La cathédrale de Strasbourg pendant la Révolution. (1789-1802). Rodolphe Reuss
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En effet, vers l'automne, la situation s'aggrave et la lutte s'accentue, la question de la Constitution civile du clergé venant se greffer sur la question des biens ecclésiastiques. On sait que les jansénistes de l'Assemblée Nationale, croyant briser ainsi plus facilement l'influence de l'Eglise dans l'Etat, avaient imaginé de refondre l'organisation ecclésiastique de la France tout entière. Ils se flattaient d'éliminer de la sorte les éléments les plus récalcitrants au point de vue politique, sans s'apercevoir qu'ils faisaient surgir une crise infiniment plus grave dans le domaine religieux. Sans s'inquiéter de savoir si leur compétence en droit canon serait admise par l'Eglise, sans rechercher une entente préalable sur la matière avec le Saint-Siège, ils avaient entraîné dans cette voie fatale leurs collègues de la Constituante, aussi bien les voltairiens sceptiques que les déistes, disciples de Rousseau. Le 12 juillet 1790 avait vu s'achever la Constitution civile du clergé, que Louis XVI, malgré ses répugnances intimes, dut sanctionner le 24 août suivant. La lutte autour de l'ordre de choses nouveau avait été des plus vives, et aujourd'hui encore la loi du 12 juillet compte des défenseurs convaincus et des adversaires acharnés.
Nous n'avons point à discuter ici la valeur intrinsèque de la Constitution civile du clergé et à examiner, par exemple, s'il était possible d'établir le gouvernement d'une Eglise infaillible sur des bases démocratiques. Il est positif que certaines de ses prescriptions étaient puériles et même absurdes; il est également certain que d'autres principes, proclamés par elle et combattus à outrance par le clergé, furent admis en fin de compte par lui quand les temps furent changés. L'Eglise, qui refusait tout aux sollicitations peu sincères du faible Louis XVI, céda sur bien des points, dix ans plus tard, à l'énergique pression de Bonaparte.
Mais là n'est pas la question, qui, du moins à notre avis, doit seule préoccuper l'histoire impartiale. La Constitution civile du clergé ne fut pas seulement une usurpation de pouvoir, si l'on se place au point de vue de l'Eglise, ce fut avant tout une faute impardonnable au point de vue politique. L'histoire universelle est là pour nous prouver qu'on n'a jamais renversé d'une façon durable que ce que l'on a su remplacer. Les révolutions religieuses ne sont donc légitimes que lorsqu'elles sortent d'un grand mouvement d'opinion publique, d'un irrésistible élan de la conscience religieuse, comme le christianisme au premier et la Réforme au seizième siècle. Alors ces mouvements sont féconds en conséquences heureuses et leurs adversaires eux-mêmes en profitent à la longue. Mais comment un mouvement pareil aurait-il pu se produire en France, à la fin du dix-huitième siècle, si corrompu dans ses mœurs et si blasé sur toute idée religieuse? Ce qui restait alors de religion dans le pays se concentrait dans des âmes généralement hostiles à tout changement, même extérieur, et l'organisation nouvelle ne comptait parmi ses clients qu'une minorité infime d'esprits vivant d'une véritable vie religieuse.
L'acceptation de la Constitution civile du clergé par l'Assemblée Nationale conduisait donc forcément à l'établissement d'un culte dédaigné, dès l'abord par l'immense majorité des âmes pieuses, et soutenu, pour des motifs politiques seulement, par une minorité qui n'en usait guère elle-même au fond. La nouvelle Eglise était condamnée ainsi d'avance à périr, même si elle avait trouvé un plus grand nombre de défenseurs vraiment dignes de défendre une cause religieuse. On pouvait bien réunir autour des urnes un certain nombre d'électeurs pour élire, d'après la nouvelle loi, des curés, voire même des évêques, mais ils se dispensaient ensuite d'assister au prône et, le plus souvent, ne réussissaient pas à y faire aller leurs familles. Tandis que, jusqu'à ce moment, les membres du bas clergé, sortis du peuple, avaient été, du moins en majeure partie, dévoués à la cause populaire, ils se voyaient maintenant placés entre la loi et leur conscience, qui, façonnée par l'éducation de l'Eglise, devait naturellement leur défendre toute désobéissance aux évêques et au Saint-Père sur le terrain religieux. Les défenseurs de la Constitution civile du clergé avaient beau jurer qu'ils ne touchaient en rien aux questions dogmatiques, que la foi de l'Eglise restait entière. A strictement parler, ils disaient vrai; beaucoup de bons catholiques l'admettent aujourd'hui, et des croyants sincères le reconnurent même alors.
Mais il n'en restait pas moins vrai que la loi nouvelle proclamait le schisme, en séparant l'Eglise de France du chef de la chrétienté catholique, en brisant la puissante hiérarchie sur laquelle elle s'appuyait jusque-là. A moins d'être volontairement aveugle, on ne pouvait se dissimuler le formidable conflit qui éclaterait, de Bayonne à Landau, dans chaque paroisse du royaume, du moment qu'on passerait de la théorie pure dans le domaine des faits. C'est cet aveuglement, volontaire ou non, qui constitue l'un des griefs les plus sérieux contre les orateurs et les philosophes de la Constituante. L'ignorance ou la légèreté sont également coupables chez ceux qui décident des destinées d'un grand peuple, et l'on ne peut épargner l'une au moins de ces épithètes aux représentants de la France quand on les voit jeter un pareil ferment de discorde nouvelle dans les masses déjà surexcitées par la crise politique. Ce ne fut pas l'œuvre particulière de l'Assemblée Nationale seulement qui fut détruite dans les convulsions de cette seconde révolution, greffée sur la première, c'est l'ensemble même des idées libérales de 1789 qui faillit y périr tout entier.
Quand le vote décisif eut eu lieu, quand la Constituante eut déclaré démissionnaires tous les évêques et curés qui ne prêteraient pas le nouveau serment imposé par la loi, elle eut elle-même comme une vision fugitive des difficultés du lendemain. Longtemps après avoir reçu la sanction royale, le décret du 12 juillet resta lettre morte. Ceux d'entre les ecclésiastiques qui siégeaient comme députés et refusaient le serment ne songèrent pas à quitter l'Assemblée Nationale, et continuèrent à occuper leurs sièges épiscopaux, leurs cures de ville ou de campagne, exerçant leur ministère au milieu de l'approbation de leurs ouailles. Cette période d'hésitation ne pouvait durer pourtant. Ayant décrété la révolution théorique dans l'Eglise, il était dans la logique des faits que l'Assemblée Nationale décrétât également sa mise en pratique. C'est ce qu'elle fit enfin dans sa séance du 27 novembre, et c'est à ce moment aussi que la question de la Constitution civile du clergé, qui n'avait encore guère préoccupé les esprits dans notre province, devint subitement aiguë pour l'Alsace.
Le cardinal de Roban, désormais à l'abri de toute atteinte des lois dans la partie transrhénane de son diocèse, fut l'un des premiers parmi les hauts dignitaires de l'Eglise à prendre la parole pour protester contre les mesures de la Constituante, au moment où celle-ci libellait son décret du 27 novembre. Dans les derniers jours du mois, l'imprimeur de l'Evêché, Le Roux, publiait à Strasbourg une Instruction pastorale détaillée de Son Altesse éminentissime, Monseigneur le cardinal de Rohan, prince-évêque de Strasbourg, signée à Ettenheimmünster, le 28 novembre 1790.
Le cardinal y fulminait avec vigueur contre „les hommes pleins d'amour-propre, ennemis de la paix, enflés d'orgueil, plus amateurs de la volupté que de Dieu” qui „travaillent de concert pour miner le trône et l'autel.” Il se déclarait „prêt non seulement à parler, mais à verser son sang pour la cause de Dieu et de son Eglise”, et procédait ensuite à l'énumération de tous les motifs qui devaient empêcher les fidèles d'accepter „l'organisation du clergé par des personnes étrangères au ministère saint.” Après avoir rappelé les doctrines constantes de l'Eglise à ce sujet, il affirmait, non sans contredire de la sorte certaines protestations antérieures, qu'il ne se plaignait pas des décrets qui dépouillent le clergé, et qu'il „serait même au comble de ses vœux si ce dépouillement guérissait les plaies de l'Etat.” Il concluait en disant que tout chrétien „peut faire serment d'observer les lois, en tant qu'elles ne sont pas contraires aux objets qui concernent essentiellement la religion et l'autorité spirituelle que Dieu a confié à son Eglise.” Mais comme les chrétiens „ne peuvent reconnaître pour pasteurs légitimes que ceux que leur donne l'Eglise”, il résultait de l'Instruction pastorale l'obligation pour tout ecclésiastique de refuser le serment, sous peine d'être considéré comme schismatique et d'encourir les punitions réservées à de pareils coupables.
Le cardinal de Rohan ordonnait en même temps que ce