La cathédrale de Strasbourg pendant la Révolution. (1789-1802). Rodolphe Reuss

La cathédrale de Strasbourg pendant la Révolution. (1789-1802) - Rodolphe Reuss


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du procureur-général syndic du département, etc. (s. l. ni d.), publiée quelques jours plus tard, M. de Schauenbourg n'explique aucunement son attitude ambiguë, mais nous fournit d'abondants témoignages de son antipathie pour M. de Dietrich. Il va jusqu'à affecter de croire que les pièces officielles, imprimées par ordre du maire, sont supposées!]

      Quand le lendemain, les cloches, qui depuis tant d'années appelaient les fidèles au culte, ne se firent point entendre, l'émotion fut grande dans le public, on le croira sans peine. On avait donc eu raison de dire que la loi nouvelle en voulait à la religion même et que l'ère des persécutions allait s'ouvrir! Le ressentiment du maire et des administrateurs du district est également facile à comprendre. Ils étaient officiellement responsables de la tranquillité publique et se voyaient brusquement à la veille de troubles nouveaux, sans avoir été prévenus des mesures qui vraisemblablement allaient les faire naître.

      M. de Dietrich écrivit encore à la hâte, le 15 au soir, aux curés des paroisses de Saint-Laurent, de Saint-Pierre-le-Vieux et de Saint-Louis, pour les inviter à célébrer le service divin, le lendemain, comme à l'ordinaire; et pour les prier de passer le soir même à l'Hôtel-de-Ville, afin de s'entendre avec eux sur la réglementation des offices dans les paroisses catholiques. Il envoyait en même temps à M. Dupont, le remplaçant temporaire d'Ignace Pleyel, comme maître de chapelle de la Cathédrale, l'ordre formel de fonctionner le lendemain à la grand'messe de la Cathédrale, avec tous ses acolytes, afin de remplacer les chantres du Grand-Chœur. Il fallait en effet montrer aux bonnes âmes, inquiétées par les bruits répandus dans le public, qu'on ne songeait aucunement à supprimer les services des paroisses, en prononçant la suspension des chapitres conformément à la loi.

      Mais en même temps que la municipalité essayait de rassurer ainsi les catholiques de la ville, elle voulut marquer aussi son entière obéissance à l'Assemblée Nationale, en faisant afficher, ce même samedi, 15 janvier, un arrêté qui enjoignait aux ecclésiastiques fonctionnaires publics de prêter le serment, selon la formule votée le 26 décembre 1790, dans les lieux indiqués par ladite loi, et ce, dans le délai de huitaine. Deux jours au plus tard avant l'expiration de ce délai, les ecclésiastiques devraient venir déclarer à la Mairie leur intention de prêter le serment, et se concerter avec le maire pour fixer le moment de la prestation solennelle. L'arrêté du 15 janvier n'avait rien à voir, au fond, avec la suppression des chapitres; mais sa publication n'en fut pas moins malencontreuse, car elle contribua pour sa part à entretenir l'agitation dans les esprits. Depuis si longtemps on parlait du serment obligatoire sans qu'on l'eût réclamé du clergé; celui-ci s'était habitué à croire qu'on n'oserait plus le lui demander. Cette brusque invitation à se décider dans la huitaine, montrait tout à coup aux plus insouciants combien la crise devenait aiguë et réclamait une décision immédiate de la part de tous ceux qui voulaient continuer à figurer parmi les salariés de l'Etat. Aussi les meneurs du parti, voyant le désarroi général, pensèrent sans doute qu'autant valait entamer de suite le combat que de recommencer à nouveaux frais huit jours plus tard. Ils décidèrent donc de maintenir dès ce jour la grève du clergé séculier, qui pourtant aurait pu fonctionner tranquillement une semaine de plus, avant de se prononcer, au vœu de la municipalité, pour ou contre l'acceptation des lois ecclésiastiques nouvelles.

      Le maire avait fait imprimer, dès le soir même du 15 janvier, la lettre adressée par lui aux administrateurs du district, les lettres écrites aux différents curés, la réponse du Directoire du district, toutes les pièces officielles en un mot, qui devaient permettre au public de juger en connaissance de cause le prologue du grand conflit qui allait s'engager à Strasbourg, comme dans la France entière. La bourgeoisie éclairée des deux cultes se prononça, comme on pouvait le prévoir, en grande majorité, d'une manière approbative. Pour elle, les ecclésiastiques étaient avant tout, selon la phrase consacrée d'alors, des „officiers de morale publique”, salariés par l'Etat, et comme tels, devant obéissance aux prescriptions légales, plus encore que les simples citoyens.

      Mais le petit peuple catholique et les femmes de toutes les classes ne jugeaient pas la question à ce point de vue juridique ou philosophique. Ces groupes nombreux se sentaient lésés dans leurs intérêts religieux, et leurs consciences s'alarmaient à l'idée de perdre bientôt les conducteurs spirituels dont ils avaient suivi jusqu'ici docilement les conseils. Leur mécontentement s'exhalait en plaintes plus ou moins violentes; on avait beau leur dire que la Constituante ne voulait nullement expulser brutalement les curés et vicaires en fonctions, ni interrompre en aucun lieu l'exercice salarié du culte public. Ceux-là même qui refuseraient le serment seraient admis à continuer leurs fonctions jusqu'après l'élection de leurs successeurs [19]. Les masses n'entrent jamais dans l'examen des nuances, qu'il s'agisse de questions politiques ou religieuses. Il leur faut des drapeaux aux couleurs bien voyantes, même un peu criardes, des professions de foi bien explicites et bien ronflantes, et le clergé disposait pour la bataille d'un signe de ralliement et d'un mot d'ordre, à nuls autres pareils, le maintien de l'unité de l'Eglise et de la liberté des consciences.

      [Note 19: Copie d'une lettre du Comité ecclésiastique à MM. les officiers municipaux de Strasbourg, du 16 janvier 1791. Strasb., Dannbach, 1791, 4 pages in-4°.]

      Aussi le dimanche, 16 janvier, vit-il les différentes églises catholiques de Strasbourg remplies d'une foule compacte de fidèles des deux sexes, venus les uns pour voir s'il se passerait quelque chose, ou ce qui allait se passer, les autres pour supplier le Ciel d'intervenir en faveur de la bonne cause. Tout ce monde était ému, plus bruyant que recueilli, et des voix s'élevaient parfois pour accuser la tyrannie du gouvernement et la municipalité. Cela se faisait avec d'autant moins de gêne que les prêtres ne se montraient nulle part, ce jour là, soit pour éviter, comme ils le dirent plus tard, les insultes de quelques exaltés, soit encore pour réveiller dans les âmes dévotes le sentiment attristant de leur futur abandon spirituel. Des groupes de soldats et de gardes nationaux stationnaient dans l'enceinte sacrée, suivant de l'œil les manifestants les plus exaltés et procédant, le cas échéant, à leur arrestation provisoire.

      Nous avons conservé un tableau assez fidèle de la disposition des esprits dans le parti catholique à Strasbourg en cette journée, dans une lettre écrite sur les lieux, le lendemain même, par un membre du Conseil général du Haut-Rhin, bon catholique, qui séjournait pour affaires dans notre ville. Voici quelques passages de cette lettre de M. Mueg:

      „… Il y a beaucoup de fermentation à Strasbourg par rapport aux lois de la Constitution civile du Clergé et le serment qu'on exige des prêtres; les Collégiales et le Grand-Chœur ont cessé samedi dernier leurs heures canoniales; mais ils ont déposé au Directoire du département des protestations très énergiques contenant le motif de leur obéissance, qui est de prévenir les troubles. En effet, le peuple catholique a vu cette diminution trop sensible de l'éclat du service divin avec le plus grand chagrin. On se porte avec empressement dans les églises pour y faire des prières publiques, auxquelles les prêtres n'assistent point, parce qu'ils n'oseraient le faire sans s'exposer à être poursuivis comme perturbateurs du repos public… Hier, dimanche, dans l'après-dîner, un insolent qui s'est trouvé à ces prières publiques, à la Cathédrale, s'est permis de dire tout haut qu'il n'y aura point de repos jusqu'à ce qu'on ait massacré ces gueux de prêtres. Cela a excité une rumeur. Des soldats d'artillerie présents lui ont mis la main sur le corps. La sœur de ce particulier, qui se trouvait aussi à l'église, voyant son frère aux prises, s'est jeté entre lui et les soldats, et je crois qu'il leur est échappé [20]. Cela a fait tant de train que le maire en a été averti… On a envoyé un ou plusieurs détachements aux portes de la Cathédrale, et pendant le reste de la soirée et toute la nuit, la ville a été croisée par nombre de patrouilles. On craint le moment de la prestation du serment des prêtres, fixé à dimanche prochain, et plus encore le jour de l'élection des nouveaux fonctionnaires, à laquelle il faudra en venir, si l'Assemblée Nationale persiste dans la rigueur de ses décrets…. Le Directoire du département est dans le plus grand embarras; il en a écrit à l'Assemblée Nationale [21]….

      [Note 20: Nous devons faire remarquer qu'il y a une version infiniment plus vraisemblable de cet épisode de la Cathédrale dans la Geschichte der gegenwärtigen Zeit (17 janvier 1791).


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