Aux mines d'or du Klondike du lac Bennett à Dawson City. Léon Boillot

Aux mines d'or du Klondike du lac Bennett à Dawson City - Léon Boillot


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de secours envoyée par le gouvernement des États-Unis à la rescousse des milliers de mineurs et propriétaires supposés en proie à la famine et au froid dans les vastes territoires du Yukon et particulièrement du Klondyke. Une somme d'un million de francs votée par le Congrès fut immédiatement employée à acheter des vivres, des vêtements, à se procurer, en Norvège, des Lapons et des rennes au nombre d'une centaine, enfin à construire une certaine quantité de locomobiles à glace. À l'instar de beaucoup d'autres lieux, les couloirs du Congrès sont pavés de bonnes intentions, mais, dans le cas particulier, le résultat fut désastreux. Les lichens devant servir à la nourriture des rennes ne furent pas préparés et emballés avec soin et se gâtèrent complètement en route, de sorte que les rennes, déjà très éprouvés par le mal de mer, refusèrent d'y toucher et périrent l'un après l'autre, longtemps avant d'avoir vu les côtes d'Alaska. Les Lapons, importés par contrat à raison de 5 000 francs par an et dépenses de voyage payées, durent être rapatriés. Quant aux locomobiles à glace, elles finirent par trouver un emploi dans les colonnes des journaux humoristiques, qui s'en firent des gorges chaudes, et le public avec! Joe Ladue, le fondateur de Dawson, a l'honneur d'être l'inventeur de ce projet grandiose, la prise d'assaut des glaces du Klondyke (et du Pôle) au moyen d'automobiles à patins!

      Jack Dalton, le créateur de la Dalton Trail (piste), lui aussi est un inventeur, mais son idée est plus simple et plus pratique. Il se borne à construire un traîneau consistant en une boîte longue montée sur deux systèmes de glissoires indépendants l'un de l'autre, permettant de contourner les obstacles à angles assez aigus sans crainte de verser. Un cheval attelé à un brancard ordinaire peut, avec ce traîneau, tirer aisément de 1 000 à 1 500 kilos sur une surface de glace unie à pente modérée. Une centaine de ces voitures furent construites par le gouvernement et envoyées à un des ports d'Alaska, où elles demeurèrent empilées dans un hangar; les mules du convoi de l'armée régulière, au nombre de 110 à 120, furent aussi réquisitionnées et embarquées à Seattle, à bord d'un trois-mâts mis à la queue d'un remorqueur. Mais après un jour ou deux de navigation, le vapeur largua son amarre, planta là le navire, les mules et tout le reste et retourna au port! Seul et isolé dans sa dignité, le chef de l'expédition atteignit le port de Dyea, où, après quelques semaines d'attente vague, il rentra dans une obscure médiocrité. Les quelques marchandises qu'il avait amenées avec lui furent, dit-on, vendues à l'encan quelque temps après. Et ainsi finit cette expédition officielle, militaire et gouvernementale, flanquée de mules et de rennes, bardée de traîneaux et de locomobiles, et qui, heureusement pour eux, fut complètement ignorée des soi-disant affamés qui ne l'attendaient pas et n'eurent pas, par conséquent, à pleurer la ruine d'espérances qu'ils n'avaient jamais eues.

      Le 58e degré de latitude est dépassé, et la Queen, après avoir laissé en arrière l'embouchure de la rivière Takou, s'engage dans l'étroit chenal qui sépare l'île Douglas du promontoire où est située la ville de Juneau.

      LA VILLE DE JUNEAU, EN HIVER.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE. LA VILLE DE JUNEAU, EN HIVER.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

      À gauche on aperçoit les constructions et les cheminées de la grande mine d'or de Treadwell, s'avançant jusqu'au bord même de l'eau, car la veine de minerai aurifère sort de la mer ou s'y plonge.

      VUE DE SKAGWAY.—DESSIN DE TAYLOR, D'APRÈS LE CROQUIS DE L'AUTEUR. VUE DE SKAGWAY.—DESSIN DE TAYLOR, D'APRÈS LE CROQUIS DE L'AUTEUR.

      C'est dans ce genre la plus grande mine du monde. Le minerai est de très basse qualité, mais se trouve en quantités si énormes que le roc est traité comme dans une carrière, c'est-à-dire exploité à la mine et par bancs de dimensions considérables; d'après le rapport annuel qui vient d'être publié, la mine est travaillée par 263 blancs et 24 Indiens. Les salaires moyens étaient de 12 fr. 50 par jour pour les mineurs, qui en outre sont logés et nourris. Dans l'année finissant le 31 mai 1898, il s'est miné 254 329 tonnes (de 1 000 kilogr.) et il y avait en vue 4 477 500 tonnes en réserve pour les pilons.

      540 pilons écrasent le minerai et marchent jour et nuit; le coût pour extraire une tonne de minerai s'est élevé à 60 francs et le profit net pour l'année a été de 1 216 305 francs. Les travaux de développement de la mine se poursuivent sur les niveaux, respectivement, de 110, 220, 330 et 440 pieds, le puits le plus profond atteignant 458 pieds, où la veine fut trouvée exactement au point où les calculs l'avaient placée. De ce fait, ajoute le rapport, il n'est pas déraisonnable d'ajouter (aux 4 477 100 tonnes précédentes) 4 000 000 de tonnes de plus de minerai en vue dans la mine. «Comme le profit est en moyenne de 5 francs par tonne, il y a donc, en réserve et en vue, plus de 40 000 000 de francs à retirer de cette fameuse mine de Treadwell.»

      Elle fut payée, dit-on, 2 000 francs par John Treadwell, qui l'acheta en 1882, environ deux ans après la fondation de Juneau par le Canadien Français Joseph Juneau. Ce dernier mène actuellement une existence précaire et misérable à Dawson.

      Juneau, à 3 kilomètres de la mine Treadwell, est un petit port de 2 à 3 000 habitants, la plupart mineurs et prospecteurs, car toute cette partie de l'Alaska est riche en minéraux, on trouve des placers et des veines de quartz aurifères un peu partout: les mines de Silver Bow (l'arc d'Argent) sont bien connues. La ville est bâtie sur la pente d'un plateau formé par l'érosion de rochers presque à pic qui s'élèvent à une hauteur de plus de 1 000 mètres. Quelques hôtels, salons, restaurants, magasins, donnent un peu d'animation aux rues, tandis que de nombreuses Indiennes, squaws enveloppées de couvertures de laine aux couleurs vives s'accroupissent sur la neige au bord des trottoirs et étalent devant elles des bonnets en fourrure, des mocassins, des paniers, des colliers en verroterie, enfin une quantité d'objets de leur confection et que les voyageurs emportent comme souvenirs. Une couple d'heures suffit à visiter la ville, qui, à part le village indien, ses pirogues, une petite église avec clocher construite en troncs d'arbres superposés, n'offre rien de curieux.

      SQUAWS MARCHANDS DE SOUVENIRS À JUNEAU.—D'APRÈS UN CROQUIS DE L'AUTEUR. SQUAWS MARCHANDS DE SOUVENIRS À JUNEAU.—D'APRÈS UN CROQUIS DE L'AUTEUR.

      Le paysage est sévère, grandiose, jusqu'à Skagway, à 150 kilomètres plus au Nord. Nous admirons les cimes dentelées et les glaciers plongeant dans l'Océan, par pente abrupte et sans transition; la nature, comme les conditions économiques, est ici toute en contrastes, ce que nous remarquons d'ailleurs en plus d'une occasion. Tout est matière à surprise dans ce pays étrange.

      LE PORT DE SKAGWAY.—DESSIN DE BERTEAULT, CLICHÉ LA ROCHE À SEATTLE. LE PORT DE SKAGWAY.—DESSIN DE BERTEAULT, CLICHÉ LA ROCHE À SEATTLE.

      Par exemple, le coup d'œil au tournant du promontoire de rochers qui masque la vue de Skagway. Qui s'attendrait à voir soudain, dans ce coin de pays si sauvage et en apparence si désert, apparaître une série de jetées, de quais auxquels s'amarrent des vapeurs, des remorqueurs, des chalands et des voiliers de tout tonnage, gréement, trois-mâts, barques, goélettes, brigantins, etc., canots et pirogues, péniches et périssoires, en un mot le matériel naviguant de tout port de mer qui se respecte? Nous tombons donc en pleine civilisation, et, ce qui le prouve encore, c'est que voici le douanier et le courtier en douane avec lequel il va falloir négocier l'entrée de nos marchandises. Car nous avons dans nos bagages une foule de choses qui payent des droits; c'est un mauvais quart d'heure à passer, mais du moins l'on se dit que c'est le dernier ennui que cause l'excès de civilisation.

       Table des matières

      Skagway, le Sésame du Nord.—La Babel de l'Alaska.—Soapy Smith et sa bande.—Un grec fameux et sa fin.—Le Comité de vigilance des 101.—La foule.—Les


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