L'affaire Sougraine. Pamphile Lemay

L'affaire Sougraine - Pamphile Lemay


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surprise. Elle ouvrit la lettre et lut:

      Ma chère Madame Duplessis,

      --Un jour, nous sortions toutes deux d'une maison pauvre où gémissaient des orphelins qui vous appelaient leur mère, vous m'avez montré un jeune homme qui rentrait dans une église et vous m'avez dit: S'il y en avait plus comme celui-là le bonheur du ménage serait moins problématique. Suivons-le? vous demandai-je étourdiment; et nous allâmes nous agenouiller auprès de lui, devant l'autel. Nos regards se rencontrèrent et je ne sais quelle émotion j'éprouvai. Nous sortîmes, il priait encore. Je sentais toujours le rayon de son oeil mélancolique qui cherchait mon coeur. Nous nous revîmes, vous le savez.

      Nous nous aimions déjà. C'est à vous que nous devons notre bonheur. Il sera ici, demain soir, lui, mais il y en aura un autre, un autre choisi par mes parents. Notre paix est menacée. Vont êtes de bons conseil, aidez-moi. Venez à notre soirée pour m'empêcher de faire des coups de tête... ou de coeur.

      LÉONTINE D'AUCHERON.

      L'Instituteur ajouta:

      --Cela veut dire, premièrement, que tu protèges les amoureux; deuxièmement, qu'on aura besoin de toi, demain soir; troisièmement, que nous irons tous deux au bal pour la première fois de notre vie, vendredi le onze janvier de l'an de Notre Seigneur mil huit cent... et caetera.

       Table des matières

      Pendant que les cartes d'invitation volaient à leur adresse, Madame D'Aucheron et Mademoiselle Léontine allaient d'un magasin à l'autre. Il faut tant de colifichets, tant d'atours pour passer à travers un bal sans laisser trop de sa toison sous la dent de la médisance. Les amis sont implacables, surtout quand on les fête bien.

      --Rendons-nous chez Glover, dit Madame D'Aucheron; j'aime mieux acheter chez les Anglais; c'est plus chic....

      La jeune fille sourit et, de son léger manchon de loutre, protégea contre le froid sa bouche mignonne.

      En janvier la brise qui souffle ne fait pas épanouir les fleurs. Elle passe sur d'éternels champs de neige et ne nous apporte ni babil d'oiseaux, ni murmures de ruisseaux, ni frissonnements de feuilles, ni bouffées de parfums. Elle est glacée et ses aiguillons vous fouillent comme des lames de poignards.

      Devant la vitrine de Glover il y avait un curieux, un homme âgé de plus de cinquante ans, pas gros, pas grand, cuivré, sans barbe, le blanc de l'oeil un peu jaune et la bouche large fendue. Il portait un capot de couvertes avec une raie noire dans le bas, une ceinture flèchée, des mitaines de caribou, un casque de chat sauvage.

      --C'est un indien, dit Léontine à sa mère. Il y en a plusieurs en ville en ce moment-ci.

      Madame D'Aucheron s'arrêta près de l'étranger, lui jeta un regard distrait et se mit à examiner les articles de fantaisie étalés derrière les glaces brillantes. A chaque nouvel objet qu'apercevait sa convoitise, elle poussait un cri d'admiration.

      --Que ce fichu est beau! c'est de la dentelle de vrai fil--Ah! ces mouchoirs, quelle fine broderie!... Regarde donc ces gants!... Quelles mains élégantes ils doivent faire!... Il n'y a personne comme ces Anglais pour savoir acheter.

      --Et vendre, ajouta Léontine avec une pointe d'ironie.

      L'Indien regardait furtivement cette jolie dame entichée des choses anglaises, et semblait prendre plaisir à écouter le son de sa voix au diapason un peu trop élevé.

      Les deux femmes entrèrent, choisirent quelques unes des dernières nouveautés, ce qui fut assez long, puis sortirent pour aller ailleurs. L'indien était toujours là.

      --Ce n'est point devant la vitrine d'un marchand canadien qu'il resterait aussi longtemps, observa madame D'Aucheron. Il se trouve de ces sauvages qui ne manquent pas de goût.

      Elles se dirigèrent enfin vers le faubourg St. Jean, suivant la grande rue jusqu'à la côte Ste. Geneviève. Mademoiselle D'Aucheron descendit à la rue Richelieu pour rendre visite à son amie mademoiselle Ida Villor, et sa mère rentra.

       Table des matières

      Monsieur D'Aucheron sonnait chez le notaire Vilbertin, son ami, pendant que Madame D'Aucheron visitait les boutiques de nouveautés.

      --Le notaire est-il chez lui? demanda-t-il au clerc qui vint ouvrir.

      Le clerc n'avait pas encore répondu qu'une voix caverneuse s'écria:

      --Entre, mon vieux, j'y suis en corps et en âme en corps surtout, car mon âme, je ne sais pas au juste où elle loge.

      Le visiteur entra. Une poignée de main fut échangée.

      Les deux amis qui se trouvaient réunis ne se ressemblaient guère, si ce n'est par l'âge. L'un et l'autre, toutes voiles au vent, voguaient vers la pleine mer, mais ne faisaient que de laisser les rivages de la jeunesse. En langage ordinaire, l'un et l'autre ne dépassaient guère trente à trente cinq ans. D'Aucheron, quant au physique, était demeuré dans les limites du bons sens, le notaire prenait des envergures de ballon. Le premier était assez grand, le second, trop court, roulait plutôt qu'il ne marchait. D'Aucheron cultivait l'ambition, prétendait mener de pair plusieurs besognes, se prodiguait, faisait l'important, posait; le notaire remplaçait toutes ces misères par une seule: l'avarice. Depuis plusieurs années il vivait dans l'isolement. Son étude était comme une toile d'araignée. Il se tenait tapi dans le fond, attendant l'imprudente victime. Il prêtait à la petite semaine et à la grosse rente. Sa charité était une roue d'engrenage d'où l'on sortait parfaitement broyé. Il s'était marié pour avoir de l'argent. Sa femme eut la chance de mourir avant de le connaître. Elle s'endormit en paix après quelques mois d'illusions. Le beau père avait fait la sottise de la précéder dans un monde que l'on est convenu d'appeler meilleur. A son lit de mort il manda son gendre et lui parla longuement. Que lui dit-il? Rien de bien agréable à coup sûr, car ce brave gendre fit une grimace significative et donna pendant longtemps libre cours à sa mauvaise humeur. Vilbertin cultivait une autre passion bien inoffensive, en apparence du moins: la passion de la chasse. Je me trompe, il ne la cultivait pas, il la réprimait à cause du plomb perdu et de la poudre qu'il ne fallait pas jeter aux moineaux. Pourtant, une fois l'an, elle se réveillait si vive qu'il ne résistait plus; une fois l'an, toujours à la même époque, à l'époque des vents glacés et des neiges éclatantes, à l'époque des grands caribous fauves.

      --Eh bien! dit-il à l'ami qui entrait, comment vont les affaires.

      --A merveille.

      --Vas-tu avoir une section du chemin de fer à construire?

      --Je l'espère. Plusieurs ministres m'ont promis d'assister à mon bal. Or, tu le comprends, c'est dans les soirées, au souper, quand le vin coule abondamment et que les femmes se montrent aimables, que les grandes questions se traitent le mieux et que les travaux les plus considérables trouvent des hommes d'énergie pour les entreprendre. La reconnaissance de l'estomac, mon cher, c'est la plus vive... et la plus durable. C'est ma femme qui a conçu cette idée de bal.

      --C'est ta femme qui a!... tiens! il me semblait que... mais enfin. Ta femme elle est diplomate comme Bismark.

      --Quand une femme se mêle de la politique, ou de ses annexes, elle peut enfoncer les plus retors.

      --Elles ont des moyens que nous ne possédons point.

      --Les femmes mènent le monde, mon cher. Nous allons où elles veulent, nous faisons ce qu'elles désirent, et, du fond de leurs boudoirs, elles rient bien de nos prétentions et de notre vanité.

      --Moi, dans ce cas, je ne fais plus partie du monde, car j'ignore entièrement le


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