Petite légende dorée de la Haute-Bretagne. Paul Sébillot
de la bonne Vierge, qui descend sur les flots agités, et passe rapidement un peu partout pour les calmer.
M. E. Herpin a inséré dans son livre la Côte d'Emeraude, une légende qui se rattache au fait historique de la bataille de 1758. Bien que j'aie longtemps séjourné à Saint-Cast, je ne l'y ai jamais entendue, ce qui ne veut pas dire qu'elle y soit inconnue.
Au moment de la bataille, une belle dame blanche s'éleva dans l'air, sortant du vieux puits de Saint-Cast; c'était la sainte Vierge qui jusqu'alors avait vécu sous la forme d'une petite statue dans la niche étroite creusée dans la pierre du vieux puits. Elle s'envolait vers la mer, si vite, si vite, allant et venant au bord du rivage, qu'on eût dit un long voile de mousseline qui se déroulait sans fin, une étrange traînée de brouillard planant au ras du flot, mystérieuse, indécise, impalpable. Et à distance, ce long voile de mousseline, cette étrange traînée de brouillard semblait être la crête des dunes. Voilà pourquoi tous les canons anglais tirèrent trop haut, durant la bataille.
Les longues traînées blanches qui se croisent, s'entrelacent et se déroulent sont, dit la légende, l'ineffaçable sillage qu'a laissé sur l'azur du flot la robe miraculeuse de la Vierge lorsqu'elle glissait comme une céleste apparition, au long des vaisseaux anglais, pour leur voiler nos gars embusqués dans les dunes.
Dans la baie de Fresnaye (Côtes-du-Nord), quand le temps est calme et la mer haute, on voit une marque blanche qu'on appelle le «Sillon de saint Germain». Voici son origine: au temps jadis la statue de ce saint, auquel est dédiée, à l'extrémité de la commune de Matignon, une chapelle, débris d'une ancienne église paroissiale et but d'un pèlerinage annuel, se trouvait à Plévenon, le jour où devait avoir lieu le pèlerinage; il faisait si mauvais temps qu'aucun bateau ne pouvait se risquer sur la mer. Pour ne pas contrarier les fidèles qui étaient venus à sa chapelle, la statue du saint se mit en mouvement, et traversa la mer toute seule. Le sillon blanc est la trace de ses pas. Dans la même baie une autre raie se nomme «Chemin de saint Jean».
À Frégéac, vers l'embouchure de la Vilaine, est la petite chapelle de saint Jacques: quelquefois, lorsque le vent souffle vers l'amont de la rivière de Vilaine, il pousse devant lui un rouleau d'écumes que les habitants du pays appellent le «Chemin de saint Jacques»: c'est la route que suivit le saint lorsque remontant la Vilaine en marchant sur les eaux, il voulut s'arrêter à Rieux.
(Paul Sébillot. Légendes de la mer, t. I, p. 184).
On trouvera un peu plus loin une version de cette légende plus détaillée.
IV
Saint Riowen marchant sur les eaux
Saint Riowen, moine du monastère de Redon, vers l'an 837, est devenu depuis une époque très reculée, patron de la frairie de la Haye, en Avessac, où son souvenir est encore conservé dans la dénomination du village de Rozrion (tertre de Rion ou Riowen) et dans celle du Domaine de saint Riowen (matrice cadastrale, section B, nº 1593).
Saint Riowen, dit la tradition locale, aimait tout particulièrement Avessac et surtout les bords de la Vilaine, qu'il remontait souvent pour venir soulager ou soigner les malheureux.
Un jour que les eaux, grossies par la marée et la tempête, avaient emporté sa petite barque pendant qu'il était à soigner un pauvre, on le vit, après une courte prière, marcher sur les eaux à pied sec, et, s'avançant sur les flots, gagner ainsi sans crainte son monastère de Redon. Aussi, est-il souvent invoqué, dans les mauvais temps, par les bateliers du Don et de la Vilaine et les pêcheurs d'anguilles de Murain.
(Traditions locales recueillies par le marquis de l'Estourbeillon).
La Vie des saints de Bretagne relate plusieurs miracles de personnages marchant sur l'eau, et parmi eux celui de Riowen, moine de la suite de saint Convoyon qui, n'ayant pas trouvé de bateau, traverse ainsi la Vilaine; saint Guénolé frappe la mer avec son bourdon et elle devient solide comme un chemin.
V
Saint Clément
Un jour saint Clément, portant son ancre au cou, voulut traverser la grève entre Saint-Servan et Saint-Malo; mais la grande marée le surprit, et comme le poids de son ancre l'empêchait de se sauver, il se noya.
Un an après, la mer se retira plus que d'habitude, et une femme, qui pêchait au bas de l'eau, vit le corps de saint Clément étendu auprès d'un rocher, et aussi frais que s'il venait de se noyer. Elle reconnut qu'il était saint, et posant son enfant, qu'elle avait amené avec elle, elle s'agenouilla auprès du cadavre et pria jusqu'à ce que la mer vint mouiller ses pieds. Elle n'eut que le temps de s'enfuir en toute hâte, oubliant son enfant près du corps du saint.
L'année suivante la mer se retira encore, et la femme vint au bas de l'eau, à l'endroit où elle avait vu le corps de saint Clément. Lorsqu'elle y arriva, son fils dormait à la place où elle l'avait laissé un an auparavant; bientôt il se réveilla, se frotta les yeux et se mit à appeler sa mère.
On assure aussi que lorsque saint Clément fut noyé il surgit une chapelle auprès de son corps.
Ce récit, qui a été recueilli dans les environs de Saint-Malo, diffère, par les détails seulement, d'un épisode de la vie de saint Clément qu'on peut lire dans la Légende dorée (éd. Brunet, t. II, p. 205-6). Dans la version de Jacques de Voragine, le saint, au lieu de se noyer par accident, est jeté à la mer par un persécuteur. Le miracle de la mer qui se retire a disparu du récit populaire, qui l'a remplacé par le phénomène beaucoup plus naturel des marées d'équinoxe qui découvrent de si vastes espaces; l'épisode de l'enfant est, aux détails près, semblable à celui de la légende du littoral, qui pourrait bien avoir été empruntée à la vie de saint Clément, très populaire comme on le sait parmi les gens de la mer. Peut-être aussi a-t-il circulé un livret de colportage où la vie du saint, extraite de la Légende dorée, aura surtout reproduit les épisodes de la vie de saint Clément qui sont en relation avec la mer.
VI
Saint Clément et les vents
Il y avait une fois un capitaine de Saint-Cast qui sortit du port de Saint-Malo pour se rendre à Terre-Neuve. Comme il passait près du Légeon, il vit sur le rocher un homme qui appelait au secours. Il fit aussitôt mettre la chaloupe a l'eau et le naufragé fut amené à bord.
En ce temps-là il n'y avait pas de vent sur la mer, et les navires étaient obligés d'aller dans le sens du courant, ou bien on les faisait marcher à force de rames. On avait jeté l'ancre pour recueillir le naufragé, et le capitaine dit à ses matelots d'aller se coucher en attendant que la marée permît de recommencer la route. Il se trouva alors seul avec l'homme qu'il venait de sauver, et celui-ci lui dit:
—Où allez-vous, capitaine?
—À Terre-Neuve.
—À Terre-Neuve! je ne vous vois pas arrivé.
—J'arriverai avec le temps, et j'espère faire une bonne année.
—Je puis vous porter chance, dit le naufragé; mais il faut que pour cette fois, vous renonciez au voyage de Terre-Neuve.
—Quelle idée avez-vous là! s'écria le capitaine, si je ne vais pas au banc, que deviendront ma femme et mes enfants?
—Ils n'y perdront rien, bien au contraire; ramenez-moi à Saint-Malo et je vous enseignerai mon secret.
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