La Saga de Njal. Anonyme
et le fit asseoir à côté de lui. Gunnar fut là un demi-mois. Le roi prenait plaisir à faire lutter Gunnar contre ses hommes en toutes sortes de prouesses; et il n'y en avait pas un qui en une seule prouesse fût son égal. Le roi dit à Gunnar; «Il me semble que nulle part on ne trouverait ton pareil». Et il lui offrit de lui donner une femme et beaucoup de terres à gouverner, s'il voulait s'établir là. Gunnar remercia le roi de son offre et dit: «Je veux d'abord aller en Islande trouver mes amis et mes parents».--«Alors tu ne reviendras jamais vers nous» dit le roi,--«Le destin décidera, seigneur» dit Gunnar. Gunnar donna au roi un bon vaisseau long et beaucoup d'autres choses précieuses, qu'il avait prises en guerroyant. Le roi lui donna son vêtement d'honneur et des gants brodés d'or, et un bandeau pour le front, avec un bouton d'or dessus et un bonnet russe.
Gunnar partit, et vint au nord, à Hising. Ölvir le reçut à bras ouverts. Il rendit à Ölvir ses vaisseaux, et dit que c'était sa part de butin. Ölvir prit les trésors et dit que Gunnar était un bon compagnon, et il le pria de rester là quelque temps. Hallvard demanda à Gunnar s'il voulait aller trouver le jarl Hakon. Gunnar dit qu'il avait cela en tête: «car maintenant j'ai fait quelque peu mes preuves; et je n'en étais pas là, quand tu m'as proposé cela d'abord».
Après cela ils s'apprêtèrent à partir et s'en allèrent au nord à Thrandheim trouver le jarl Hakon. Il reçut bien Gunnar et le pria de rester avec lui pendant l'hiver. Gunnar consentit à cela. Tous les hommes qui étaient là pensaient grand bien de lui. Après la fête de Jol le jarl lui donna un anneau d'or. Gunnar prit de l'inclination pour Bergljot, parente du jarl; et on voyait bien à l'air du jarl, qu'il la lui aurait donnée à épouser, si Gunnar avait demandé cela si peu que ce fût.
XXXII
Au printemps le jarl demanda à Gunnar quel projet il avait en tête. Gunnar dit qu'il voulait aller en Islande. Le jarl dit que l'année avait été mauvaise dans le pays «et il y aura peu de vaisseaux qui s'en iront au loin: pourtant tu auras de la farine et du bois sur ton vaisseau, tant que tu en voudras». Gunnar le remercia et mit son vaisseau au plus vite en état de partir. Hallvard partit avec lui et Kolskegg.
Ils arrivèrent de bonne heure, en été, et débarquèrent à Arnarbæli, et c'était avant le ting. Gunnar quitta son vaisseau et chevaucha tout droit chez lui; il laissa des hommes pour décharger le vaisseau, et Kolskegg vint avec lui. Quand ils arrivèrent à la maison, leurs hommes furent joyeux de les voir. Ils étaient doux avec leurs gens, et ils n'avaient pas plus de hauteur qu'avant leur absence.
Gunnar demanda si Njal était chez lui. On lui dit qu'il y était. Il fit alors amener son cheval et s'en alla à Bergthorshval et Kolskegg avec lui. Njal fut joyeux de leur arrivée et les pria de rester là pendant la nuit. Ils le firent, et Gunnar lui conta ses voyages. Njal dit qu'il était maintenant le plus vaillant de tous «et tu as fait tes preuves en maint endroit. Mais tu en feras encore davantage à partir d'aujourd'hui; car beaucoup de gens seront jaloux de toi».--«Je voudrais être bien avec tous» dit Gunnar.--«Il arrivera beaucoup de choses, dit Njal, et tu auras souvent à te défendre».--«J'aurai ceci pour moi, dit Gunnar, que le bon droit sera de mon côté».--«Et il en sera ainsi, dit Njal, si tu n'as pas à payer pour d'autres».
Njal demande à Gunnar s'il pense à aller au ting. Gunnar dit qu'il ira, et demande si Njal doit y aller. Mais Njal dit qu'il n'y songe pas «et j'aurais voulu que tu fisses de même» ajoute-t-il.
Gunnar revint chez lui; avant de partir il fit à Njal de beaux présents et le remercia d'avoir pris soin de ses biens. Kolskegg son frère le pressait d'aller au ting: «Ta gloire s'étendra au loin, disait-il; car plus d'un viendra là pour te voir».--«Ce n'est guère mon habitude, dit Gunnar, de me donner en spectacle; mais c'est une bonne chose, à ce qu'il me semble, de rencontrer de braves gens».
Hallvard était arrivé à son tour, et il offrit d'aller au ting avec eux.
XXXIII
Gunnar monta à cheval, et les autres avec lui, pour aller au ting. Et quand ils arrivèrent, ils étaient si bien équipés, qu'il n'y en avait pas un seul là qui fût équipé de même; et les hommes sortaient de toutes les huttes et s'émerveillaient de les voir.
Gunnar chevaucha jusqu'aux huttes de ceux de la Ranga, et il demeura là avec ses parents. Beaucoup d'hommes venaient le trouver et lui demander des nouvelles. Il était avec tout le monde affable et gai, et disait à chacun ce qu'il voulait savoir.
Il arriva, un jour, que Gunnar venait du tertre de la loi. Il passait devant la hutte de ceux de Mosfell. Il vit des femmes venir à sa rencontre, et elles étaient vêtues de beaux habits. Celle qui était en tête était la mieux vêtue de toutes. Et quand ils se rencontrèrent, elle parla tout de suite à Gunnar. Il lui rendit son salut et demanda qui elle était. Elle dit qu'elle se nommait Halgerd et qu'elle était fille d'Höskuld fils de Dalakol. Elle lui parlait hardiment, et elle le pria de lui conter ses voyages. Et il dit qu'il ne pouvait pas refuser de l'entretenir. Alors ils s'assirent et parlèrent ensemble. Elle était vêtue ainsi: elle avait une robe rouge, tout à fait magnifique. Elle avait par-dessus un grand manteau d'écarlate, orné de galons au bord. Ses cheveux tombaient sur sa poitrine, et ils étaient longs et beaux. Gunnar avait sur lui le vêtement d'honneur que le roi Harald fils de Gorm lui avait donné. Il avait au bras l'anneau de Hakon. Ils parlèrent longtemps tout haut. Ils en vinrent là qu'il demanda si elle n'était pas mariée. Elle dit qu'elle ne l'était pas «et il n'y en a pas beaucoup qui en courraient la chance», dit-elle.--«Penses-tu que nul n'est assez bon pour toi?» dit-il.--«Ce n'est pas cela, dit-elle; mais il faut que je sois prudente dans mon choix».--«Comment répondrais-tu si je te demandais en mariage?» dit Gunnar.--«Tu n'y penses pas» dit-elle.--«Tu te trompes» dit-il.--«Si c'est vraiment ton idée, dit-elle, va trouver mon père». Et après cela ils cessèrent l'entretien.
Gunnar alla tout droit à la hutte de ceux des vallées; il trouva des hommes dehors devant la hutte, et demanda si Höskuld était dedans. Et ils dirent qu'il y était certainement. Gunnar entra. Höskuld et Hrut le reçurent bien. Il s'assit entre eux deux, et il ne semblait pas à leur conversation, qu'il y eût eu entre eux la moindre inimitié. Le discours de Gunnar en vint là, qu'il demanda quelle réponse les deux frères lui feraient, s'il prétendait à la main d'Halgerd. «Une bonne, dit Höskuld, si tu y as bien pensé». Gunnar dit que c'était tout à fait sérieux «mais nous nous sommes quittés la dernière fois de telle manière, que bien des gens penseront qu'il vaudrait mieux ne pas faire d'alliance entre nous».--«Que te semble de ceci, Hrut, mon frère?» dit Höskuld. Hrut répondit: «Il me semble que ce ne serait pas un mariage bien assorti».--«Qu'y trouves-tu à redire?» dit Gunnar. Hrut dit: «Je vais te répondre là dessus selon la vérité: Tu es un vaillant homme, et un homme d'honneur, mais elle, elle est trompeuse, et je ne veux te faire tort en rien».--«Grand bien t'en fasse, dit Gunnar, mais je tiendrai ceci pour vrai, que vous vous rappelez notre ancienne querelle, si vous ne voulez pas m'accorder ma demande».--«Ce n'est pas cela, dit Hrut; c'est plutôt parce que je vois que tu ne sauras pas lui tenir tête. Mais si nous ne faisons pas le marché, nous voulons pourtant être tes amis». Gunnar dit: «J'ai parié avec elle, et elle n'est pas éloignée de cette idée». Hrut dit: «Je sais que c'est ainsi, et que tous les deux vous en avez envie. C'est vous deux aussi qui courez le plus de risques, quant à la manière dont cela tournera». Et Hrut dit à Gunnar, sans que Gunnar l'eût demandé, tout ce qui concernait l'humeur d'Halgerd. Et Gunnar fut d'abord d'avis que tout n'était pas comme il aurait fallu. Et pourtant il arriva à la fin que leur marché fut conclu.
Alors on envoya chercher Halgerd, et on parla de l'affaire, elle étant présente. Ils firent comme la première fois, et la laissèrent se fiancer elle-même. On convint que la noce se ferait à Hlidarenda, et que la chose serait d'abord tenue secrète; mais il arriva que chacun le sut.