Quelques écrivains français: Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. Emile Hennequin

Quelques écrivains français: Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc - Emile Hennequin


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en effet combien ces procédés de Flaubert conviennent aux nécessités de son style. Un énoncé de faits, une métaphore, un récit d'imaginations se prêtent parfaitement à être conçus en termes précis, colorés et rhythmés. En fait, les plus beaux passages de Madame Bovary et de l'Éducation sont ceux où l'auteur s'exalte à montrer la pensée de ses héroïnes. Décrite comme une vision, frappée en éclatantes figures et chantée comme une strophe, elle donne lieu à de splendides périodes, où se déploient tous les prestiges du style.

      L'art de ne révéler d'un paysage, d'une physionomie et d'une âme qu'un petit nombre d'aspects saillants, cette concision choisie et savante, ressortent encore des tableaux d'ensemble où se mêlent les péripéties et les descriptions. Que l'on prenne la scène des comices dans Madame Bovary, les files de filles de ferme se promenant dans les prés, la main dans la main, et laissant derrière elles une senteur de laitage, la myrrhe qu'exhalent les sièges sortis de l'église, les physionomies grotesques ou abêties de la foule, l'attitude nouvelle de Homais, les passes conversationnelles où Rodolphe conquiert la chancelante épouse, tout est saisi en de brefs aspects particuliers, sans le narré du train ordinaire qui dut accompagner ces faits d'exception. Dans l'Éducation sentimentale, cette contention et le choix adroit des détails significatifs tiennent du prodige. Une certaine phase que connaissent tous les habitués de traversées, est notée par ces simples mots: «Il se versait des petits verres». Les courses, l'attaque singulière du poste du Château-d'Eau pendant les journées de Février, qui est exactement ce qu'un passant verrait d'une émeute,—une séance de club, l'élégance et le luxueux ennui d'une réception chez un financier, sont décrits de même en traits discontinus et marquants. Et jusqu'aux merveilleuses et poignantes entrevues de Frédéric et de Mme Arnoux, à cette idylle d'Auteuil, où, vêtue d'une robe brune et lâche, elle promenait sa grâce douce sous des feuillages rougeoyants,—qui sont notées en faits indispensables et dépourvues de toute phraséologie inutile. Que l'on se rappelle, pour confirmer ces notions, les scènes exactes et comme perçues de Salammbô, ou l'extrême concision des préludes descriptifs dans la Tentation, les sobres et éclatantes phrases dans lesquelles un détail baroque ou raffiné révèle tout un temps; le festin d'Hérode, où, dans la succession des actes, pas une page ne souligne l'énorme luxure latente des convives qu'enivre la fumée des mets et la chaude danse de l'incestueuse ballerine; tous ces rayonnants tableaux sont peints en touches sûres et rares, qui ne montrent d'un spectacle que les fortes lumières et les attitudes passionnantes.

      Caractères généraux des moyens: Nous venons d'analyser avec une minutie qui sera justifiée plus loin, les moyens dont use Flaubert pour susciter en ses lecteurs les émotions qui seront désignées. Leur caractère commun est aisé à démêler, et rarement, du style à la composition, de la description à la psychologie, des mots aux faits, un artiste a fait preuve d'une plus rigide conséquence.

      Du haut en bas de son oeuvre, Flaubert est celui qui choisit avec rigueur et assemble avec effort des matériaux triés. Qu'il s'agisse de l'élection d'un vocable, il le veut unique, précis et tel que chacun ou chaque série réalise des idéaux sensuels et intellectuels nombreux. La syntaxe est correcte, sobre, liante, de façon à modeler des phrases presque toujours aptes à figurer isolées. Et comme cette rigueur concise exclut de la langue de Flaubert toute superfluité, des lacunes existent, ou le semblent, entre les unités dernières de son oeuvre; les paragraphes se suivent sans se joindre, et les livres s'étagent sans soudure.

      De même, si l'on considère ses procédés d'écriture par le contenu et non plus par le contenant, les faits aussi soigneusement élus que les mots, forcés d'ailleurs d'être tels qu'on les puisse exprimer dans une langue déterminée,—sont significatifs pour qu'ils donnent lieu à de belles phrases, et significatifs encore, parce qu'ils résultent d'un choix d'où le banal est exclu.

      De ce triage perpétuel des mots et des choses, résulte la concision puissante, la haute et difficile portée de ce qu'exprime Flaubert; de là ses descriptions écourtées, disjonctives et pourtant résumantes, sa psychologie, soit transmutée en magnifiques images, soit réduite en sobres indications d'actes, sous lesquelles certains esprits perçoivent ce qui est intime et d'ailleurs inexprimé; de là le sentiment de formidable effort et d'absolue réussite parfois, que ces oeuvres procurent, qui, ramassées, trapues, planies, parachevées et polies grain à grain, ressemblent à d'énormes cubes d'un miroitant granit.

      NOTES:

      La signification de ce procédé d'analyse est excellemment développée dans les Essais de psychologie de M. Paul Bourget.

       Table des matières

       Table des matières

      L'ensemble: L'oeuvre de Flaubert est double, départie entre le vrai et le beau. La tragique histoire de Madame Bovary raconte en sa froide exactitude la ruine d'une âme forte et irrésignée qu'avilit et qu'écrase la bassesse stupide de tous. L'Éducation sentimentale conduit, par l'infini dédale des lâches amours de Frédéric Moreau, de la rubiconde infamie d'Arnoux, à la double beauté de Marie Arnoux; ce livre apprend à mesurer les extrêmes de l'humanité. Il est des heures où du spectacle des choses s'exhale le pessimisme parfois puéril de Bouvard et Pécuchet, que corrige la cordiale pitié empreinte dans le premier des Trois Contes. Les pages qui le suivent consolent par d'augustes spectacles d'avoir vu et pénétré la vie. L'irrésistible charme de la Légende, la sèche beauté d'Hérodias, induisent à Salammbô où la pourpre et les ors du style expriment, en une suprême fanfare, l'exquis, le grandiose et le fulgurant. En l'oeuvre maîtresse, la Tentation de saint Antoine, le beau et le vrai s'allient par l'allégorie; pénétrée de signification et décorée de splendeur, cette oeuvre consigne en un dernier effort tout le testament spirituel et mystique de Gustave Flaubert.

      Cette ordonnance n'est point absolue. Les oeuvres où Flaubert s'est le plus abandonné au terne cours de la vie, sont teintes parfois d'incomparables beautés de style et d'âme. Il est même des passages dans l'Éducation sentimentale qui, dans leur tentative d'exprimer d'indéfinissables mouvements d'âmes, touchent au mystère. Et si la beauté rayonne dans Salammbô, la Tentation, Hérodias, la Légende, elle y est définie et corroborée par un réalisme historique plein de minutie. Le pessimisme qu'affirme Bouvard et Pécuchet ne ressort pas plus des tristes dénouements des romans, que des farouches destinées qui s'appesantissent dans Salammbô et des continus effarements avec lesquels saint Antoine contemple l'écroulement de ses erreurs. Ainsi mêlées en des alliages où chaque élément prédomine alternativement, les deux passions de Flaubert, la beauté exaltée jusqu'au mystère, et la vérité suivie de pessimisme, composent les livres que nous analysons.

      Le réalisme: Le réalisme, qu'il faut définir la tendance à voir dans les objets dénués de beauté matière à oeuvre d'art, est poussé chez Flaubert à ses extrêmes limites, et, en fait, certains côtés extérieurs de Madame Bovary et de l'Éducation n'ont pas été dépassés par les romanciers modernes. Flaubert s'est astreint à décrire de niaises campagnes, comme les environs d'Yonville, ou les plates rives de la Seine entre lesquelles se passe le début de son second roman. Des intérieurs sordides apparaissent dans ses livres, de la cahute près d'Yonville, où Mme Bovary trouva l'entremetteuse de ses liaisons, à la mansarde dans laquelle Dussardier blessé fut soigné par cette énigmatique personne, la Vatnaz. Mais la médiocrité attire Flaubert davantage. Il excelle à peindre en leur ironique dénûment de toute beauté, certains intérieurs bourgeois, décorés de lithographies, planchéiés, frottés et balayés. Certaines hideurs modernes le requièrent. Il s'adonne


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