Histoire des Montagnards. Alphonse Esquiros

Histoire des Montagnards - Alphonse Esquiros


Скачать книгу
nationale comme une ombre importune qui en voulait à son autorité. Pour ce que le pauvre roi faisait de cette autorité, ce n'était guère la peine de tant marchander, mais enfin il la tenait et il ne voulait pas s'en défaire. Le projet d'une convocation des États généraux, envisagé d'abord avec effroi, quitté, puis repris, avait fini par s'imposer. La Révolution, en germe dans ce projet, devait courber bien d'autres obstacles que la résistance du faible monarque. Au fond, ses craintes personnelles n'étaient pas chimériques. Du jour où l'existence des États généraux fut décidée, le peuple français comprit qu'il venait de se donner un souverain. Louis XVI n'avait jamais beaucoup compté; il ne comptait plus du tout. Ni aimé ni haï, il passait cependant pour bonhomme. Le roi est excellent, disait la cour; le roi est bon, répétait la bourgeoisie; le roi est très-bon, s'avisa de demander un jour le peuple: mais à quoi?

      Il y avait quelqu'un de plus étranger en France que le roi. Si Louis XVI n'était pas l'homme qui convenait à la gravité des circonstances, la reine Marie-Antoinette s'accordait encore moins avec les idées et les tendances nouvelles. Quoique jolie, elle manquait de charmes. Se montrait-elle en public, son air hautain soulevait dans la foule un sentiment qui ressemblait à de l'aversion. Une aventure acheva de la perdre: je parle de la vilaine affaire du collier. Coupable? Je n'assure pas qu'elle le fût; mais de tels scandales n'éclatent jamais autour des femmes sur le compte desquelles il n'y a rien à dire. Le cardinal de Rohan, esprit faible et ambitieux, grand dépensier, était tombé en disgrâce à la cour. La comtesse de La Motte lui persuada qu'elle avait le moyen de le remettre à flot. Elle alla jusqu'à lui promettre une entrevue de nuit avec Marie-Antoinette, dans le parc de Versailles. Le cardinal donna dans le piége. Une fille, dit-on, qui ressemblait beaucoup à la reine, couverte d'un mantelet blanc et la tête enveloppée d'une thérèse, joua le rôle que madame de La Motte lui avait appris, et de Rohan se crut au comble de la faveur.

      L'intrigante insinua alors au cardinal que la reine avait grande envie d'un collier de diamants et qu'elle le chargeait de l'acheter en secret. De Rohan alla chez les joailliers de la couronne et en rapporta ce précieux talisman qui valait 1,600,000 livres. Le collier passa par les mains de la comtesse qui devait le remettre à la reine, mais qui se hâta de le vendre à son profit. De jour en jour les joailliers attendaient leur argent qui ne venait pas; c'est alors que se découvrit le pot aux roses. Le cardinal fut envoyé à la Bastille revêtu de ses habits pontificaux, et le parlement fut saisi de l'affaire. Cagliostro, impliqué dans cette intrigue et confronté avec madame de La Motte, nia intrépidement toute participation à ces coupables manoeuvres. Ne pouvant ébranler la force des arguments qu'il fit valoir pour sa défense, cette femme irritée lui jeta un chandelier à la tête en présence des juges. Cagliostro fut acquitté comme innocent et le cardinal de Rohan comme dupe. La comtesse, condamnée au fouet, à la marque et à la réclusion perpétuelle, fut enfermée à l'hospice de Bicêtre, dans un quartier qui servait alors de prison d'État. Vers 1840, feuilletant dans cet hospice l'ancien registre des écrous, je tombai sur la note suivante: 21 juin 1786, Jeanne de Valois, de Saint-Rémy de Luz, épouse de Marc-Antoine-Nicolas de La Motte, âgée de 29 ans, native de Fontette, en Champagne. Arrêt de la Cour: (à perpétuité), flétrie d'un V sur les deux épaules. Et plus bas, écrit par une autre main: Évadée de la maison de force le 5 juin 1787.

      Nous avons raconté cette scandaleuse histoire du collier, d'après les témoignages des écrivains les plus favorables à la reine; mais l'affaire ne reste-t-elle point chargée de ténèbres? Quoi! des lettres fausses dans lesquelles l'écriture de la reine était imitée à s'y méprendre, une entrevue derrière une charmille, dans laquelle une soubrette est prise pour la reine par un cardinal habitué du château, un grand seigneur ayant tous les moyens de vérifier s'il a été dupe et qui persiste dans son mutisme, une rose donnée et reçue sans que le courtisan honoré d'une telle faveur ait cherché à lever le masque qui couvrait toute l'intrigue, tout cela peut être utile pour bien mener l'action d'un roman ou d'une comédie; mais, quand il s'agit d'un épisode de la vie réelle, l'histoire exige plus de vraisemblance. Aussi l'opinion publique resta-t-elle partagée en deux camps. A tort ou à raison, Marie-Antoinette était déjà fort décriée; elle avait marché d'un pied léger sur toutes les règles de l'étiquette et se livrait à mille caprices. Le Petit-Trianon était son séjour favori. «Une robe de percale blanche, un fichu de gaze, un chapeau de paille étaient la seule parure des princesses. Le plaisir de voir traire les vaches, de pêcher dans le lac enchantait la reine. On y jouait la comédie: le Devin du village de Rousseau, le Barbier de Séville de Beaumarchais y furent représentés. La reine remplissait le rôle de Rosine.» [Note: Mémoires de madame Campan.]

      Tout cela était sans doute fort innocent; mais cette idylle convenait-elle bien à la tragique solennité des événements qui déjà obscurcissaient l'horizon politique? Les excentricités de la reine trouvaient du moins une excuse dans la froideur du roi à son égard. Ce gros homme était très-peu voluptueux: il fallut cinq ans de mariage, les murmures de la cour et une conversation secrète entre lui et le frère de Marie-Antoinette, avant qu'il sût donner un dauphin au royaume de France.

      Dans la même année où s'ébruita l'affaire du collier (1786), une autre aventure sentimentale se passait en haut lieu, qui ne fut point connue du public et du moins ne déshonora personne.

      La lecture de la Nouvelle Héloïse avait grisé jusqu'aux princesses du sang; la tête disputait encore contre les idées philosophiques, mais le coeur était pris; quelques femmes de la cour furent, à leur insu, les anges précurseurs de la Révolution. Elles allumaient dans leur propre sein la flamme qui allait régénérer la France. Au moment où le peuple devait abattre l'édifice monstrueux de la noblesse, l'amour effaçait de son côté les inégalités sociales.

      Louise de Bourbon, petite-fille du grand Condé, belle et pieuse, avait toujours mené une vie irréprochable. Elle avait été élevée au couvent (le couvent de Beaumont-lez-Tours) avec toutes les princesses de ce temps-là: mais, différente de beaucoup d'entre elles, madame Louise avait conservé une réputation sans tache et toute blanche comme sa robe de pensionnaire. Quelle surprise et quel scandale, si l'on était venu dire alors: Cette vertu, cette sainte, cette grande fille de trente-deux ans a une affection dans le coeur que vous ne connaissez pas; Son Altesse Sérénissime la princesse de Condé aime un homme que son rang et sa naissance lui défendent d'épouser.—Cet homme obscur était le marquis de La Gervaisais. Leur liaison donna lieu à un commerce de lettres très-tendres qui demeurèrent secrètes jusqu'après 1830. Le marquis, simple officier de carabiniers, était grand admirateur de Werther, de la Nouvelle Héloïse et de Clarisse Harlowe. Impérieux, tracassier, original, grand discuteur, il s'éloignait presque en tout des routes battues. Madame Louise l'adora malgré ou peut-être pour ses singularités. Le coeur de cette princesse était excellent. «Comme il m'aime! s'écriait-elle dans ses lettres; vraiment, si quelque chose pouvait me rendre orgueilleuse, ce serait cela!» Fuir et s'unir à l'étranger par les liens du mariage, on y pensait quelquefois. Oh! combien dans ces moments-là une petite maison au bord d'une rivière, un bateau, une vigne et quelques pigeons flattaient leur imagination troublée! Vains songes! Il fallait qu'elle refoulât son coeur, emprisonnée dans la grandeur comme dans une cage d'or, inquiète et consolée, heureuse et malheureuse à la fois du seul sentiment naturel qui fût entré jusque-là dans son âme: elle n'avait pas connu sa mère. Des scrupules de conscience interrompirent après un an cette correspondance si douce et si contraire aux règles de l'étiquette. Je vis le marquis de La Gervaisais en 1836: c'était un grand vieillard, obsédé par une idée fixe. Dans son enthousiasme nébuleux il parlait sans cesse d'Elle, de l'Être, de l'Âme; on comprenait bientôt à qui s'appliquaient ces désignations mystiques.

      Après la Restauration, la princesse se retira dans le couvent du Temple! Tout enfant, je fus conduit dans cette chapelle par ma grand'mère. Au moment de l'élévation, un grand rideau qui voilait tout le choeur s'ouvrait; on distinguait alors dans un clair-obscur des têtes de religieuses et de novices étagées dans des stalles de bois, puis tout au fond, à genoux sur un prie-dieu, une figure immobile et enveloppée: c'était madame Louise. Triste temps que celui où les princesses du sang royal n'avaient à choisir qu'entre une cour frivole ou le cloître!


Скачать книгу