Pour la patrie: Roman du XXe siècle. Jules Paul Tardivel

Pour la patrie: Roman du XXe siècle - Jules Paul Tardivel


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fut cependant Montarval qui, payant d'audace, rompit le silence:

      —Que venez-vous faire ici? dit-il sur un ton hautain et provocateur.

      Je viens soulager votre père, puisque vous l'abandonnez aux soins des étrangers, répondit Lamirande avec calme.

      —Ah! c'est comme cela que vous écoutez aux portes hypocrite que vous êtes, s'écria Montarval hors de lui-même.

      Lamirande ne daigna pas lui répondre et l'écartant d'un geste, il pénétra dans la chambre et se rendit auprès du vieillard que cette scène avait fortement ému.

      —Monsieur, lui dit Lamirande, en montant l'escalier, j'ai surpris bien involontairement votre secret. Souffrez que je vous amène chez moi.

      Le vieillard fondit en larmes.

      —Oh! dit-il, que vous êtes bon! mais je ne puis accepter votre offre. Je veux mourir ici inconnu, afin que mon fils n'ait pas honte de moi. Car c'est mon fils unique, et je l'aime, malgré tout ce qu'il m'a fait souffrir.

      En parlant ainsi, le vieillard s'était assis sur son grabat. Lamirande put constater la ressemblance entre les traits du père et ceux du fils. Deux visages assombris, l'un par le chagrin, l'autre par les passions. Le père inspirait de la sympathie, le fils, une invincible répugnance.

      Lamirande s'assied à côté du vieillard, et passe doucement son bras autour de lui pour le soutenir.

      —Parlez, monsieur. épanchez votre cœur, cela vous soulagera.

      —Ah! mon fils, poursuivit le vieillard, comme s'il parlait à lui-même, je ne le maudis pas, car s'il est mauvais aujourd'hui, c'est ma faute. Je l'ai élevé sans correction, j'ai laissé ses caprices, ses funestes penchants grandir avec lui. Il me semblait que c'était là de l'amour paternel. Aujourd'hui je vois ma folie. Il m'a ruiné. Puis il a quitté la France, il y a bien des années. Je ne savais pas où il était, car il ne m'écrivait jamais. Ce fut par hasard que je vis dans un journal canadien, qu'il était établi à Québec, qu'il était riche. Je l'aimais toujours, et résolus de venir le retrouver, car j'étais si seul. Ah! que ne suis-je resté là-bas, dans ma solitude. J'étais pauvre, j'avais du chagrin en pensant à mon fils absent; mais au moins je n'avais pas le cœur brisé comme il l'est aujourd'hui.... J'avais juste assez de petites économies pour payer mon passage à Québec. En arrivant ici je me suis rendu tout droit chez mon fils....

      La voix du vieillard s'étouffa dans les sanglots. Après quelques instants, il continua:

      —Le malheureux! il ne voulut pas reconnaître son père! Il me traita d'imposteur, me mit à la porte de sa maison et me dit, avec des menaces, de ne plus jamais mettre les pieds. Vous comprenez le reste. Je me suis réfugié ici pour mourir'

      Lamirande, vivement impressionné par ce récit, laissa le vieillard pleurer en silence pendant quelques instants, le soutenant toujours. Puis il l'interrogea doucement.

      —Mais si votre fils n'a pas voulu vous reconnaître, comment se fait-il donc qu'il soit venu vous trouver ici?

      —Je voudrais croire à un mouvement de repentir, mais hélas! par ce qu'il m'a dit, je vois trop qu'il n'a agi que par peur du scandale. Il a craint que mon histoire ne fût connue.... Il a voulu m'envoyer dans un hôpital ou me mettre en pension à la campagne. Il rougirait d'avoir son vieux père chez lui. Je ne puis accepter le morceau de pain qu'il me jette.... C'était son cœur que je voulais; il me le refuse.... Je n'ai qu'à mourir inconnu pour lui épargner la honte....

      Un nouveau paroxysme de sanglots l'empêcha de continuer.

      Pendant que le vieillard exhalait ainsi la douleur, le fils avait allumé un cigare, et, le dos tourné vers le lit, il regardait par la fenêtre, tambourinant sur les vitres crasseuses. Profitant de l'interruption dans les confidences de son père, il se retourna vivement. Il avait un reflet de l'enfer dans les yeux. Cependant, il refoula sa rage avec un calme apparent.

      —Il me semble que voilà bien des paroles inutiles. Je ne veux pas, je ne puis pas m'embarrasser de ce vieillard. Que ferais-je de lui chez moi, moi qui suis garçon? Je lui fais une offre raisonnable et il la refuse. Que voulez-vous que je fasse?

      Et le fils dénaturé se dirigea vers la porte.

      Lamirande qui soutenait toujours le vieillard prêt à défaillir, s'écria:

      —Mais c'est épouvantable ce que vous dites là, monsieur Montarval. Est-ce ainsi qu'un fils doit traiter son père?

      —Je puis me dispenser de vos sermons, fit Montarval.

      —De mes serinons, oui; mais vous ne pouvez vous dispenser d'obéir au commandement de Dieu qui nous ordonne d'honorer nos parents.

      —Encore un sermon! ricana Montarval. Est-ce que je m'occupe des commandements de votre Dieu, moi?

      —Mais, pauvre insensé, vous voulez donc vous damner!

      —Appelez ça comme vous voudrez, mais je ne veux pas de votre ciel où il faudra croupir éternellement dans un ignoble esclavage aux pieds du tyran Jéhovah. Je veux être libre dans ce monde et dans l'autre, entendez-vous?

      Lamirande frémit. Il avait souvent lu de pareilles horreurs dans les livres qui traitent du néomanichéisme; mais c'était la première fois que ses oreilles entendaient un tel cri d'enfer, que ses yeux voyaient les feux de l'abîme éclairer de leur sombre lueur un visage humain. “Seigneur Jésus! murmura-t-il, je vous demande pardon de ce blasphèmes.” Puis se tournant vers le blasphémateur:

      —Laissons ce sujet, car je ne veux plus entendre de ces abominations. Mais si vous ne craignez pas le jugement de Dieu, ne redoutez-vous pas, au moins, la justice des hommes? Je puis vous dénoncer, si non aux tribunaux, du moins à l'opinion publique.

      —Mais vous ne le ferez pas. Je nierai, et où sont vos preuves?

      De sa main gauche, Lamirande indiqua le vieillard que son bras droit soutenait toujours.

      —Il ne parlera pas, fît Montarval, je le connais.

      —Mais ma parole suffira, dit Lamirande. Entre mon affirmation et votre dénégation, les honnêtes gens n'hésiteront pas.

      —Au besoin, le vieux niera avec moi pour me sauver du déshonneur. Contre deux négations votre affirmation ne vaudra rien.

      —J'attendrai que votre père soit mort pour vous dénoncer.

      Montarval perdit contenance, car il comprenait fort bien qu'on ajouterait foi plutôt à la parole de Lamirande qu'à la sienne.

      Le vieillard jeta un regard suppliant sur son protecteur.

      —De grâce! monsieur, ne le dénoncez pas, ne le déshonorez pas....

      —Mais il mérite les mépris des hommes.

      —Oh! de grâce, je vous en prie, ne le dénoncez pas.

      —Allons, mon cher monsieur, fit Lamirande, venez-vous en chez moi. Vous êtes brisé par la fatigue et l'émotion; vous avez besoin de repos. Plus tard nous reviendrons sur ce pénible sujet. Venez!

      —Vous tenez réellement à m'amener chez vous? interrogea le vieillard.

      —Oui, j'y tiens beaucoup, plus même que je ne puis vous dire.

      —Eh bien! j'irai, mais à une condition: c'est que vous me promettiez de ne jamais le dénoncer.

      Lamirande hésita. Faire cette promesse, c'était en quelque sorte s'engager à laisser le crime impuni. Persister dans sa détermination vis-à-vis du fils dénaturé, c'était condamner le père à mourir misérablement sur ce grabat. Puis il songea à l'âme de ce pauvre abandonné.... Son âme était peut-être plus malade encore que son corps.... Il n'hésitait plus.

      —C'est bien! je vous le promets.

      Puis se retournant vers le fils.

      —Misérable!


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