L'affaire Sougraine. Pamphile Lemay

L'affaire Sougraine - Pamphile Lemay


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femme, toujours poursuivie par la pensée du sauvage intelligent qui admirait les marchandises anglaises, avait trouvé cela.

      Elle était ravie de son idée. Ce serait du nouveau, pensait-elle, et du rare.

      Une surprise à tout renverser. Une bande de sauvages faisant irruption dans une salle éclatante, jetant leur cri de guerre et dansant leur ronde infernale sous des flots de lumières, quel succès! Ni madame de St. Flon, ni madame La mercière, ni madame Duponteau ne pourraient rien imaginer de semblable. Elles en crèveraient de dépit. Quel triomphe!

      D'Aucheron dut aller le soir même rencontrer les Abénaquis. Sa femme attendait son retour avec anxiété. Quand il rentra, elle était pâle de crainte. La crainte d'un désappointement.

      --Viennent-ils? demanda-t-elle d'une voix mal assurée.

      --Ils m'ont presque baisé les pieds. Au temps du paganisme, je serais devenu leur idole...

      --Mais vont-il venir?

      --S'ils vont venir? oui, à minuit juste.

      Madame D'Aucheron se frappa dans les mains, embrassa sa fille et son mari.

      Léontine avait une amie, Mademoiselle Ida Villor, une douce jeune fille, son ancienne compagne de classe. Ida perdait son père alors qu'elle était encore au berceau. Sa mère, venue de la campagne pour cacher un peu sa pauvreté parmi les nombreuses misères inavouées ou inaperçues de la ville, vivait du travail de ses mains ne reculant devant aucune tâche, se levant tôt se couchant tard, trouvant chaque jour cependant quelques instants pour aller prier à l'Eglise voisine. C'est au pied des autels, à genoux dans la poussière du saint lieu, qu'elle retrempait son âme souffrante. La prière est la force des faibles. Ida la suivait toujours et s'était formée de bonne heure à cette vie pieuse de bien des jeunes filles, qui observent dans le monde les saintes pratiques du cloître. La douce intimité qui régnait entre les deux jeunes filles ne pouvait qu'être agréable à madame Villor, car Léontine montrait aussi les plus heureuses dispositions de l'esprit et du coeur. Plus gaie, plus pétulante qu'Ida, elle avait de fantastiques idées parfois, et souvent étonnait ses amies par ses singularités. L'étrange lui plaisait; elle ne faisait rien comme les autres, tout en ne faisant que d'excellentes choses. Madame D'Aucheron disait en parlant d'elle:

      --Bah! ces enfants trouvés, ils sont pétris de charmes et de caprices.

      Elle s'ennuyait d'être seule, madame D'Aucheron, elle s'ennuyait d'être seule et sentait le besoin de façonner un coeur et une intelligence. Elle alla donc demander un jour à l'hospice de la charité l'une de ces petites créatures qui sont semblables aux fleurs du désert, aux fleurs du désert écloses d'une larme de l'aurore et d'un rayon de soleil, aux fleurs du désert que nulle main bienfaisante n'arrose ou ne recueille. Heureusement que l'enfant se modela sur sa compagne de classe et fut plus touchée des discours admirables et de la vertu résignée de madame Villor que des sottes conversations et du caractère léger de sa mère nourricière.

       Table des matières

      Madame Villor demeurait au troisième et dernier étage d'une maison. Quatre petites chambres d'une exquise propreté, pleines de fleurs et de soleil, donnant sur la luxuriante vallée Saint Charles et les onduleuses Laurentides, lui composaient son logement.

      C'est vers ce joli petit nid que monta mademoiselle Léontine, après qu'elle se fut séparée de madame D'Aucheron, au coin de la côte Ste Geneviève et de la rue St. Jean.

      Elle trouva madame Villor et sa fille tout en pleurs. Cela la surprit beaucoup, car elle savait combien elles avaient de courage et de résignation. Elle les embrassa l'une et l'autre.

      --Je regretterais d'être venue surprendre votre chagrin, commença-t-elle, si je n'espérais y apporter quelqu'adoucissement.

      --Nous sommes bien malheureuses, ma pauvre Léontine, répondit Ida.

      --Qu'y a-t-il donc? que se passe-t-il ici?

      --Nous ne pouvons payer notre terme et le propriétaire menace de nous jeter sur le pavé...

      --En plein coeur d'hiver! quelle cruauté! mais non, cela ne se fera pas. Vous trouverez des amis dans vos jours d'épreuve.

      --Pauvre enfant, dit madame Villor, tu ne connais guère le monde, et tu juges les autres d'après tes bons sentiments.

      --Et quel est ce propriétaire qui vous menace de la sorte?

      --Le notaire Vilbertin.

      --Vilbertin! c'est l'ami de papa. Soyez tranquilles, vous ne serez point maltraitées. Je parlerai pour vous à mon père; je parlerai au notaire. J'ai de l'influence; vous verrez. Consolez-vous; riez. Voyons, ne pleurez plus,--je vous promets que tout cela va s'arranger.

      On entendit tout à coup des pas légers qui montaient dru les degrés tortueux, et une voix joyeuse qui égrenait des notes d'oiseau qui s'envole.

      --C'est Rodolphe, fit madame Villor.

      --Je me cache, dit Léontine. Une espièglerie.

      La porte s'ouvrit.

      --Bon jour, petite tante, bon jour, jolie cousine! Embrassons-nous: j'ai du bonheur plein le coeur: j'en ai jusque sur les lèvres... maintenant que je vous embrasse.

      --As-tu passé tes examens? demanda la tante.

      --Oui, passé, ce qui s'appelle passé!

      Maintenant on va commencer à tuer légalement ses semblables, sous prétexte de leur conserver la vie.... Mais j'ai un autre sujet de bonheur encore.

      --Oui? lequel, dis vite, fit Ida.

      --Je vais au bal.

      --Chez monsieur D'Aucheron?

      --Chez monsieur D'Aucheron! Le petit ange du foyer ne m'a pas oublié. Les portes vont s'ouvrir à deux battants pour me recevoir.... Papa D'Aucheron s'améliore; c'est évident. Il faut que je me fasse spirituel et beau, pour plaire à la mère. Quand on a la mère pour soi le reste nous est donné comme par surcroît. Me faire spirituel, je suis bien amoureux, pour cela. Il paraît que l'on est bête quand l'on est amoureux. Beau! cela dépend beaucoup du caprice des gens qui vous regardent.

      --Si mademoiselle Léontine t'entendait, Rodolphe, elle croirait vraiment que tu l'aimes, remarqua madame Villor.

      --Je vous dis, ma tante, que je l'aime comme deux.

      --Elle a bien des qualités, cette jeune fille, et ce qui ne gâte rien, elle héritera d'une belle fortune.

      --Vous avez raison, tante, elle est pleine de grâce et de vertus; vous n'avez pas raison, tante, quand vous dites qu'elle sera riche héritière.

      --Comment cela?

      --La farine du diable retourne en son.

      --Rodolphe, mon enfant, pèse tes paroles, sois prudent.

      --Comment! ces murs ont-ils des oreilles?

      --Peut-être.

      --Que voulez-vous? Je dis ce que je pense, et ce qui vaut mieux, je pense ce que je dis. D'Aucheron, tout le monde le croit, s'est enrichi par des tours de force. On connaît ça, les tours de force. Je puis bien n'admirer ni cet homme ni sa femme et adorer leur enfant. Mais Léontine n'est pas du tout sortie de cette race-là. C'est une fleur suave transportée par un souffle mystérieux de la vallée discrète au bord du chemin. Il lui fallait bien de l'éclat et des parfums, pour demeurer ce qu'elle est.

      --C'est de la poésie, cela, cousin.

      --Je l'aime tant que je deviens poète.

      Depuis quelques minutes madame Villor faisait à son neveu des signes qu'il feignait de ne pas comprendre. Elle


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