainement de faire casser le mariage. Celui-ci avait été célébré presque clandestinement. Sophie était allée à la mairie en modeste robe de basin, n'ayant au doigt qu'un mince filet d'or; car la gêne du ménage ne permit d'acheter que quelques jours plus tard une véritable alliance de six francs. En dépit de ces circonstances mystérieuses, George Sand, enfant de l'amour, naquit au milieu de la joie. La soeur de Sophie Delaborde allait épouser un officier, ami intime de Maurice, et l'on avait organisé une petite sauterie. «Ma mère, lisons-nous dans l'Histoire de ma Vie, avait une jolie robe couleur de rose, et mon père jouait sur son fidèle violon de Crémone une contredanse de sa façon». Tout à coup souffrante, Sophie passa dans la chambre voisine. Au milieu d'un chassez-huit, la tante Lucie accourut en s'écriant: «Venez, venez, Maurice, vous avez une fille.» Et elle ajouta: «Elle est née en musique et dans le rose, elle aura du bonheur.» On l'appela Aurore, en souvenir de la grand'mère absente et que l'on se garda bien d'informer. George Sand entrait dans le monde, l'an dernier de la République, l'an premier de l'Empire. Sa vie devait être agitée, comme la Révolution politique, philosophique, religieuse et sociale dont elle est issue et que reflètera son oeuvre.

       Table des matières

      LES ANNÉES D'ENFANCE

      Pour fil conducteur à travers l'enfance et la jeunesse de George Sand, nons avons encore l'Histoire de ma Vie, mais rédigée sous une inspiration sensiblement différente. Tous les premiers chapitres, relatifs aux origines, avaient été composés et publiés sous la monarchie de Juillet. L'écrivain reprend la plume et continue son autobiographie, le 1er juin 1848, après avoir participé aux événements de la Révolution qui renversa Louis-Philippe et avoir collaboré, auprès de Ledru-Rollin, fondateur du suffrage universel, aux circulaires du gouvernement provisoire. Il en résulte une évolution de sa pensée, une volte-face analogue à celle qu'on remarque, au regard de M. Thiers, dans les volumes de l'Histoire du Consulat et de l'Empire postérieurs au Deux Décembre. «J'ai beaucoup appris, déclare George Sand, beaucoup vécu, beaucoup vieilli durant ce court intervalle… Si j'eusse fini mon livre avant cette Révolution, c'eût été un autre livre, celui d'un solitaire, d'un enfant généreux, j'ose le dire, car je n'avais étudié l'humanité que sur des individus souvent exceptionnels et toujours examinés par moi à loisir. Depuis j'ai fait, de l'oeil, une campagne dans le monde des faits, et je n'en suis point revenue telle que j'y étais entrée. J'y ai perdu les illusions de la jeunesse, que par un privilège dû à ma vie de retraite et de contemplation, j'avais conservées plus tard que de raison.»

      Ces illusions, nous les connaîtrons mieux et pourrons en apprécier la persistance, en repassant avec George Sand les péripéties de ses premières années et les hasards d'une éducation où se heurtèrent les influences rivales de sa mère et de son aïeule.

      Madame Dupin, en dépit des fréquents voyages que son fils faisait à Nohant, n'avait appris de lui ni le mariage avec madame Delaborde ni la naissance de l'enfant survenue le 12 messidor. C'est seulement vers la fin de brumaire an XIII (novembre 1804) qu'elle conçut des soupçons et voulut les éclaircir. L'Histoire de ma Vie rapporte les deux lettres qu'elle adressa au maire du cinquième arrondissement: «J'ai de fortes raisons, écrivait-elle, pour craindre que mon fils unique ne se soit récemment marié à Paris sans mon consentement. Je suis veuve; il a vingt-six ans; il sert, il s'appelle Maurice-François-Elisabeth Dupin. La personne avec laquelle il a pu contracter mariage a porté différents noms; celui que je crois le sien est Victoire Delaborde. Elle doit être un peu plus âgée que mon fils—(elle avait effectivement trente ans),—tous deux demeurent ensemble rue Meslay, n° 15… Cette fille ou cette femme, car je ne sais de quel nom l'appeler, avant de s'établir dans la rue Meslay, demeurait en nivôse dernier rue de la Monnaie, où elle tenait une boutique de modes.»

      Les lettres ni les démarches de madame Dupin ne purent aboutir à l'annulation du mariage. Elle recueillit seulement, comme pour attiser sa colère, des renseignements fort peu édifiants sur les origines de cette bru qui entrait subrepticement dans sa famille, sur le père, Claude Delaborde, oiselier au quai de la Mégisserie, sur le grand-père maternel, un certain Cloquart, qui portait encore, par delà la Révolution, un grand habit rouge et un chapeau à cornes, son costume de noces sous le règne de Louis XV.

      Cependant l'officier de l'état civil, un maire à l'âme patriarcale, tentait de calmer les inquiétudes de madame Dupin. Il chargeait, selon ses propres expressions, une personne intelligente et sûre de pénétrer, sous un prétexte quelconque, dans l'intérieur des jeunes époux, et voici le tableau qu'il en trace, d'après ce


Скачать книгу