Les énigmes de l'Univers. Ernst Haeckel
l'homme sain; il chercha dans des transformations imperceptibles des cellules malades et des tissus constitués par leur ensemble, la véritable cause de ces transformations plus apparentes qui, sous l'aspect de «maladies», menacent l'organisme vivant de danger et de mort. Pendant les sept années, surtout, qu'il fut professeur à Würzbourg (1849-1856), Virchow s'acquitta avec un tel succès de la tâche qu'il s'était proposée, que sa Pathologie cellulaire (publiée en 1858) ouvrit brusquement, devant la pathologie tout entière et devant la médecine pratique appuyée sur elle, des voies nouvelles, hautement fécondes. Quant à nous et à la tâche que nous nous sommes proposée, l'importance capitale qu'offre pour nous cette réforme de la médecine vient de ce qu'elle nous conduit à une conception purement scientifique et moniste de la maladie. L'homme malade, aussi bien que l'homme sain, sont donc soumis aux mêmes «éternelles lois d'airain» de la physique et de la chimie, que tout le reste du monde organique.
Physiologie des Mammifères.—Parmi les nombreuses classes d'animaux (50 à 80) que distingue la zoologie moderne, les Mammifères, non seulement au point de vue morphologique, mais encore au point de vue physiologique, occupent une place tout à fait à part.
Et puisque l'homme, par la structure tout entière de son corps, appartient à la classe des Mammifères, nous pouvons nous attendre à l'avance à ce que le caractère spécial de ses fonctions lui soit commun avec les autres Mammifères. Et de fait, il en va bien ainsi. La circulation et la respiration s'accomplissent chez l'homme absolument en vertu des mêmes lois et sous la même forme particulière que chez tous les autres Mammifères—et chez eux seuls—; elle résulte de la structure spéciale et très complexe de leur cœur et de leurs poumons. C'est chez les Mammifères seulement que tout le sang artériel est emporté du ventricule gauche et conduit dans le corps par un seul arc aortique—situé, partout, à gauche—tandis que chez les Oiseaux il est situé à droite et que chez les Reptiles, les deux arcs fonctionnent. Le sang des Mammifères diffère de celui de tous les autres Vertébrés par ce fait que le noyau des globules rouges a disparu (par régression). Les mouvements respiratoires, dans cette classe seulement, s'effectuent surtout grâce au diaphragme, parce que celui-ci ne forme que chez les Mammifères une cloison complète entre les cavités thoracique et abdominale. Mais le caractère le plus important de cette classe parvenue à un si haut degré de développement, c'est la production de lait dans les glandes mammaires et le mode spécial d'élevage des jeunes, conséquence du fait qu'ils sont nourris par le lait maternel. Et comme cet allaitement exerce une influence capitale sur d'autres fonctions, comme l'amour maternel des Mammifères a racine dans ce mode de rapports si étroits entre la mère et le jeune, le nom donné à la classe nous rappelle à juste titre la haute importance de l'allaitement chez les Mammifères. Des millions de tableaux, dus la plupart à des artistes de premier rang, glorifient la Madone avec l'enfant Jésus, comme l'image la plus pure et la plus sublime de l'amour maternel, de ce même instinct dont la forme extrême est la tendresse exagérée des mères-singes.
Physiologie des singes.—Puisqu'entre tous les Mammifères les singes se rapprochent le plus de l'homme par l'ensemble de leur conformation, on peut prévoir à l'avance qu'il en ira de même en ce qui regarde les fonctions physiologiques; et, de fait, il en va bien ainsi. Chacun sait combien les habitudes, les mouvements, les fonctions sensorielles, la vie psychique, les soins donnés aux jeunes sont les mêmes chez les singes et chez l'homme. Mais la physiologie scientifique démontre la même identité capitale également sur des points moins remarqués: le fonctionnement du cœur, la sécrétion glandulaire et la vie sexuelle. A cet égard, un détail surtout curieux, c'est que chez beaucoup d'espèces de singes les femelles, parvenues à l'âge adulte, sont régulièrement exposées à un écoulement de sang provenant de l'utérus et qui correspond à la menstruation (ou «règles mensuelles») de la femme. La sécrétion du lait par la glande mammaire et la façon dont le jeune tête, se font encore absolument de la même manière chez la femelle du singe et chez la femme.
Enfin, un fait particulièrement intéressant, c'est que la langue des sons chez les singes apparaît à l'examen de la physiologie comparée, comme l'étape préalable vers la langue articulée de l'homme. Parmi les singes anthropoïdes encore existants, il y en a dans l'Inde une espèce qui est musicienne: l'hylobates syndactilus chante et sa gamme de sons, parfaitement purs et mélodieux, progressant par demi-tons, s'étend sur un octave.
Pour un linguiste impartial, il n'y a plus moyen de douter aujourd'hui que notre «langue des concepts», si perfectionnée, ne se soit développée lentement et progressivement à partir de la «langue des sons» imparfaite de nos ancêtres, les singes du pliocène.
CHAPITRE IV
Notre Embryologie
Études monistes d'ontogénie humaine et comparée.—Identité de développement de l'embryon et de l'adulte, chez l'homme et chez les Vertébrés.
L'homme est-il un être spécial? Est-il produit par un autre procédé qu'un chien, un oiseau, une grenouille ou un poisson? Donne-t-il ainsi raison à ceux qui affirment qu'il n'a pas place dans la Nature et n'a aucune parenté réelle avec le monde inférieur de la vie animale? Ou bien ne sort-il pas d'un germe identique, ne parcourt-il pas lentement et progressivement les mêmes modifications que les autres êtres? La réponse n'est pas un instant douteuse et n'a pas été l'objet du moindre doute pendant les trente dernières années. Il n'y a pas non plus moyen d'en douter: le mode de formation et les premiers stades de développement sont identiques chez l'homme et chez les animaux situés immédiatement au-dessous de lui dans l'échelle des êtres: il n'y a pas moyen d'en douter, sous ces rapports, il est plus près du singe que le singe du chien.
Th. Huxley (1863).
SOMMAIRE DU CHAPITRE IV
L'embryologie à ses débuts.—Théorie de la préformation.—Théorie de l'emboîtement. Haller et Leibniz.—Théorie de l'épigenèse. C. F. Wolff.—Théorie des feuillets germinatifs.—C. E. Baer.—Découverte de l'œuf humain. Remak. Kölliker.—L'ovule et l'embryon.—Théorie gastréenne.—Protozoaires et Métazoaires.—L'ovule et le spermatozoïde humains.—Oscar Hertwig.—Conception.—Fécondation.—Ebauche de l'embryon humain.—Identité entre les embryons de tous les Vertébrés.—Les enveloppes embryonnaires chez l'homme.—Amnion, Serolemme et Allantoïde.—Formation du placenta et arrière-faix.—Membrane criblée et cordon ombilical.—Le placenta discoïde des singes et de l'homme.
LITTÉRATURE
C. E. Baer.—Ueber Entwickelungsgeschichte der Thiere. Beobachtung und Reflexion. 1828.
A. Kœlliker.—Grundriss der Entwickelungsgeschichte des Menschen und der höheren Thiere (2te Aufl. 1884).
E. Haeckel.—Studien zur Gastræa Theorie. Iéna, 1873-1884.
O. Hertwig.—Lehrbuch der Entwickelungsgeschichte des Menschen und der Wirbelthiere (Vte Aufl. 1896).
J. Kollmann.—Lehrbuch der Entwickelungsgeschichte des Menschen (1898).
H. Locher-Wild.—Ueber Familien-Anlage und Erblichkeit. Eine wissenschaftliche Razzia (Zurich, 1874).
Ch. Darwin.—De la variabilité chez les animaux et les plantes à l'état de domestication (trad. franç. de E. Barbier).
E. Haeckel.—Anthropogenie. Gemeinverständliche wissenschaftliche Vorträge ueber Entwickelungsgeschichte des Menschen, IVte Aufl. 1891.
Plus encore que l'anatomie et la physiologie comparées, l'ontogénie, l'histoire du développement de l'individu est la création de notre XIXe siècle. Comment l'homme se développe-t-il dans la matrice? Et comment se développent les animaux en sortant de l'œuf? Comment se développe la plante en sortant de