Psychopathia Sexualis avec recherches spéciales sur l'inversion sexuelle. R. von Krafft-Ebing
malade devint neurasthénique, souffrit de pollutions, essaya de se guérir par la fréquentation des maisons publiques, mais il n'arriva jamais à avoir une érection. Il fit alors des efforts pour acquérir des sentiments sexuels normaux en recherchant la société des dames convenables. Mais il reconnut bientôt qu'il était insensible aux charmes du beau sexe.
Le malade est un homme de constitution physique normale, intelligent et doué d'un bel esprit. Il n'y a chez lui aucun penchant pour les personnes de son propre sexe.
Mon ordonnance médicale consista en préceptes pour combattre la neurasthénie et pour arrêter les pollutions. Je lui défendis la masturbation psychique et manuelle, je l'engageai à se tenir à l'écart de toute excitation sexuelle, et je lui fis prévoir un traitement hypnotique pour le ramener tout doucement à la vita sexualis normale.
Observation 38.—Sadisme larvé. N..., étudiant, est venu au mois de décembre 1890 à ma clinique. Depuis sa plus tendre jeunesse, il se livre à la masturbation. D'après ses assertions, il a été sexuellement excité en voyant son père appliquer une correction à ses frères, et plus tard, lorsque le maître d'école punissait les élèves. Témoin de ces actes, il éprouvait toujours des sensations voluptueuses. Il ne sait pas dire au juste à quelle date ce sentiment s'est pour la première fois manifesté chez lui; vers l'âge de six ans cela a déjà pu se produire. Il ne sait pas non plus précisément quand il a commencé à se masturber, mais il affirme nettement que son penchant sexuel a été éveillé à l'aspect de la flagellation des autres et que c'est ce fait qui l'a amené inconsciemment à se masturber. Le malade se rappelle bien que, dès l'âge de quatre ans jusqu'à l'âge de huit ans, il a été, lui aussi, à plusieurs reprises, fouetté sur le derrière, mais qu'il n'en a ressenti que de la douleur, jamais de la volupté. Comme il n'avait pas toujours l'occasion de voir battre les autres, il se représentait ces scènes dans son imagination. Cela excitait sa volupté, et alors il se masturbait. Toutes les fois qu'il le pouvait, il s'arrangeait à l'école de façon à pouvoir assister à la correction appliquée aux autres. Parfois il éprouvait le désir de fouetter lui-même ses camarades. À l'âge de douze ans, il sut décider un camarade à se laisser battre par lui. Il en éprouva une grande volupté. Mais lorsque l'autre prit sa revanche et le battit à son tour, il ne ressentit que de la douleur.
Le désir de battre les autres n'a jamais été très fort chez lui. Le malade trouvait plus de satisfaction à jouir des scènes de flagellation qu'il évoquait dans son imagination. Il n'a jamais eu d'autres tendances sadiques, jamais le désir de voir couler du sang, etc.
Jusqu'à l'âge de quinze ans, son plaisir sexuel fut la masturbation jointe au travail d'imagination dont il est fait mention plus haut.
À partir de cette époque, il fréquenta les cours de danse et les demoiselles; alors ses anciens jeux d'imagination cessèrent presque complètement et n'évoquèrent que faiblement des sensations voluptueuses, de sorte que le malade les a tout à fait abandonnés. Il essaya alors de s'abstenir de la masturbation, mais il n'y réussit pas, bien qu'il fît souvent le coït et qu'il y éprouvât plus de plaisir que dans la masturbation. Il voudrait se débarrasser de l'onanisme, qu'il considère comme une chose indigne. Il n'en éprouve pas d'effets nuisibles. Il fait le coït une fois par mois, mais il se masturbe chaque nuit une ou deux fois. Il est maintenant normal au point de vue sexuel, sauf l'habitude de la masturbation. On ne trouve chez lui aucune trace de neurasthénie. Ses parties génitales sont normales.
Observation 39.—L. P..., quinze ans, de famille de haut rang, est né d'une mère hystérique. Le frère et le père de Mme P... sont morts dans une maison de santé.
Deux frères du jeune P... sont morts, pendant leur enfance, de convulsions. P... a du talent, il est sage, calme, mais, par moments, coléreux, entêté et violent. Il souffre d'épilepsie et se livre à la masturbation. Un jour, on découvrit que P..., en donnant de l'argent à un camarade pauvre, nommé B... et âgé de quatorze ans, avait décidé ce dernier à se laisser pincer aux bras, aux cuisses et aux fesses. Quand B... se mit à pleurer, P... s'excita, frappa de la main droite sur B..., tandis qu'avec la gauche il farfouillait dans la poche gauche de son pantalon.
P... avoua que le mauvais traitement qu'il avait infligé à son ami, qu'il aimait d'ailleurs beaucoup, lui avait causé un plaisir particulier. Comme, pendant qu'il battait son ami, il se masturbait, l'éjaculation qui en fut la suite, disait-il, lui procura plus de plaisir que celle de la masturbation solitaire. (V. Gyurkovochky, Pathologie und Therapie der männlichen Impotenz, 1889, p. 80.)
Dans tous ces mauvais traitements d'origine sadique exercés sur des garçons, on ne peut pas admettre une combinaison du sadisme avec l'inversion sexuelle, comme cela arrive quelquefois aux personnes atteintes d'inversion sexuelle.
Il n'y a aucun signe positif en faveur de cette hypothèse; d'ailleurs, l'absence d'inversion sexuelle ressort aussi de l'examen du groupe suivant où, à côté de l'objet des mauvais traitements, l'animal, le sens de l'instinct pour la femme se fait souvent assez bien sentir.
G.—ACTES SADIQUES SUR DES ANIMAUX
Dans bien des cas, des hommes sadiques et pervers qui reculent devant un crime commis sur des hommes, ou qui, en général, ne tiennent qu'à voir souffrir un être vivant quelconque, ont recours à la torture des animaux ou au spectacle d'un animal mourant pour exciter ou augmenter leur volupté.
Le cas rapporté par Hofman dans son Cours de médecine légale est très caractéristique.
D'après les dépositions de plusieurs prostituées devant le tribunal de Vienne, il y avait, dans la capitale autrichienne, un homme qui, avant de faire l'acte sexuel, avait l'habitude de s'exciter en torturant et en tuant des poulets, des pigeons et d'autres oiseaux. Cette habitude lui avait valu, de la part des prostituées, le sobriquet du «Monsieur aux poules» (Hendlherr).
Une observation de Lombroso est très précieuse pour expliquer ces faits. Il a observé deux hommes qui, toutes les fois qu'ils tuaient des poulets ou des pigeons, avaient une éjaculation.
Dans son Uomo delinquente, p. 201, le même auteur raconte qu'un célèbre poète était toujours très excité sexuellement toutes les fois qu'il voyait dépecer un veau qu'on venait de tuer ou qu'il apercevait de la viande saignante.
D'après Mantegazza, des Chinois dégénérés auraient l'habitude de se livrer à un sport horrible qui consisterait à sodomiser des canards et à leur couper le cou avec un sabre tempore ejaculationis(!).
Mantegazza (Fisiologia del piacere, 5e éd., p. 394-395) rapporte qu'un homme qui avait vu couper le cou à un coq, avait depuis ce moment la passion de fouiller dans les entrailles chaudes et sanglantes d'un coq tué, parce que, ce faisant, il éprouvait une sensation de volupté.
Dans ce cas et dans les cas analogues, la vita sexualis est ab origine, telle que la vue du sang et du meurtre provoque des sentiments voluptueux.
Il en est de même dans le cas suivant.
Observation 40.—C. L..., quarante-deux ans, ingénieur, marié, père de deux enfants. Est issu de famille névropathique: le père est emporté, potator; la mère, hystérique, a souffert d'accès éclamptiques.
Le malade se souvient qu'étant enfant il aimait beaucoup à voir tuer des animaux domestiques et surtout des cochons. À cet aspect, il avait des sensations de volupté bien prononcées et de l'éjaculation. Plus tard, il visitait les abattoirs pour se réjouir au spectacle du sang versé et des animaux se débattant dans l'agonie. Toutes les fois que l'occasion se présentait, il tuait lui-même un animal, ce qui lui causait toujours un sentiment qui suppléait au plaisir sexuel.
Ce n'est que lorsqu'il eut atteint l'âge adulte qu'il reconnut le caractère anormal de son état. Le malade n'avait pas d'aversion proprement dite pour les femmes, mais avoir des rapports