Le secret de l'échafaud. Auguste de Villiers de l'Isle-Adam

Le secret de l'échafaud - Auguste de Villiers de l'Isle-Adam


Скачать книгу
ton histoire... oui... quelque fait, aussi singulier qu’insignifiant, mais dont la futilité même s’ajustant au niveau de l’intelligence des multitudes, y imposât, d’ensemble, le rappel de tes exploits ! »

      « Oh ! ce rien, ce trait, sans valeur peut-être, mais précis et familier, fixerait ton nom, dans l’Histoire, d’une manière bien plus indélébile que tes seuls hauts faits ! »

      « Et il me sembla qu’à la faveur de ce détail moqueur (qu’il fallait imaginer et glisser dans les annales de ta vie), la mémoire de tout le sillon glorieux de tes destinées pourrait sûrement passer à l’Avenir. »

      « Mais, par Minerve ! où prendre le meilleur artifice, par quel génial éclair le concevoir ? le choisir ? »

      « Sans lui, je croyais voir s’effacer, dans le lointain des siècles, et se disperser au vent morne qui vient des rivages du Léthé, le beau sable d’or de ta fortune. »

      « Hier, dès l’aurore, et tout alarmée de ces pensées de la nuit, je sortis, longtemps voilée, de ce palais, où tu dormais encore, insoucieux du soleil. »

      « Autour de moi, les marbres d’Athènes, sous nos grands oliviers, étincelaient des feux roses du matin ; là-bas, sur la colline sacrée, le temple de Pallas invitait mes pas. Un souffle des Dieux m’y conduisit. »

      « Ayant sacrifié à la déesse (qui les aime) un couple de paons, celle-ci m’inspira, devant l’autel même, l’acte merveilleux qui doit, paraît-il, préserver le mieux ton nom des naufrages de l’Oubli, — l’acte dont la méprisante ironie, comme une égide victorieuse, doit rendre le nom d’Alcibiades impérissable. — O jeune dieu, ta réelle gloire peut être ignorée des races futures !... ta beauté, ta sagesse, ton courage, l’éclat de ton génie, tout ce que tu as accompli pour ta patrie, déjà par toi deux fois sauvée, tout cela peut vaguement s’évanouir, devenir presque inconnu ! Mais, grâce à moi, te voici sûr d’être immortel : j’ai coupé la queue de ton chien ! »

       Table des matières

      A. M. Edmond de Goncourt.

      Les exécutions récentes me remettent en mémoire l’extraordinaire histoire que voici :

      — Ce soir-là, 5 juin 1864, sur les sept heures, le docteur Edmond-Désiré Couty de la Pommerais, récemment transféré de la Conciergerie à la Roquette, était assis, revêtu de la camisole de force, dans la cellule des condamnés à mort.

      Taciturne, il s’accoudait au dossier de sa chaise, les yeux fixes. Sur la table, une chandelle éclairait la pâleur de sa face froide. A deux pas, un gardien, debout, adossé au mur, l’observait, bras croisés.

      Presque toujours les détenus sont contraints à un labeur quotidien sur le salaire duquel l’administration prélève d’abord, en cas de décès, le prix de leur linceul, qu’elle ne fournit pas. — Seuls, les condamnés à mort n’ont aucune tâche à remplir.

      Le prisonnier était de ceux qui ne jouent pas aux cartes : on ne lisait, dans son regard, ni peur ni espoir.

      Trente-quatre ans ; brun ; de moyenne taille, fort bien prise à la vérité ; les tempes, depuis peu grisonnantes ; l’œil nerveux, à demi-couvert ; un front de raisonneur ; la voix mate et brève, les mains saturniennes ; la physionomie compassée des gens étroitement diserts ; les manières d’une distinction étudiée ; — tel il apparaissait.

      (L’on se souvient qu’aux assises de la Seine, le plaidoyer, cependant très serré, cette fois, de Me Lachaud, n’ayant pas anéanti, dans la conscience des jurés, le triple effet produit par les débats, les conclusions du docteur Tardieu et le réquisitoire de M. Oscar de Vallée, M. de la Pommerais, convaincu d’avoir administré, dans un but cupide et avec préméditation, des doses mortelles de digitaline à une dame de ses amies — madame de Pauw — avait entendu prononcer contre lui, en application des articles 301 et 302 du Code pénal, la sentence capitale.)

      Ce soir-là, 5 juin, il ignorait encore le rejet du pourvoi en cassation, ainsi que le refus de toute audience de grâce sollicitée par ses proches. A peine son défenseur, plus heureux, avait-il été distraitement écouté de l’Empereur. Le vénérable abbé Crozes qui, avant chaque exécution, s’épuisait en supplications aux Tuileries, était revenu sans réponse. — Commuer la peine de mort, en de telles circonstances, n’était-ce pas implicitement, l’abolir ? — L’affaire était d’exemple. — A l’estime du Parquet, le rejet du recours ne faisant plus question et devant être notifié d’un instant à l’autre, M. Hendreich venait d’être requis d’avoir à prendre livraison du condamné le 9 au matin à cinq heures.

      — Soudain un bruit de crosses de fusils sonna sur le dallage du couloir ; la serrure grinça lourdement ; la porte s’ouvrit ; les baïonnettes brillèrent dans la pénombre ; le directeur de la Roquette, M. Beauquesne, parut sur le seuil, accompagné d’un visiteur.

      M. de La Pommerais, ayant relevé la tête, reconnut, d’un coup d’œil, en ce visiteur, l’illustre chirurgien Armand Velpeau.

      Sur un signe de qui de droit, le gardien sortit. M. Beauquesne, après une muette présentation, s’étant retiré lui-même, les deux collègues se trouvèrent seuls, tout à coup, debout en face l’un de l’autre et les yeux sur les yeux.

      La Pommerais, en silence, indiqua au docteur sa propre chaise, puis alla s’asseoir sur cette couchette dont les dormeurs, pour la plupart, sont bientôt réveillés de la vie en un sursaut. — Comme on y voyait mal, le grand clinicien se rapprocha du... malade, pour l’observer mieux et pouvoir causer à voix basse.

      *

      Velpeau, cette année-là, entrait dans la soixantaine. A l’apogée de son renom, héritier du fauteuil de Larrey à l’Institut, premier professeur de clinique chirurgicale de Paris, et, par ses ouvrages, tous d’une rigueur de déduction si nette et si vive, l’une des lumières de la science pathologique actuelle, l’émérite praticien s’imposait déjà comme l’une des sommités du siècle.

      Après un froid moment de silence :

      — Monsieur, dit-il, entre médecins, on doit s’épargner d’inutiles condoléances. D’ailleurs, une affection de la prostate (dont, certes, je dois périr sous deux ans, ou deux ans et demi) me classe aussi, à quelques mois d’échéance de plus, dans la catégorie des condamnés à mort. — Venons donc au fait, sans préambules.

      — Alors, selon vous, docteur, ma situation judiciaire est... désespérée ? interrompit La Pommerais.

      — On le craint, répondit simplement Velpeau.

      — Mon heure est-elle fixée ?

      — Je l’ignore ; mais, comme rien n’est arrêté, encore, à votre égard, vous pouvez à coup sûr, compter sur quelques jours.

      La Pommerais passa, sur son front livide, la manche de sa camisole de force.

      — Soit. Merci. Je serai prêt : je l’étais déjà ; — désormais, le plus tôt sera le mieux !

      — Votre recours n’étant pas rejeté, quant à présent du moins, reprit Velpeau, la proposition que je vais vous faire n’est que conditionnelle. Si le salut vous arrive, tant mieux !... Sinon...

      Le grand chirurgien s’arrêta.

      — Sinon ?... demande La Pommerais.

      Velpeau, sans répondre, prit dans sa poche une petite trousse, l’ouvrit, en tira la lancette et, fendant la camisole au poignet gauche, appuya le médium sur le pouls du jeune condamné.

      — Monsieur de la Pommerais, dit-il, votre pouls me révèle un sang-froid, une fermeté rares. La démarche que j’accomplis


Скачать книгу