Aux mines d'or du Klondike du lac Bennett à Dawson City. Léon Boillot

Aux mines d'or du Klondike du lac Bennett à Dawson City - Léon Boillot


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feu détruisit le navire en fort peu de temps, et tout ce qui en resta, ce furent quelques épaves jetées par les flots sur la plage.

      Le vapeur Corona fit naufrage sur les côtes d'une île déserte et fut entièrement démoli et brisé par la fureur des vagues; les passagers se sauvèrent, mais ayant dû attendre là plusieurs jours, par un froid intense, l'arrivée des secours, quelques-uns d'entre eux, à demi vêtus, contractèrent des maladies de poitrine dont ils moururent peu après; en outre, tous les approvisionnements furent perdus, et beaucoup de ces infortunés se trouvèrent dépouillés de tout ce qu'ils possédaient.

      Nous sommes quatre qui partons pour le Klondyke: un Français, moi-même; un fermier de Californie et un mineur, tous deux Américains; un étudiant en médecine d'origine allemande. En chemin, notre caravane se grossira de deux nouveaux membres, un Anglais et un Irlandais.

      Nous nous embarquons sur la Queen; c'est un des meilleurs vapeurs de la flotte, il peut porter environ 600 passagers; inutile de dire que ce nombre est plutôt dépassé. Le mélange est curieux; deux compagnies du 14e d'infanterie des États-Unis envoyées pour faire respecter l'ordre qu'on dit gravement troublé à Skagway et Dyea par le fameux joueur Soapy Smith et sa bande; des chercheurs d'or, mineurs et prospecteurs de tous les pays du monde. Voici les Australiens, de grands et solides gaillards, de six pieds de haut en moyenne, musculeux, aux épaules carrées, larges, aux hanches étroites, ne perdant pas une occasion de dire avec orgueil que c'est en Australie que l'on a trouvé les plus grandes pépites d'or; l'une pesait quelque chose comme 200 kilos et valait environ 400 000 francs. Car, à bord, l'on ne parle que pépites et poudre d'or: il est entendu que c'est l'unique sujet digne de la conversation du moment.

      LE SALON DU VAPEUR «QUEEN».—D'APRÈS UN CROQUIS DE L'AUTEUR. LE SALON DU VAPEUR «QUEEN».—D'APRÈS UN CROQUIS DE L'AUTEUR.

      Voici les Anglais et Canadiens, parmi lesquels les Canadiens Français surtout sont bien représentés; nous pouvons mentionner aussi quelques Africains blancs venant de la colonie du Cap et du Transvaal.

      Ces cheveux jaunes révèlent indubitablement le Suédois, ces yeux bruns et vifs l'Irlandais. L'Américain, aux gestes nerveux, toujours alerte et impatient, va, vient, bouscule, n'est jamais en repos, s'assied pour ne pas rester debout, se lève parce qu'il ne peut tenir en place, a l'air de faire quelque chose, ne fait rien, et se rassied la minute suivante pour repartir aussitôt; d'ailleurs courtois, patient, gentleman. Quelques Français et Italiens, causeurs, gouailleurs, polis, empressés, écorchant l'anglais et les premiers à rire de leur baragouin. Ça et là des nationaux de diverses contrées lointaines. D'où viennent-ils? On n'a jamais pu le savoir, un mutisme concentré étant leur principale caractéristique. Des accords plaqués sur le piano du salon accompagnent une voix qui a dû être belle jadis, et qui roucoule la romance des «Deux petites filles en bleu». Cela nous rappelle que l'élément féminin est présent et, bien qu'en minorité, omnipotent. Il y a là des femmes d'officiers ou de commerçants d'Alaska, des aventurières, ex-prima donna cantatrices ou comédiennes, qui vont jouer le dernier acte de leur drame intime sous les cieux rigoureux de l'Arctique. Les artistes se succèdent au piano: voici un négociant russe habitant New-York qui s'en va avec sa famille à Dawson; il chante Faust, ses filles l'accompagnent; en confidence, il nous déclare qu'il a chanté l'opéra avec Mme X..., bien connue à Paris il y a nombre d'années; nous l'admettons. On trouve à bord une bibliothèque gratuite à l'usage des passagers, et, la navigation étant facile dans cette succession de baies et de canaux, le temps passe sans incident ni mal de mer.

      Nous faisons escale à Victoria, capitale de la Colombie britannique, ville de 30 000 habitants située à l'extrémité sud de l'île de Vancouver et commandant le détroit de Juan de Fuca. C'est une ville anglaise, calme et sérieuse, aux maisons à un, deux, ou au plus trois étages, dans une situation exceptionnelle, d'où la vue s'étend sur la baie avec, au delà, les sommets perpétuellement neigeux de la chaîne Olympique. Un tramway électrique nous conduit à Esquimalt, port militaire, où stationnent à l'ordinaire quelques bâtiments de guerre anglais: on y trouve une cale sèche réputée la plus grande du monde.

      C'est à Victoria qu'il faut se procurer des certificats de mineur. Force donc est de remplir les formalités administratives: au petit jour, la troupe des mineurs s'ébranle vers la ville et bientôt se forme en file indienne à la porte des bureaux. Il y a là près de 200 personnes battant la semelle sur le trottoir, pour se réchauffer. L'attente dure de 7 à 11 heures. C'est payer un peu cher le privilège de déposer 50 francs entre les mains d'un brave fonctionnaire, qui, en échange, il est vrai, vous remet une déclaration par laquelle le gouvernement canadien s'engage à ne pas mettre ses gardes champêtres à vos trousses lorsqu'il vous prendra fantaisie de couper du bois, de pêcher ou de chasser dans les déserts inexplorés du territoire du Nord-Ouest.

      VICTORIA.—DESSIN DE BERTEAULT, D'APRÈS UN CROQUIS DE L'AUTEUR. VICTORIA.—DESSIN DE BERTEAULT, D'APRÈS UN CROQUIS DE L'AUTEUR.

      La navigation intérieure de ces détroits et canaux de la côte du Pacifique est assez délicate; on est presque toujours en vue de la côte, si près même qu'en beaucoup d'endroits le chenal semble laisser à peine assez d'espace pour le passage du bateau. On traverse successivement les détroits de Georgie, de la Reine-Charlotte, de Clarence, de Stephens, et finalement le canal de Lynn, qui est à proprement parler une baie longue et étroite enfermée, de chaque côté, par des montagnes; le paysage est tout à fait celui des fiords de la Norvège: des eaux bleues et généralement calmes, des colosses de granit s'élançant abruptement de la mer jusqu'aux nuages, portant sur leurs épaules massives et anguleuses des neiges et des glaciers, et les flancs couverts d'une végétation luxuriante et serrée, des îles innombrables et boisées, hantées par l'ours et le daim, tandis que l'aigle à tête blanche plane au-dessus des nombreuses bandes d'oies et de canards, peuplant les canaux et bras de mer. En été, des fleurs aux teintes éclatantes, mais presque toujours sans odeur, des baies de tous genres et de toutes les couleurs sont répandues de tous côtés et à profusion. Mais, en somme, en hiver, tout ce qu'on peut apercevoir du paysage, ce sont des sapins, des cèdres, des bouleaux couverts de neige, tandis que les sommets, hauts parfois de 2 000 à 3 000 mètres, se confondent en une teinte neutre avec les nuées flottant de l'un à l'autre. La ligne de direction est droit au Nord: il y a à peu près 10 degrés de latitude entre Seattle et Skagway, soit 1 500 kilomètres en suivant les sinuosités de la côte navigable.

      Le 22 février, grand enthousiasme: c'est la fête de Washington, le patriote, dont la mémoire associée à celle de son ami La Fayette est toujours chère à l'Américain; les comités s'organisent, et la présence d'un ou deux artistes à bord ayant été remarquée, on les invite à dessiner au savon, sur la grande glace de l'escalier du salon, le portrait du grand homme. Après quelques tâtonnements, effaçages et retouches, le chef-d'œuvre est consommé et déclaré parfait par l'unanimité des femmes d'officiers, qui doivent s'y connaître et qui décorent le cadre avec le drapeau étoilé, des fleurs et des guirlandes. Un discours du président ouvre la soirée; l'orateur, après avoir complimenté les dames de leur intrépidité et de leur résolution, les félicite d'être assez courageuses pour consentir à supporter le froid, les frimas, les fatigues, les privations et ce qu'il y a de plus insupportable au monde, c'est-à-dire... l'homme!

      Des chants patriotiques, des morceaux de musique, des déclamations se succèdent et se prolongent très tard dans la soirée; à la fin, chacun se retire dans sa cabine, pleinement satisfait, et le silence ne tarderait pas à régner, n'étaient les nombreux chiens de l'entrepont qui, surexcités par le vacarme inusité de la «célébration», se sont mis, eux aussi, à «célébrer» à pleine gueule et ne sont pas disposés à se restreindre aussi vite que leurs maîtres. Finalement, ils se calment à leur tour, et bientôt tout est tranquille à bord.

      CHIEN DE L'ALASKA. D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE DE M. GOLDSCHMIDT. CHIEN DE L'ALASKA. D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE


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