La Bretagne: Paysages et Récits. Eugène Loudun

La Bretagne: Paysages et Récits - Eugène Loudun


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dans le sol. Il faut, en effet, descendre de plusieurs pieds pour pénétrer dans l'intérieur : alors vous avez devant vous une allée droite, formée de larges rochers plantés en terre, comme une muraille ; au bout de cette allée, une chambre arrondie, et, sur le côté, une petite chambre communiquant avec la grande et qui en est comme le cabinet[1].

      [Note 1 : L'allée est large de trois pieds, la chambre longue de dix et le cabinet de six. Ces grottes ont été découvertes il y a peu d'années.]

      Le tout est recouvert des rochers que vous voyiez de loin, et qui, semblables à des dalles monstrueuses, scellent ces sépulcres vides. Trois grottes s'alignent à côté l'une de l'autre, parallèles et de même longueur, sépultures familiales où, près de la dernière demeure des parents, avait été réservée la tombe du petit enfant.

      Mais voici Carnac, et ses célèbres et indéchiffrables alignements : à mesure qu'on approche de Carnac, à droite et à gauche, se dressent, dans les champs, de hautes pierres par groupes de douze ou quinze ; l'un de ces groupes, le plus considérable et composé des plus gros blocs, s'appelle le Camp de César ; car c'est toujours ce vainqueur que l'on rencontre en notre France, comme Alexandre et Sésostris en Asie, comme Napoléon en Égypte, en Syrie, dans l'Europe entière : l'homme ne créant pas, ce sont les destructeurs d'hommes qui saisissent le plus l'imagination des nations et dont elles consacrent le nom.

      Ces groupes de rocs isolés sont comme les avant-postes d'une armée. Bientôt on se trouve au milieu de l'armée elle-même. Tout d'abord, on n'éprouve pas cette stupeur dont parlent les voyageurs. C'est que là, comme en toutes les recherches de sa vie, l'homme, au milieu des choses où il aspirait, les possédant et les tenant en sa main, n'a qu'un étonnement, c'est qu'elles soient si peu ; dans les montagnes, touchant les pics que coupent en deux les nuages, il se demande si ce sont là les Pyrénées ou les Alpes. De même ici : entre ces milliers de rocs, vous ne saisissez pas leur énormité et leur multitude. Mais si, du haut d'un de ces blocs couchés à terre comme un monstrueux animal des premiers temps du monde, vous regardez devant vous, vous voyez s'allonger jusqu'à l'horizon, immobiles et muettes, les longues rangées de pierres levées sans nombre.

      Elles s'étendent, en effet, en lignes droites, régulières, également séparées l'une de l'autre comme si le commandement d'un général eût écarté largement les rangs pour en passer la revue ; dans ces rangs, chaque soldat est un roc roide, le pied profondément enfoui dans le sol, les plus petits au bas des files comme à la queue de l'armée, les plus grands en tête ; l'homme de nos jours qui les mesure, debout à côté de ces colosses, atteint à peine leurs genoux. Pas une marque d'ailleurs, pas une inscription ; blocs informes, recouverts d'une teinte grise, ternes et sombres, ils semblent refléter les images mornes d'un éternel ciel de décembre.

      La lande où ils sont plantés, sèche, âpre, s'étend à l'entour déserte et silencieuse. Ici, savants et ignorants admirent et interrogent. Qui a fait cela ? comment l'a-t-on fait ? dans quel but l'a-t-on fait ? Nul ne le sait, nul ne l'explique. Quel peuple, pour laisser une trace ineffaçable de son passage, a amassé, apporté ici ces lourdes masses et les a dressées vers le ciel, comme les bras pétrifiés de géants ensevelis ? Celtes ? Gaulois ? Kymris ? Nul ne répond : un peuple nombreux a été, on ignore même son nom ! Ce peuple connaissait-il les secrets d'une mécanique puissante pour avoir soulevé ces rochers grands comme les assises de Balbeck et de Memphis ? Ou si, à force de bras, il les a arrachés de la terre, amenés et plantés en rangs rigides, quelle pensée l'animait ? Est-ce un temple ? quelle foi ! Est-ce une sépulture ? quel symbole caché ! Une catastrophe sans précédents a-t-elle couché dans cette lande une race entière ? un choc soudain a-t-il ouvert la terre ? l'Océan, faisant un pas, a-t-il en un instant couvert une nation de sa nappe remuante, puis, en se retirant, tout emporté ? Et les peuples voisins auront marqué la place de ce peuple évanoui par ces rocs inébranlables, témoignage mystérieux d'un désastre qui ne sera jamais raconté !

      Il y a quelques années, le savant, le poëte qui a recueilli, annoté et traduit les chants bretons, désira sauver de la destruction un dolmen qu'une route nouvelle allait renverser, et obtint l'autorisation de le transporter dans le parc de la belle habitation qu'il occupe près de Quimperlé. L'entreprise semblait aisée. C'était un dolmen de moyenne grandeur, et la distance à parcourir était seulement de quatre lieues. Mais lorsque l'on se mit à l'œuvre, on vit surgir les obstacles : hommes et chevaux pouvaient à peine ébranler la table du dolmen, ce ne fut qu'en augmentant hors de toute prévision le nombre des uns et des autres qu'on parvint à la mettre en mouvement ; on y employa dix-huit hommes, cinquante chevaux et l'on mit dix-sept jours à l'amener à la place qui lui était destinée ; les treuils, les poulies, les leviers, les rouleaux, les levées de terre, les moyens dont dispose l'industrie moderne et ceux dont on suppose que se servaient les peuples celtiques, on usa de tout successivement, et il arriva plus d'une fois que l'on ne fît que cent pas dans une journée. Cette entreprise, si nouvelle dans cette vieille contrée qui avait perdu les traditions des ancêtres, émut toutes les populations des environs ; on accourait de plusieurs lieues, on faisait haie le long des routes pour voir marcher la grande pierre ; beaucoup doutaient qu'elle fût jamais rétablie sur ses piliers, et, quand elle s'enfonçait lentement dans les chemins rompus, il semblait qu'elle y dût toujours demeurer. Elle arriva enfin à la porte du parc ; ce fut un jour de fête, elle entra comme en triomphe, un enfant était monté dessus, portant des fleurs dans ses mains, la foule poussait des acclamations ; ce peuple célébrait le succès d'avoir remué une pierre, lui dont les aïeux dressaient et alignaient les rocs par milliers.

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