L'affaire Sougraine. Pamphile Lemay

L'affaire Sougraine - Pamphile Lemay


Скачать книгу
eux. Des tourbillons d'aigrettes ardentes, formées des grappes de foin, s'élançaient de tous côtés, et la rafale les semait pour allumer de nouveaux incendies.

      Le torrent poussait plus vite ses deux extrémités comme pour former un cercle implacable autour des malheureux. La clameur, sourde d'abord, devenait éclatante, le sol tremblait, l'air était brûlant et des panaches de fumée noire montaient vers le ciel.

      L'indien et sa compagne, pris de terreur, se mirent à fuir devant le fléau.

      De temps en temps ils tournaient la tête pour voir si le danger grandissait. La peur leur donna d'abord de nouvelles forces. Bientôt, cependant, ils s'aperçurent qu'ils faiblissaient et que leurs pieds perdaient de l'agilité. Leur poitrine haletante ne suffisait plus à aspirer l'air chaud qui les enveloppait, leurs mains se crispaient comme pour saisir un appui, leur gorge râlait, leurs paupières cuisantes et rougies s'ouvraient sinistrement. Ils couraient toujours et trébuchaient dans les sinuosités du terrain. Le feu courait plus vite. L'indien, espérant d'abord se sauver avec sa compagne, n'avait pas voulu l'abandonner; mais à cette heure que le danger était grand, il songeait à se sauver seul et la laissait en arrière. En vain, d'instant en instant, elle lui jetait un cri désespéré, il ne l'entendait plus; il ne voulait plus l'entendre. La crainte de la mort tuait son amour.

      Elmire retourna la tête une dernière fois et comprit que le salut était impossible. L'océan de flamme lui jetait déjà ses bouffées ardentes. Elle eut une pensée pour sa mère lâchement abandonnée, pour son humble village si calme et si heureux, puis elle s'affaissa.

      Dans une gorge tortueuse et profonde des montagnes rocheuses, une petite troupe de voyageurs canadiens cheminait avec précaution. Elle venait de la Californie. La soif de l'or l'avait attirée dans cette région lointaine, le besoin de revoir les rives natales la ramenait au bords du Saint Laurent. Elle avait bravé mille dangers pour atteindre les mines célèbres où s'est précipité le monde des travailleurs aventureux, elle en bravait mille autres pour retrouver les joies de la famille et les charmes indéfinissables de la patrie.

      Parmi les gens qui composaient cette troupe se trouvaient Léon Houde, Ovide Beaudet et Casimir Pérusse, de Lotbinière. Houde, marié et père de famille, les autres, garçons. Tous étaient durs à la fatigue, gais compagnons et bons amis.

      La troupe allait bientôt sortir de l'âpre chemin qu'elle avait heureusement suivi à travers les montagnes. Une dernière nuit dans les ravins, à l'abri des rochers, et la partie la plus redoutable de l'immense route serait traversée. On entrerait dans la prairie. Les sioux, ces terribles indiens de l'Ouest, n'avait pas découvert la marche des blancs et nul combat ne s'était engagé.

      A l'approche du soir, la tente fut dressée au pied d'une muraille de roches coupée en zigzag par un filet d'eau, et les voyageurs se couchèrent sur un lit de feuilles. Ils s'endormirent tour à tour de ce bon sommeil qu'apporte la fatigue, et leur esprit s'envola, sur l'aile capricieuse de l'imagination, vers les régions qu'ils avaient quittées, vers les plages qu'ils allaient revoir.

      Une sentinelle veillait à la porte de la tente, pour donner l'alarme au moindre bruit inusité. Il ne fallait pas s'endormir dans une confiance funeste et perdre, au dernier moment, le fruit d'une longue prudence.

      On se relèverait d'heure en heure, car il n'eût pas été juste qu'un même homme veillât toute la nuit. Le premier désigné par le sort vint s'adosser à un arbre, le revolver au poing, l'oreille attentive, puis, une heure écoulée, il céda sa place et s'en alla dormir.

      Il était minuit. Casimir Pérusse sortit de la tente et se mit en faction à quelques pas, au bord du torrent. La nuit était très noire, surtout au fond de cet abîme on reposaient les voyageurs canadiens. Un silence presque lugubre régnait partout et le torrent lui-même, trouvant en cet endroit un lit de sable, se taisait. On n'entendait que la source voisine qui murmurait en descendant du rocher où elle s'était creusé un lit capricieux.

      Pérusse tira son briquet et fit sortir le feu de la pierre. Le tondre en brûlant répandit une odeur agréable. Quand il eut fumé quelque temps il secoua les cendres de sa pipe sur des feuilles sèches, à ses pieds, et une flamme légère se mit à vaciller gaiement.

      Il prenait plaisir à regarder le rayonnement du feu sur les angles des rochers et sur les feuilles des arbres. Une douce mélancolie enivrait son âme. Il songeait à sa mère qui l'attendait en priant, à son père qui recevrait une bonne poignée d'or, aux amis d'enfance qu'il étonnerait par ses récits merveilleux. Et la flamme grandissait, et son pétillement devenait vif. Une voûte noire, dont l'oeil ne pouvait percer la masse ténébreuse, pesait de plus en plus sur la ravine.

      Pérusse ne voyait rien à cause de l'éclat de la flamme qui l'éblouissait. L'imprudent, s'il eut pu voir, il aurait aperçu, de l'autre côté du ruisseau, quelques ombres menaçantes qui se glissaient sans bruit et s'approchaient toujours. Il achevait sa faction et se disposait à éteindre, avant de se retirer, le feu qu'il avait allumé, quand, soudain, des sifflements aigus traversèrent les ombres. Il poussa une clameur et vint tomber à la porte de la tente, le corps percé de flèches empoisonnées.

      Les canadiens, tirés violemment de leur sommeil, s'élancèrent dehors, la rage au coeur et décidés à vendre cher leur vie. Un silence profond s'étendait de nouveau sous les bois. Ce calme effrayant les épouvantait plus que les cris et les menaces. Ils ne savaient pas où se cachait leur traître ennemi et ne pouvaient ni l'attaquer ni s'en défendre. Horrible position! Se sentir capable de lutter et ne pouvoir détourner le bras qui nous menace! attendre le coup fatal et comprendre l'impossibilité de l'éviter!

      Quelques heures se passèrent dans cette cruelle angoisse. Un sombre désespoir s'emparait des voyageurs, car ils savaient bien que les sioux ne s'étaient pas éloignés et que s'ils ne se montraient point, c'était à dessein, pour atteindre leur but sans courir de dangers. On devait s'attendre à des attaques réitérées, à des surprises fréquentes. On tomberait probablement tour à tour, comme ce pauvre Pérusse, dans la solitude sauvage, loin du cimetière béni de la paroisse....

      Il fallait cependant se mettre en route; on ne pouvait indéfiniment demeurer là. Et qui sait? quelques uns échapperaient, peut-être, et pourraient aller raconter au pays le triste destin des autres.

      Alors, sur la terre imprégnée du sang de leur compagnon, ils tombèrent à genoux et leur voix tremblante et pleine de larmes implora la protection de Marie, la consolatrice des affligés.

      Au même instant, dans la lueur mourante du feu, il virent apparaître un homme. Il était grand, jeune, et de toute sa personne se dégageait un mélange charmant de douceur et de dignité. Ses cheveux tombaient en boucles noires sur son cou, sa lèvre était garnie d'une fine moustache et son menton, d'une barbiche. Il n'avait point la peau jaune des indiens; cependant il était basané. Son regard n'était pas oblique et fuyant comme le regard du sioux, mais ferme et droit. Il portait un poignard à sa ceinture.

      Dès qu'il parut plusieurs revolvers se braquèrent sur lui.

      --Arrêtez! fit-il, en levant la main, arrêtez! J'appartiens à la tribu sanguinaire qui vient de tuer l'un de vos amis, mais je réprouve son action. Je suis chrétien.

      A ces paroles une grande joie remplit l'âme des voyageurs.

      --Vous nous sauverez! s'écrièrent-ils... n'est-ce pas? vous nous sauverez.

      --Silence! murmura l'étranger; j'essaierai de vous sauver, mais qui sait ce qu'il m'en coûtera. Vous êtes enfermés ici. Des guerriers sont partout qui vous guettent pour vous égorger et vous piller. Je ne connais qu'un chemin, c'est celui-ci.

      Il montrait le roc à pic comme une muraille.

      --Impossible d'escalader ce rocher, reprirent les canadiens au désespoir.

      --Venez, dit-il.

      Il les conduisit à quelques pas, et, dans l'obscurité il saisit une corde qui tombait du sommet abrupt. Il reprit:

      --Suivez-moi, ne craignez rien. Je l'ai solidement attachée, cette corde;


Скачать книгу