La Bretagne: Paysages et Récits. Eugène Loudun

La Bretagne: Paysages et Récits - Eugène Loudun


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temps de mission, en certaines circonstances extraordinaires, parlait aux peuples assemblés sur la place ; ou une voûte entièrement peinte, comme à Carnac et à Kernascleden ; ou des médaillons de pierre et de bois encadrant l'autel de naïves sculptures dorées, à Roscoff, à Crozon, etc. ; ou un tabernacle composé comme un monument architectural, une sorte de palais en miniature avec ses corps de logis, ses pavillons, ses colonnes, ses dômes, ses galeries, ses statues (à Rosporden) ; un confessionnal antique (dans une petite chapelle près de Châteaulin) ; un baldaquin sculpté en bois ou même en cristal (à Landivisiau) ; ou bien quelque objet particulier, tel que cet ornement bizarre qui n'existe plus que dans une seule église, la roue de bonne fortune, de Notre-Dame de Comfort, sur la route du bec du Raz. C'est une grande roue suspendue à la voûte de l'église et tout entourée de clochettes ; aux jours de fêtes solennelles, pour les noces ou les baptêmes, on fait tourner la roue, et toutes ces clochettes agitées forment un bruyant carillon qui règle la marche de la procession, et accompagne de son timbre argentin et joyeux la voix des jeunes filles, chantant des cantiques à la sainte Vierge. Ou bien, enfin, c'est un de ces troncs, grossiers piliers équarris, ais de chêne bardés de larges bandes de fer, placés au milieu de l'église, à côté du catafalque de bois noir semé de larmes blanches ; le tronc et le cercueil, qui rendent sensibles à tous les yeux à la fois la fragilité de la vie, et le principe chrétien par excellence, la charité.

      Les églises des villes ont parfois de véritables chefs-d'œuvre, les cloîtres de Tréguier et de Pont-l'Abbé, par exemple, dont les arcades sont si sveltes et si finement découpées ; ou les bas-reliefs intérieurs du portail de Sainte-Croix à Quimperlé, vaste page de pierre sculptée avec cette délicatesse et cette richesse d'invention, qualités charmantes de la jeunesse, qui furent celles de la Renaissance. Puis, dans toutes les églises, près de l'autel, vous apercevez tout d'abord la statue peinte du saint de la paroisse, un de ces saints bretons que l'on ne trouve pas ailleurs : saint Cornély, saint Guénolé, saint Thromeur, saint Yves surtout. Saint Yves a le privilége d'être représenté dans presque toutes les églises, même celles dont il n'est pas le patron ; le souvenir de ce grand homme de bien, de ce savant prêtre, de ce juge incorruptible est resté vivant dans le cœur des Bretons. Partout vous le voyez en robe de juge, la toque sur la tête, entre deux plaideurs, le seigneur richement vêtu, en habit de velours rouge, tout doré, avec la grande perruque, les bas de soie et l'épée, et le pauvre paysan, tout déguenillé, des trous aux coudes et aux genoux, et pieds nus dans ses sabots. Le grand seigneur, l'air fier, suffisant, le chapeau sur la tête, présente au saint une bourse d'or ; le paysan, le regard et l'attitude timides, la tête basse, le bonnet à la main, attend humblement la sentence. Il n'a rien à donner, mais la justice ne lui fera pas défaut. Saint Yves se tourne vers lui avec un bon sourire, et lui tendant l'arrêt écrit sur un parchemin, lui donne gain de cause. C'est toute l'histoire du moyen âge, les trois ordres vis-à-vis l'un de l'autre : l'Église protégeant le paysan, le faible, contre le noble et le puissant.

      Quant aux monuments proprement dits, nulle part on ne rencontre davantage de ces belles églises du moyen âge, témoignage de la piété, de la science et du goût de cette forte époque. Ici la cathédrale de Dol, du meilleur temps de l'art gothique, du XIIIe siècle, imposante par sa masse, sa grandeur, la noble simplicité de ses ornements, l'harmonie de ses proportions ; le granit de ses tours a pris, par la suite des siècles, à l'air de la mer, une couleur de rouille, on les dirait bâties de fer ; là, Tréguier et ses boiseries exquises, bancs, autels, stalles, lutrin en chêne noir et brillant, découpés d'un dessin net et fin, avec une inépuisable variété ; pas un balustre qui se ressemble ; il y a de quoi fournir des modèles à tous les sculpteurs de notre temps ; plus loin, Saint-Pol de Léon et sa flèche de granit, audacieuse et svelte, prodige d'équilibre, inébranlable, ceinte de galeries à jour comme de gracieuses couronnes, élançant au ciel ses clochetons aux pointes aiguës, toute découpée, aérienne, un des joyaux de la Bretagne, et que les Bretons nomment avec un légitime orgueil ; et le Folgoat, un petit village inconnu, au nord de Brest, perdu à l'extrémité de la presqu'île, il faut se détourner de toute route pour le trouver ; mais dans ce pauvre village, deux princes bretons, le duc Jean III et la duchesse Anne, ont construit une église royale, y accumulant tout ce que l'art gothique en sa floraison la plus riche, uni aux caprices les plus ingénieux de la Renaissance, a imaginé de plus délicat et de plus éclatant : portraits sculptés, statues d'un beau style, où déjà se reflète l'antiquité, chœur ogival tout ciselé, et un jubé (on sait combien sont devenus rares ces gracieux et originaux monuments du catholicisme), un jubé de dentelle, où trèfles, rosaces, rinceaux, sont taillés du ciseau le plus ferme dans un granit bleu indestructible. Le marteau de la Révolution n'a détaché que des fragments insignifiants de ces belles pierres si purement travaillées. Après avoir résisté aux folles passions des hommes, elles semblent pouvoir défier le temps.

      Il faudrait dire aussi les clochers de formes si variées, les clochers à pans coupés de la Renaissance, de la Roche-Maurice-lès-Landerneau, de Landivisiau, de Ploaré, de Pontcroix, de Roscoff, accostés de petits et légers clochetons et ornés de balustrades à deux étages, comme les minarets de l'Orient ; les flèches élevées le long des côtes, celle de Tréguier, par exemple, percée à jour pour laisser passer les grands vents de la mer, constellée de croix, de roses, de petites fenêtres, de croisillons, d'étoiles, comme un chapeau de magicien. Puis, les bénitiers exprimant toujours le caractère de l'époque : à Dinan, dans une église du XIIe siècle, une cuve massive, énorme, que quatre chevaliers armés de toutes pièces supportent de leurs larges gantelets de fer ; car le XIIe siècle est le temps des croisades, de la chevalerie au service du Christ[1]. Dans une église du XVe siècle, au contraire, à Quimper, une élégante petite colonnette, autour de laquelle s'enroule une fine guirlande de pampres, et au-dessus, un ange qui ploie ses ailes comme s'il descendait du ciel et se venait poser au bord de la coupe d'eau consacrée. Ou bien, et inspirés par un sentiment plus chrétien encore, les bénitiers extérieurs, si communs dans toute la Bretagne, et dont les plus remarquables sont à Landivisiau, à Morlaix, à Quimperlé ; le bénitier intérieur n'est qu'un accessoire ; le bénitier extérieur, isolé en avant de la porte, a une signification plus précise : il dit où l'on va entrer, il sollicite un premier mouvement de l'âme : le chrétien, en avançant la main vers le vase bénit, s'arrête, son cœur se recueille et se prépare. Les architectes bretons ont bien compris cette grave pensée de la religion : les bénitiers extérieurs sont de véritables monuments, des sortes de petites chaires, le bassin décoré d'emblèmes, de symboles, de têtes d'anges enveloppées de leurs ailes ; le dais élancé, ciselé, d'où pendent les pointes effilées d'une broderie de granit, et, sous le dais, debout, toujours la Vierge souriante, qui semble inviter le fidèle à entrer dans la maison de la prière.

      [Note 1 : Il y a un bénitier semblable à Corseul.]

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      Il n'est pas besoin de parcourir toute la Bretagne pour avoir une idée de ces œuvres de l'architecture embellie par la foi : dans un petit bourg, à Saint-Thégonec, entre Morlaix et Landerneau, église, chapelle funéraire, sculptures, crypte, calvaire, tous les types de l'art chrétien de Bretagne, se sont comme donné rendez-vous.

      Les cimetières bretons se ressemblent tous ; presque partout ils entourent l'église ; ceints d'un petit mur bas, souvent ils n'ont pas même de portes ; une grille de fer, posée à plat sur un petit fossé, suffit pour interdire aux bestiaux l'accès de


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