Quelques écrivains français: Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. Emile Hennequin

Quelques écrivains français: Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc - Emile Hennequin


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justes, beaux et larges, assemblés en phrases cohérentes, autonomes et rhythmées.

      Le vocabulaire de Salammbô, de l'Éducation sentimentale, de la Tentation de saint Antoine est dénué de synonymes et, par suite, de répétitions; il abonde en série de mots analogues propres à noter précisément toutes les nuances d'une idée, à l'analyser en l'exprimant. Flaubert connaît les termes techniques des matières dont il traite; dans Salammbô et la Tentation, les langues anciennes, de l'hébreu au latin, aident à désigner en paroles propres les objets et les êtres. Sans cesse, en des phrases où l'on ne peut noter les expressions cherchées et acquises, il s'efforce de dire chaque chose en une langue qui l'enserre et la contient comme un contour une figure.

      À cette dure précision de la langue, s'ajoute en certains livres et certains passages une extraordinaire beauté. Les paroles sollicitent les sens à tous les charmes; elles brillent comme des pigments; elles sont chatoyantes comme des gemmes, lustrées comme des soies, entêtantes comme des parfums, bruissantes comme des cymbales; et il en est qui, joignant à ces prestiges quelque noblesse ou un souci, figent les émotions en phrases entièrement délicieuses:

      «Les flots tièdes poussaient devant nous des perles blondes. L'ambre craquait sous nos pas. Les squelettes de baleine blanchissaient dans la crevasse des falaises. La terre à la fin se fit plus étroite qu'une sandale;—et après avoir jeté vers le soleil des gouttes de l'océan, nous tournâmes à droite pour revenir.»

      Et ailleurs:

      «Il y avait des jets d'eau dans les salles, des mosaïques dans les cours, des cloisons festonnées, mille délicatesses d'architecture et partout un tel silence que l'on entendait le frôlement d'une écharpe ou l'écho d'un soupir.»

      Par un contraste que l'on perçoit déjà dans ce passage, Flaubert, précis et magnifique, sait user parfois d'une langue vague et chantante qui enveloppe de voiles un paysage lunaire, les inconsciences profondes d'une âme, le sens caché d'un rite, tout mystère entrevu et échappant. Certaines des scènes d'amour où figure Mme Arnoux, l'énumération des fabuleuses peuplades accourues à la prise de Carthage, le symbole des Abaddirs et les mythes de Tanit, les louches apparitions qui, au début de la nuit magique, susurrent à saint Antoine des phrases incitantes, la chasse brumeuse où des bêtes invulnérables poursuivent Julien de leurs mufles froids, tout cet au delà est décrit en termes grandioses et lointains, en indéfinis pluriels abstraits et approchés qui unissent à l'insidieux des choses, la trouble incertitude de la vision.

      Cet ordre de mots et les autres, les plus ordinaires et les plus rares sont assemblés en phrases par une syntaxe constamment correcte et concise. Par suite de l'une des propriétés de la langue de Flaubert, de n'employer par idée qu'une expression, un seul vocable représente chaque fonction grammaticale et s'unit aux autres selon ses rapports, sans appositions, sans membres de phrase intercalaires, sans ajouture même soudée par un qui ou une conjonction. Chaque proposition ordinairement courte se compose des éléments syntactiques indispensables, est construite selon un type permanent, soutenue par une armature préétablie, dans laquelle s'encastrent successivement d'innombrables mots, signes d'innombrables idées, formulées d'une façon précise et belle, en une diction définitive. Cette parité grammaticale est le principal lien entre les oeuvres diverses de Flaubert. Sous les différences de langue et de sujet, unissant des formes tantôt lyriques, tantôt vulgaires, les rapports de mots sont semblables de Madame Bovary à la Tentation, et constituent des phrases analogues associées en deux types de période.

      Le plus ordinaire, qui est déterminé par la concision même du style, l'unicité des mots et la consertion de la phrase, est une période à un seul membre, dans laquelle la proposition présentant d'un coup une vision, un état d'âme, une pensée ou un fait, les pose d'une façon complète et juste, de sorte qu'elle n'a nul besoin d'être liée à d'autres et subsiste détachée du contexte. Ainsi de chacune des phrases suivantes:

      «Les Barbares, le lendemain, traversèrent une campagne toute couverte de cultures. Les métairies des patriciens se succédaient sur le bord de la route; des rigoles coulaient dans des bois de palmiers; les oliviers faisaient de longues lignes vertes; des vapeurs roses flottaient dans les gorges des collines; des montagnes bleues se dressaient par derrière. Un vent chaud soufflait. Des caméléons rampaient sur les feuilles larges des cactus.»

      De la présence chez Flaubert de cette période statique et discrète, découlent l'emploi habituel du prétérit pour les actes et de l'imparfait pour les états; de là encore l'apparence sculpturale de ses descriptions où les aspects semblent tous immobiles et placés à un plan égal comme les sections d'une frise.

      Ce type de période alterne avec une coupe plus rare dans laquelle les propositions se succèdent liées. Aux endroits éclatants de ses oeuvres, dans les scènes douces ou superbes, quand le paragraphe lentement échafaudé va se terminer par une idée grandiose ou une cadence sonore, Flaubert, usant d'habitude d'un «et» initial, balançant pesamment ses mots, qui roulent et qui tanguent comme un navire prenant le large, pousse d'un seul jet un flux de phrases cohérentes:

      «Trois fois par lune, ils faisaient monter leur lit sur la haute terrasse bordant le mur de la cour; et d'en bas on les apercevait dans les airs sans cothurnes et sans manteaux, avec les diamants de leurs doigts qui se promenaient sur les viandes, et leurs grandes boucles d'oreilles qui se penchaient entre les buires, tous forts et gras, à moitié nus, heureux, riant et mangeant en plein azur, comme de gros requins qui s'ébattent dans l'onde.»

      Et cette autre période, dans un ton mineur:

      «Maintenant, il l'accompagnait à la messe, il faisait le soir sa partie d'impériale, il s'accoutumait à la province, s'y enfonçait;—et même son amour avait pris comme une douceur funèbre, un charme assoupissant. À force d'avoir versé sa douleur dans ses lettres, de l'avoir mêlée à ses lectures, promenée dans la campagne et partout épandue, il l'avait presque tarie; si bien que Mme Arnoux était pour lui comme une morte dont il s'étonnait de ne pas connaître le tombeau, tant cette affection était devenue tranquille et résignée.»

      En cette forme de style Flaubert s'exprime dans ses romans, quand apparaît une scène ou un personnage qui l'émeuvent; dans Salammbô et la Tentation, quand l'exaltation lyrique succède au récit.

      Ces deux sortes de périodes s'unissent enfin en paragraphes selon certaines lois rhythmiques; car la prose de Flaubert est belle de la beauté et de la justesse des mots, de leur tenace liaison, du net éclat des images; mais elle charme encore la voix et l'oreille par l'harmonie qui résulte du savant dosage des temps forts et des faibles.

      Constitué comme une symphonie d'un allegro, d'un andante et d'un presto, le paragraphe type de Flaubert est construit d'une série de courtes phrases statiques, d'allure contenue, où les syllabes accentuées égalent les muettes; d'une phrase plus longue qui, grâce d'habitude à une énumération, devient compréhensible et chantante, se traîne un peu en des temps faibles plus nombreux; enfin retentit la période terminale dans laquelle une image grandiose est proférée en termes sonores que rythment fortement des accents serrés. Ainsi qu'on scande à haute voix, ce passage:

      «Où donc vas-tu? Pourquoi changer tes formes perpétuellement? Tantôt mince et recourbée tu glisses dans les espaces comme une galère sans mâture; ou bien au milieu des étoiles tu ressembles à un pasteur qui garde son troupeau. Luisante et ronde tu frôles la cîme des monts comme la roue d'un char.»

      Et cet autre passage d'une mesure plus alanguie:

      «Il n'éprouvait pas à ses côtés ce ravissement de tout son être qui l'emportait vers Mme Arnoux, ni le désordre gai où l'avait mis d'abord Rosanette. Mais il la convoitait comme une chose anormale et difficile, parce qu'elle était noble, parce qu'elle était riche, parce qu'elle était dévote,—se figurant qu'elle avait des délicatesses de sentiment, rares comme ses dentelles, avec des amulettes sur la peau et des pudeurs dans la dépravation.»

      C'est ainsi, par des expansions et des contractions alternées, modérant, contenant et précipitant le flux des syllabes, que


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