Simone. Victor Tissot

Simone - Victor Tissot


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rouges et des petits rires qui sonnent comme des cornets à piston, venues à la campagne pour manger des pissenlits tout crus cueillis dans le fossé. Elles voient les roses, passent les menottes par-dessus le mur. Et hop! les voilà prises. Je les maintiens par le poignet pendant que le garde champêtre dresse procès-verbal. Si elles sont accompagnées par des hommes, on leur fait payer une amende. Quand elles sont seules, on plaisante un brin et elles griffent le garde champêtre.

      —Et que gagnes-tu à ce vilain métier, mon pauvre Tant-Seulement?

      —Trois francs par jour, mais je ne touche pas à l'argent des Parisiens.

      —Les amendes sont pour les pauvres? Tiens! ton maire a une façon bien amusante de faire la charité!

      —Oh! monsieur, je crois certainement que le maire partage l'argent avec le garde champêtre.

      —C'est juste! Tu vas gagner de jolies pièces de quarante sous, mon garçon, puisque tu as déjà chassé aux maraudeurs.

      —Sûrement, mais je n'ai pas le garde-champêtre pour m'aider. Enfin je vous dirai le nom des voleuses. Je pense que Mlle l'Embaumée a déjà son corsage tout plein fleuri de votre lilas.

      * * * * *

      Rassuré sur la conservation de ses arbustes, M. Gosselet se dirigea vers son usine pour entretenir le petit Bamberg, le second ingénieur, sur un perfectionnement apporté par lui, Gosselet, à l'invention des yeux de rechange.

      Le fabricant de poupées avait en effet imaginé de peindre sur les petites sphères déjà illustrées de prunelles noire et de prunelles bleues, des yeux bruns et verts, ce qui lui avait permis de lancer des réclames sur le système oculaire «inventé par l'ingénieux M. Gosselet».

      Assis devant son bureau, il parcourait les journaux qu'on lui avait adressés pour la justification des annonces. Certaine feuille mondaine consacrait à la découverte du fabricant un article, dit scientifique, célébrant les mérites du «patriotique inventeur qui, non content de donner la parole aux poupées françaises, les dotait de jolies prunelles à nuances changeant au gré des petites mamans. Cette découverte, continuait le journaliste, permettra aux petites filles de créer une mode de prunelles à l'usage des bébés en carton. Au printemps, les yeux verts seront de mise. L'été on ne portera que des yeux bleus. A l'automne les yeux bruns. A l'hiver les yeux noirs

      Cet article à cheval sur la une et sur la deux, c'est-à-dire commencé en première page et terminé en deuxième, avait coûté près de cinquante louis au «patriote fabricant». Mais à l'incessante sonnerie du téléphone qui mettait l'usine en communication avec la maison de vente du faubourg Saint-Denis, M. Gosselet pouvait se rendre compte de l'effet produit par cette prose élogieuse sur les revendeurs de jouets parisiens.

      En entrant à l'usine, il avait fait mander le petit Bamberg pour hâter la fabrication de ces prunelles de quatre-saisons. On frappa.

      —Entrez, Bamberg! Entrez!

      Bamberg, un petit jeune homme blond, aux yeux gris, parut, timide, rougissant presque.

      —Ça marche, hein! Bamberg? Quand pourrons-nous livrer nos nouvelles poupées?

      —Dans quinze jours, monsieur, dès que l'outillage sera complètement installé. Nous pourrons faire face, alors, à toutes les commandes.

      —Lisez donc l'article de Dupont dans le Cervantès. Il a oublié d'annoncer que l'invention était de vous, mon cher ami, mais peu importe, n'est-ce pas! Qu'est cela pour vous? Une machinette! Vous inventerez des choses autrement merveilleuses. D'ailleurs, je vous en saurai gré, Bamberg, je vous en saurai gré.

      Bamberg protesta de la main contre une augmentation possible de ses appointements, mais M. Gosselet se contenta de répéter en hochant la tête avec obstination:

      —Parfaitement, je vous en saurai gré, mon petit Bamberg.

      Bamberg rougit beaucoup, salua et retourna à ses sphères à prunelles pendant que M. Gosselet consultait sa montre:

      —Onze heures déjà! Juste le temps de passer une redingote. Dire que je ne peux pas déjeuner en veston chez moi!

      En poussant la lourde porte enferraillée, M. Gosselet constata de nouvelles déprédations commises par mesdemoiselles les polisseuses. Pendant qu'il était à son bureau, les chipeuses avaient dépouillé de leurs fleurs tous les rameaux surplombant le mur d'enceinte. Il cria comme si elles pouvaient l'entendre:

      —Je les chasserai, les gueuses, je les chasserai! Elles n'ont pas la première notion du tien et du mien.

      Des traces de pas qu'il aperçut sur le sable de l'allée longeant la muraille ne firent qu'augmenter sa mauvaise humeur. Les «gueuses» osaient-elles donc prendre leurs ébats dans son parc, et cela précisément dans l'allée que préférait sa femme! Il examina attentivement les empreintes dessinées sur le sol et put se convaincre que ses ouvrières étaient innocentes de ce nouveau méfait.

      Les traces n'étaient pas de la même grandeur et semblaient avoir été faites par des chaussures de sexes différents, des chaussures du meilleur monde. Les plus grandes cheminaient à côté des plus petites, celles-ci effleurant à peine le gravier, celles-là marquées nettement comme à l'emporte-pièce.

      Tous les deux mètres, le sable piétiné témoignait que les chaussures avaient dû faire là un brin de causette. Brusquement, elles s'arrêtaient près d'un banc de pierre placé au-dessous du petit Amour lançant des flèches. Elles avaient dû faire une longue halte en cet endroit, le tuf étaient zébré d'écorchures mettant à nu la terre végétale.

      Cette étude d'empreintes, agréable pour un rêveur ou un poète, n'était pas pour satisfaire M. Gosselet.

      Il héla le jardinier.

      —Quand avez-vous ratissé cette allée, Tant-Seulement?

      —Hier soir, monsieur, à nuit tombée, mêmement.

      —Ma femme n'est pas venue se promener dans le parc, ce matin?

      —Je n'ai pas vu madame.

      —Avez-vous aperçu Mlle Simone?

      —Je ne l'ai pas vue pareillement.

      —Bien!

      Tant-Seulement se retira, l'échine courbée comme il avait l'habitude de le faire toutes les fois que son maître ne le tutoyait pas.

      Assis sur un banc, aux pieds du petit Amour qui lançait ses flèches, M. Gosselet se livra à une nouvelle étude des empreintes, étude douloureuse mais fructueuse puisqu'il ne tarda pas à être convaincu que seules Mme Gosselet et sa fille portaient d'assez mignons souliers pour laisser sur le sable d'une allée de semblables traces.

       Table des matières

      —Ma femme ou ma fille! répétait M. Gosselet montant l'escalier qui conduisait au premier étage. Ma femme ou ma fille, c'est-à-dire une femme portant le nom de Gosselet que cinq ou six générations de chaudronniers on traîné honnêtement sur les grandes routes d'Issoire à Ambert. Ah! ces Parisiennes! Pourtant Simonette doit avoir du bon sang rouge d'Auvergne dans les veines quoique née d'une petite marchande de la rue Saint-Denis… Parisienne sans doute, mais Auvergnate aussi!

      —«Elle ressemble aux Gochelets!»

      —«C'est tous le portrait des Gochelets!»

      L'année précédente en un voyage triomphal à travers le Mont-Dore, toutes les mères à rouliers, toutes les cabaretières avaient proclamé que la gente demoiselle était bien l'héritière des «Gochelets rétameurs de cacheroles depuis que le monde est le monde.»

      Quant à Mme Gosselet, «qui avait bien pour cent


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