Le journal d'une pensionnaire en vacances. Noémie Dondel Du Faouëdic

Le journal d'une pensionnaire en vacances - Noémie Dondel Du Faouëdic


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Julie d'Angennes n'eût pas mieux dit.

      Enfin, un bois majestueux couronne ce beau domaine, comme un diadème posé sur la tête d'un roi. Le temps change tout ce qu'il ne détruit pas. Jadis ces vastes jardins dépendaient d'une abbaye, et l'on découvre encore aujourd'hui, cachés dans l'herbe, à l'ombre des chênes séculaires, des granits longs et étroits, ayant toute l'apparence de pierres tombales, des caractères dévorés par les mousses s'y devinent aussi. Sans doute, de pieux abbés, les supérieurs peut-être, ont voulu demeurer après la mort dans le saint asile qui les avait abrités pendant la vie. Ce bois ombreux surplombe une grotte légendaire, un chaos où l'on voit à cent pieds de haut des rochers s'escaladant les uns les autres à faire rêver à l'ascension des géants de la Fable. Tous ces blocs sont revêtus d'arbres, de plantes folles, de lianes flexibles, s'enlaçant de la base à la cime, dans un fouillis inextricable. Au pied de ce mamelon désordonné, deux fontaines mystérieuses épandent leurs eaux limpides qui semblent sortir du rocher même; oui, mystérieuses, car ces quartiers de granit, qui paraissent à peine dégrossis, sont mobiles. La paroi intérieure du milieu de chaque fontaine tourne sur un pivot de fer et donne accès à une grotte, insondable aux regards, d'en haut comme d'en bas. C'est là que la charité de quelques fidèles sut cacher et nourrir plusieurs prêtres proscrits par la Terreur, car alors, la vertu s'isolait dans l'ombre, et le vice s'étalait au grand jour. C'est aussi de l'autre côté du haut mur qui ferme cet enclos et le sépare du grand escalier de la Garenne, qu'eurent lieu les fusillades républicaines, et malgré les années écoulées, malgré la splendeur du lieu, la pensée s'assombrit profondément aux souvenirs de tant de jeunes victimes, venues une à une présenter leur cœur noble et généreux aux balles fratricides, et écrire avec leur sang la dernière page de ce drame affreux, qu'on nomme la déroute de Quiberon.

      Un de mes grands oncles fut aussi fusillé ici, peut-être à cette même place où je me promène insoucieuse et tranquille…

      L'établissement des Jésuites, masqué par de vieilles bicoques du temps passé, n'a aucune apparence extérieure, mais, dès qu'on a pénétré intra muros, comme dit mon frère Henri, l'impression change complètement.

      La chapelle, vaste comme une église, est d'un aspect assez original; avec ses grandes fenêtres, ses colonnes sveltes et élancées, ses galeries à jour, elle a quelque chose de particulièrement oriental, qui ne déplaît pas, mais qui étonne au premier abord; aussi, j'espère que ces grandes fenêtres s'enrichiront plus tard de vitraux de couleur, ce qui harmonisera la lumière et tout l'ensemble, un peu trop blanc et neuf. La tribune réservée aux dames, placée en face du chœur, garnie de banquettes en maroquin rouge, est fort élégante et ne laisse rien à désirer. Tout l'établissement est taillé en grand comme la chapelle. Vastes les parloirs superbes comme des salles de réceptions; vastes les dortoirs, où chaque élève a comme sa chambrette à lui; vaste la lingerie encore, où tous les bons frères besognent de leur mieux, pliant, repassant et raccommodant les effets de toutes sortes, car pas une seule femme n'est attachée à cet immense établissement. On parcourt ensuite des salles appropriées à tous les besoins: salle de théâtre, salle de gymnase, salle de physique, les études et les classes. Il ne faut pas non plus oublier le réfectoire où les montagnes de petits pains dorés, qui se chiffrent par centaines au déjeuner comme au goûter, allécheraient les plus difficiles. Qu'est-ce alors des robustes appétits de collégiens? Ils les dévorent.

      Les jardins ne sont pas moins agréables à visiter, renfermant tout ce qui en fait le charme: serre pimpante, où les oiseaux même viennent gazouiller; pelouses fines et soyeuses, fleurs embaumées, grands arbres, pièce d'eau poissonneuse et, enfin, légumes et fruits en abondance, ce qui n'est point à dédaigner dans ce grand Gargantua de collège.

      Nous avons terminé cette journée, si bien remplie, par le Musée, peut-être unique en son genre, et qui pique vivement la curiosité des profanes et l'intérêt des savants.

      C'est dans la tour du Connétable (restée seule debout pour nous rappeler l'ancienne demeure des ducs de Bretagne à Vannes, le château de l'Hermine dont elle faisait partie), et le lieu est bien choisi, qu'on a groupé tant de vestiges des siècles antiques, tant de débris druidiques, celtiques, gaulois retrouvés à différentes époques dans le sein de cette terre bretonne, si féconde en souvenirs qu'ils semblent ne devoir jamais s'épuiser.

      Nous quittons Vannes fort tard.

      À onze heures du soir, nous entrevoyons le château de Kergonano dont nous allons être les hôtes. Ses ailes avancées, sa grosse tour, carrée au centre, couronnée d'une horloge et d'un belvédère d'où l'on compte le jour neuf clochers, et la nuit autant de phares, prennent des proportions aussi étendues qu'indécises.

      C'est à partir de demain que nous allons commencer la série des promenades et parties à pied, à cheval, en voiture, en bateau. Tous les genres de locomotion, enfin. Il ne manque plus qu'un léger ballon captif pour tenter une petite excursion dans les airs, et mon oncle est si bon, si aimable, que je suis presque disposée à le lui demander. Nos chers parents sont infatigables quand il s'agit de nous amuser, et rien ne leur coûte pour varier nos plaisirs. Nulle part on ne pourrait rencontrer meilleur accueil.

       Le 18 août.

      Kergonano est une très belle propriété; mon oncle, qui est plus matinal que ma tante, est venu nous chercher de bonne heure pour nous faire parcourir ses domaines. Nous avons admiré le jardin potager rempli de bons légumes et de beaux fruits. C'est le côté pratique du jardinage, les parterres ne sont que le superflu, a dit mon oncle et il a ajouté: Les brillantes couleurs et les doux parfums font toujours plaisir aux dames, et c'est en ma qualité de bon mari que j'ai émaillé le parc de massifs d'arbustes et de corbeilles de fleurs, pour plaire à votre tante.

      Le parc est fort grand, composé de bois superbes, de vastes pelouses, d'une petite pièce d'eau de forme ronde et qu'on nomme pour cela le Rondeau; nous avons admiré un cèdre, planté le jour même de la naissance d'une sœur de mon oncle qui dit en riant: «Ma sœur Elisa est devenue une très belle personne, mais son cèdre a autrement prospéré qu'elle». Le fait est que ses immenses branches s'étendent à je ne sais combien de mètres autour de son tronc. Nous avons caressé les chiens bondissant joyeusement auprès de leur maître; nous avons regardé les chevaux et les nombreuses vaches qui remplissent les étables.

      Nous sommes allés à la serre, un peu dépeuplée en ce moment mais gardant encore la famille des plantes grasses et de superbes grappes de raisin. Puis nous avons pénétré dans l'intéressante demeure des volatiles auxquels mon oncle a jeté quelques poignées de grains; alors sont accourus, pigeons roucoulant, poules gloussant, poussins piaulant et le roi de la basse-cour un coq superbe lançant à pleins poumons dans les airs ses cocoricos prolongés. Mon oncle m'a donné le plaisir d'aller moi-même dénicher dans les nids les bons œufs frais, dont quelques-uns encore chauds. Nous n'avons fait qu'entrevoir les lapins en robes blanches et grises; à notre approche ces farouches quadrupèdes sont allés se blottir au fond de leur loge où ils ne formaient plus qu'un monceau de courtes queues et de longues oreilles.

      Après ces différentes visites mon oncle nous a demandé si nous n'étions pas un peu fatigués de cette longue promenade à travers Kergonano et il a ajouté: «C'est ce qu'on est convenu d'appeler subir le propriétaire

      —Mais non, mon oncle, nous sommes-nous écriés, tout ce que nous voyons nous intéresse beaucoup.

      —Oui, a renchéri mon frère, d'un ton presque sentencieux. Mon oncle, nous voulons tout voir!

      —Alors, suivez-moi, venez faire la connaissance de trois nouveaux élèves que j'entoure de soins… dans une caisse. Devinez si vous pouvez, je vous donne en cent, en mille, comme la spirituelle marquise.

      —Sont-ce des oiseaux?

      —Des lapins?

      —Des écureuils?

      —Vous n'y êtes pas.

      —Ah! s'écrie Henri, ce sont des petits chiens!

      —Vous n'y êtes pas encore.


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