Les deux nigauds. Comtesse de Ségur
comme Léonce qui est entré au collège Stanislas.
MADAME BONBECK.—Si c'est pour porter un uniforme, je te ferai recevoir dans les enfants de troupe, grand nigaud; tu aurais bien par-ci par-là quelques coups de fouet et tes camarades à tes trousses, mais tu courrais les champs et tu ne pâlirais pas sur ces diables de grec et de latin auxquels ils ne comprennent rien, quoi qu'ils en disent.
INNOCENT.—Papa veut bien que j'entre en pension, ma tante; et il ma dit que j'entrerais dans la pension des Jeunes savants.
MADAME BONBECK.—Ânes savants, tu veux dire, nigaud?
Innocent n'osa pas répliquer; Mme Bonbeck lui donna en riant une tape sur les reins, et s'assit dans un fauteuil. Elle interrogea les Polonais, qui lui racontèrent les aventures du voyage de Prudence et des enfants; elle rit à se pâmer; sa gaieté gagna, les Polonais et même les enfants.
—Je vois que vous êtes de bons enfants, dit-elle aux Polonais. Où demeurez-vous? que faites-vous?
BOGINSKI.—Nous n'avons pas de demeure et pas rien à faire.
MADAME BONBECK.—De quoi vivez-vous?
BOGINSKI.—Gouvernement donne un franc cinquante par jour.
MADAME BONBECK.—Mais c'est une horreur! Comment peut-on vous faire vivre avec si peu de chose? Écoutez-moi, mes amis; moi qui n'ai pas comme le gouvernement dix ou quinze mille Polonais à nourrir, Je vous offre une chambrette chez moi. Je ne suis pas riche, mais j'ai bon coeur, moi. Vous m'aiderez à faire marcher mon ménage et vous aiderez Croquemitaine. Est-ce entendu? cela vous convient-il?
BOGINSKI.—Mâme Bonbeck très bonne; mon camarade et moi très contents, très reconnaissants. Nous faire tout pour Marne Bonbeck et Marne Croquemitaine.
MADAME BONBECK.—Cest bien; suivez-moi tous, je vais vous établir chacun chez vous.
Mme Bonbeck sortit suivie des enfants, des Polonais, de l'amour des chiens et de l'amour des chats; ils marchèrent vers la cuisine en traversant la salle à manger, la chambre de Mme Bonbeck, la chambre destinée à Innocent, à Simplicie et à Prudence, ensuite un bout du corridor, puis la cuisine, où Croquemitaine fit connaissance avec Prudence.
MADAME BONBECK.—Tiens, Croquemitaine, je t'amène de bons garçons qui vont t'aider et qui nous feront rire.
CROQUEMITAINE.—Madame veut loger ces messieurs?
—Et où Madame veut-elle les mettre?
MADAME BONBECK.—C'est ton affaire, mets-les où tu voudras, couche-les comme tu pourras, et fais-les marcher rondement. Ils ont de drôles de noms, va; celui-ci s'appelle Boginski, et l'autre, Polonais pur sang, Cozrrrbrrrgrr… je ne sais quoi. Nous l'appellerons Coz pour abréger. Là! vous, voilà installés, les Polonais. Venez, vous autres, et toi aussi, Prude, tu vas défaire la malle des enfants.
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