Hélika: Memoire d'un vieux maître d'école. Charles DeGuise

Hélika: Memoire d'un vieux maître d'école - Charles DeGuise


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avec de sourds gémissements.

      La cérémonie terminée, Adala toute en larmes se jeta dans les bras de monsieur Fameux. "Ma grand'mère et moi seules désormais sur la terre que deviendrons-nouss, si avec l'aide de Dieu vous ne nous protégez".

      Tes parents, ma chère enfant, lui répondit-il d'une vois émue veillent sur toi du haut du Ciel; sois donc confiante et résignée, tant que Dieu me laissera un souffle de vie, je tiendrai leur place sur la terre; auprès de toi; d'ailleurs, le pauvre vieillard, qui vient de rendre son âme à Dieu, t'a laissé de quoi compléter ton éducation et vivre richement. Bénis la Providence pour ce qu'elle a fait, car dans ses inscrutables desseins, elle donne en abondance d'une main ce qu'elle paraît ôter de l'autre. Tu dois d'ailleurs, d'après l'ordre de ton bienfaiteur, abandonner la vie des bois, venir au sein de le civilisation, ou tu rencontreras plus de protection et te préparer à y remplir la mission que le ciel te destine.

      Ce fut avec une voix pleine d'émotion et de reconnaissance qu'Adala remercia M. Fameux de ces bonnes paroles. Pour nous, après cet entretien, nous n'eûmes, au gré de nos désirs, que bien peu d'occasions de la revoir. Toujours sous la surveillance de la vieille sauvagesse; elle l'aidait à préparer nos repas, à renouveler le sapin de nos lits, pendant que nous passions nos journées à la chasse ou à la pêche et que le bon missionnaire explorait les terres.

      La journée finie nous nous retrouvions le soir au coin du feu et nous racontions les exploits du jour avec leurs incidents; puis l'heure du repos arrivée, nous donnions, dans nos prières, un souvenir au pauvre vieillard qui venait de nous laisser. Le lendemain, quelque matinal que fut notre déjeuner, il était toujours prêt. La bonne indienne et Adala nous l'avaient préparé avec le plus grand soin.

      Nos coeurs jeunes et neufs de toutes impressions devaient céder aux attraits de cette enfant des bois, qui avait pour nous le parfum et la suavité d'une fleur sauvage, poussée sous l'ombrage des grands arbres de nos bosquets. Sa séduisante beauté et sa grâce naturelle étaient rehaussées encore s'il était possible, par la tristesse répandue sur ses traits et par ses habits de deuil.

      Est-il étonnant que ses charmes produisent leur effet sur nous. Bois Hébert, l'un de mes compagnons, se prit à l'aimer avec toute la force et l'ardeur du son tempérament de feu, et jamais dans le cours de sa vie son amour se ralentit un seul instant.

      Pourquoi, ne vous avouerai-je pas que je cédai à l'entraînement, que je l'aimai moi aussi comme on ne peut aimer qu'une seule fois dans la vie, c'est vous dire qu'elle fut mon premier et mon dernier amour. Bois Hébert était beau, riche et noble, brave comme un lion, il possédait de plus un caractère d'or et une générosité qui ne se démentit jamais; aussi obtint-il facilement la préférence sur moi, qui n'avais autre chose à lui offrir qu'un coeur dévoué.

      Ce qui vous surprendra peut-être encore plus, c'est que j'ai toujours été à l'un et à l'autre le plus sincère et intime ami, partageant avec Bois Hébert toutes les péripéties de sa vie aventureuse, et reprenant dans les temps de calme mes fonctions de précepteur auprès de ses enfants quand il eut épousé Adala.

      Pardonnez, ajouta monsieur d'Olbigny, au vieillard, les pleurs qui coulent de ses yeux, et permettez-moi de tirer le rideau sur ces souvenirs qui m'émeuvent encore malgré moi. D'ailleurs, si quelqu'un d'entre nous en ressent le courage après la lecture de ces pages, il pourra voir l'histoire de leur vie dans le "Braillard de la Magdeleine".

      Je reprends la lecture du manuscrit, c'était, si vous vous en rappelez au sortir de l'église et après que Hélika eut reçu les embrassements de sa mère, pour prendre les grands bois.

      Où allais-je? où ai-je été? Qu'ai-je fait? Je n'en sais rien. J'étais habitué au collège aux plus violents exercices. En gymnase j'étais de première habileté et l'on me considérait comme un très grand marcheur; ma force et ma vigueur étaient réputées extraordinaires.

      Lorsque la connaissance me revint, j'éprouvai une grande lassitude dans les jambes, je marchais encore mais d'un mouvement automatique. Je devais être bien loin, mon pauvre chien ne me suivait plus que difficilement, et le soleil était monté sur les onze heures du matin. Mon front était brûlant et je frissonnais parce qu'une fièvre ardente me dévorait. J'étais auprès d'un petit ruisseau où coulait une eau fraîche et limpide; j'y trompai mon mouchoir et m'en enveloppai la tête; cette application me fit du bien. Je tirai ensuite de mon havre-sac quelques aliments, mais je ne pus pas même les approcher de ma bouche; je les jetai à mon chien qui les dévora. Quelques instants après, je dormais profondément, Je n'avais pas fermé l'oeil depuis longtemps et avais toujours marché depuis le matin de la veille. Grâce à ma forte constitution, lorsque je m'éveillai le lendemain, la fièvre avait disparu complètement et mes idées étaient parfaitement lucides.

      Le soleil s'était levé dans tout son éclat; un nid de fauvettes placé sur une branche auprès de moi, était balancé par la brise du matin. Le père secouant ses ailes toutes humides des gouttes de rosée, adressait au Créateur ses notes d'amour et de reconnaissance, pendant que la mère distribuait à la famiile la becquée du matin. Un instant, une seconde peut-être, je les contemplai avec plaisir; mais tout A coup, le démon de la jalousie me souffla le mot Marguerite, Marguerite, depuis deux jours et une nuit dans les bras d'Octave. Oh! alors je bondis dans un transport de rage inexprimable. Je saisis mon fusil, ajustai le musicien ailé et fis feu J'avais bien visé, le chantre qui m'avait éveillé par son ramage, tomba mort à mes pieds, la mère mortellement blessée roula un peu plus loin; tandis que je lançai le nid et la couvée par terre et les écrasai sous mes pieds. Leur bonheur, leur gaîté m'avaient paru une provocation dérisoire.

      Fou, furieux, je m'enfonçai encore plus avant dans la forêt. Ma conscience m'avertissait de prendre garde, que j'allais en finir avec la vie honnête et et entrer dans la carrière du crime. Mais une autre voix me soufflait les mots vengeance, vengeance, et malheureusement, ce fut cette dernière qui l'emporta. Dès ce moment je n'eus donc plus qu'une idée fixe, inflexible, inexorable. Ce fut de tirer contre Octave et Marguerite, une vengeance terrible parce que dans ma folle méchanceté, je les accusais d'avoir empoisonné le bonheur de mon existence.

      Je l'avoue aujourd'hui, après cet acte de barbarie, j'eus peur de moi, quand je sondai l'abîme des maux dans lequel j'allais m'enfoncer. Jamais une créature vivante n'avait été mise à mort par moi, pour le seul plaisir de voir couler son sang ou par méchanceté. Mais de ce jour, le génie du mal s'empara de moi et se garda bien de lâcher sa proie; pour la première fois, je vis le sang avec une joie féroce.

      Je continuai donc ma marche en m'avançant du plus en plus dans la forêt; je marchai encore plusieurs jours, ne sachant où j'allais. Les étoiles et la lune, la nuit, le soleil, le jour, me servaient de boussole, et ma fureur, ma jalousie augmentaient à chaque pas. Tout en cheminant, je méditais, je m'ingéniais à trouver quelle pourrait être la plus grande souffrance que je pourrais leur infliger.

      Le meurtre ou l'empoisonnement d'Octave se présentèrent bien à mon esprit, je tressaillis d'abord à cette idée, qu'Octave mort, je pourrais encore espérer de devenir le mari de Marguerite; mais en y réfléchissant, je songeai qu'elle n'était plus aujourd'huit cette chaste et candide jeune fille que j'avais connue, et ma rage s'en augmenta encore s'il était possible. Pour la satisfaire, je sentis qu'il me fallait inventer d'autres tortures que tous deux devaient partager. Il me les fallait terribles mais incessantes.

      Depuis cinq jours que j'avais laissé la maison paternelle, j'errais à l'aventure lorsqu'un matin j'arrivai sur le bord d'une clairière. Au milieu, une biche, nonchalamment couchée, suivait avec orgueil et amour les ébats d'un jeune faon qui folâtrait auprès d'elle. Ils étaient tous deux dans une parfaite sécurité. J'avais des provisions en abondance; mais l'instinct féroce déjà me dominait. J'ajustai donc le faon, le coup partit et il tomba à deux pas de sa mère. Un jet de sang s'échappa de sa poitrine. Surprise d'abord, la malheureuse biche regarda autour d'elle pour se rendre compte sans doute du lieu d'où venait le danger, puis ses regards se portèrent sur son petit. Il était étendu par terre, ses membres s'agitaient et se raidissaient sous l'étreinte d'une suprême agonie. D'un bond elle fut auprès de lui, et lorsqu'elle aperçut


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