Le secret de l'échafaud. Auguste de Villiers de l'Isle-Adam

Le secret de l'échafaud - Auguste de Villiers de l'Isle-Adam


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blancs, en voiles noirs et les pieds nus s’avancèrent, et découvrirent la châsse dont les quatre planches apparurent vides et béantes.

      Avant que je me fusse rendu compte de ce que cela signifiait, le glas, cette négation de l’Heure, commença de tinter, et le vieil officiant, se tournant vers les fidèles, prononça la demande sacrée : « Si quelque victime voulait s’unir au Dieu dont il allait offrir l’éternel sacrifice ?... »

      A cette parole, il se fit entendre comme un frémissement dans l’assistance et tous les regards se portèrent vers une pénitente vêtue de blanc et voilée. Je la vis quitter sa place et s’avancer au milieu d’une rumeur de tristesse, de pleurs et d’adieux. Sans relever les yeux, elle s’approcha de l’enceinte, en poussa doucement la barrière, entra dans le chœur, ôta son voile, fléchit le genou, calme, au milieu des cierges, qui autour de son auguste visage, formaient, à présent, comme un cercle d’étoiles, — et, posant sa main virginale sur le cercueil, répondit : « Me voici ! »

      Je comprenais, maintenant. C’était donc là le rendez-vous sombre que m’avait donné cette jeune fille ! Je me rappelai, dans un éclair, le terrible cérémonial dont la prise du voile est entourée pour les Carmélites de l’Observance-étroite. Les symboles de ce rituel se succédaient, pareils à des appels précipités de la pierre sépulcrale.

      Et voici qu’au milieu du plus profond silence, j’entendis tout à coup s’élever sa douce voix, chantant la formule des vœux de sa consécration...

      Ah ! Je n’ai pas à définir, ici, le mystérieux secret dont défaillait mon âme !

      *

      Soudain, l’une de ses nouvelles compagnes l’ayant revêtue, lentement, du linceul et du voile, puis déchaussée à jamais, reçut de l’abbesse les ciseaux sinistres sous lesquels allait tomber la chevelure de la pâle bienheureuse.

      A ce moment, Lysiane d’Aubelleyne se détourna vers l’assemblée. Et ses yeux, ayant rencontré les miens, s’arrêtèrent, paisibles, longtemps, fixement, avec une solennité si grave, que mon âme accueillit la commotion de ce regard comme un rendez-vous éternel promis par cette âme de lumière.

      Je fermai les paupières, y retenant des pleurs qui eussent été sacrilèges.

      Quand je repris conscience des choses, l’église était déserte, le jour baissait, le rideau claustral était tiré derrière les grilles. Toute vision avait disparu.

      Mais le sublime adieu de cette grande ensevelie avait consumé désormais l’orgueil charnel de mes pensées. Et, depuis, grandi par le souvenir de cette Béatrice, je sens toujours, au fond de mes prunelles, ce mystique regard, pareil sans doute à celui qui, tout chargé de l’exil d’ici-bas, remplit à jamais de l’ardeur nostalgique du Ciel les yeux de Dante Alighieri.

       Table des matières

      Actualité de l’histoire ancienne

      A Francis Magnard.

      Alcibiades, un soir, ayant retrouvé la queue de son chien dans le chignon d’or d’Aspasie pendant le sommeil de la grande hétaïre, s’accouda, pensif, sur le tapis de Corinthe, leur lit de plaisir.

      Le heurt léger de ce mouvement éveilla la jeune femme ; — à l’aspect de l’objet touffu qu’examinait l’illustre éphèbe, ses regards, entre ses cils, jetèrent comme une lueur morose.

      — C’est donc toi qui traitas si cruellement mon unique ami ? dit-il.

      — C’est moi : pardonne ! répondit Aspasie.

      — Fut-ce d’après une injonction des Dieux ?

      — Oui, de Pallas !... dit-elle, sans s’émouvoir du sarcasme.

      — D’après quelques officieux avis de l’Aréopage, plutôt !... Une décision, même puérile, ne suffit-elle pas à ruiner le crédit populaire ?... Va, je leur pardonne, car ils me haïssent moins qu’ils ne m’amusent.

      Elle secoua la tête.

      L’insidieux Athénien, la voulant contraindre à des aveux plus hâtifs, reprit, aussitôt, d’un air de souveraine indifférence :

      — Oh ! garde ton secret.

      Ce disant, il jeta loin sur les dalles, à travers les ténèbres bleuies par la lampe, l’objet risible et mélancolique.

      Aspasie, alors, attira, sous le charme de ses lèvres, le front du jeune héros et, subtile, avec des fiertés de guerrière, en un baiser :

      — Moins d’artifice, enfant ! Je cède !... répondit-elle. — Pourquoi j’ai commis cet acte ?... Parce que mon cœur s’est passionné pour toi d’un clairvoyant amour.

      Le fils de Clinias, à cette parole, ouvrit de grands yeux :

      — Est-ce une raison pour couper la queue de mon chien ? s’écria-t-il.

      Mais la grave courtisane, les yeux baignés de larmes, qui tombèrent, comme de longs diamants, avec des lueurs de collier brisé, à l’entour du cou de marbre d’Alcibiades :

      — Ami, dit-elle, je suis, tu le sais, une femme dont l’esprit ne s’illusionne que pour se distraire et j’ai l’instinct aussi droit qu’une pensée de Socrate. — Écoute-moi !

      La blanche créature parut se recueillir quelques instants.

      — A l’âge où les autres hommes sortent à peine des gymnases, continua-t-elle, n’es-tu pas le chef auguste couronné du laurier sanglant de Potidée ? le rhéteur puissant dont la parole inquiète l’éloquence des archontes ? le politique dont la duplicité confondit celle des Envoyés perses ? Que penser de toi, jeune homme divin ?... de toi, l’amant d’Aspasie ? — A ceux qui t’accusent pour tes royales richesses, tu les prodigues, en ta dédaigneuse vengeance. Tu ne te plies, toi le plus brillant des enfants d’Athènes, que sous ta volonté ! Vois le luxe et le feu de tes débauches n’ont-ils pas interdit jusqu’au silence Tissapherne, le pâle satrape ? Et ta frugalité, plus tard, lorsqu’il te plut d’être sobre, n’a-t-elle pas étonné Diogène au point que le sombre chercheur d’hommes en laissa s’éteindre sa lanterne ? — Qui donc es-tu, sceptique sauveur de patries ? Tous t’admirent ! Moi-même, je m’illustre encore entre tes bras et ce sentiment féminin augmente la joie de mon amour. Athènes est aussi fière que moi d’Alcibiades ! Plus, même, que de Périclès ! — Ainsi, je devrais être à jamais heureuse, ayant pour idéal que ton nom soit immortel, puisque, d’après tant de présages, il semble déjà ne pouvoir périr.

      A ces paroles, un frémissant baiser de l’héroïque adolescent vint aspirer, sur la bouche radieuse d’Aspasie, les esprits de gloire et d’amour qui, dans le souffle enthousiaste de cette amante, s’envolaient, pareils aux effluves d’une fleur vive.

      Elle reprit :

      — Mais, connaissant la frivolité des hommes ingrats — et de quelles pâtures s’alimentent, dans l’Histoire, les admirations des peuples, leur souvenance des grands hommes, — je m’étais toujours sentie plus anxieuse, moi, du sort de ton nom dans les âges ! Et, vois ! ces derniers jours, lorsqu’aux jeux olympiques, le peuple acclamait tes triomphes de poète, d’artiste et d’athlète, j’étais désespérée.

      « Hélas ! me disais-je, les hommes ne daignent ou ne peuvent se rappeler que ces héros massifs, incarnés en un seul acte, en un seul rêve, comme des statues !... Mais toi, si divers ! Toi, d’une fable où tant de traits se contredisent ! Quel rhapsode pourra jamais définir, sous tant d’aspects, l’unité de ta mystérieuse nature, et, par là, te rendre accessible à la mémoire des humains ? Ils sont vite oubliés, ceux-là


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