Simone. Victor Tissot

Simone - Victor Tissot


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les bras aux aspérités de la pierre.

      Descendue sur le perron, tenant encore le câble en main, prête à commencer l'escalade si quelque danger la menaçait, elle observa de nouveau le parc et se dirigea vers la charmille où attendait M. Gosselet.

      Vite, le marchand de poupées se blottit derrière le socle du petit Amour lançant des flèches, écartant les branches de lilas qui formaient un retrait où il pourrait tout entendre sans être vu. Les amoureux prendraient place sur le banc de pierre si proche de lui qu'il devinerait même les mots balbutiés par les lèvres bégayant les serments passionnés.

      Il entendit un bruit de pas, puis le heurt léger d'un doigt contre la lourde porte qui séparait le parc de la cour de l'usine. On chuchota:

      —Vous, Simone?

      —Moi, André.

      Et brusquement la lourde porte cadenassée, verrouillée, s'ouvrit comme par enchantement, sans la moindre plainte de ses gonds habituellement gémissants.

      Les pas se rapprochant de sa cachette, M. Gosselet put apercevoir

       Bamberg et Simone venant vers lui, les mains enlacées.

      —Vous n'avez pas froid, mignonne?

      —Non, André. J'ai mon caban et aussi mon costume de gymnastique de flanelle noir qui est très chaud.

      —Causons, voulez-vous?

      Soupirant, ils vinrent s'asseoir sur le banc de pierre, ainsi que M. Gosselet l'avait prévu, Simone le coude appuyé sur le socle du petit dieu, Bamberg penché en avant pour admirer l'aimée.

      —Cruelle, qui me refuse un baiser.

      —Plus tard, André!

      —Quand?

      —Je vais vous gronder… je vous ai répété si souvent que cela arrivera quand vous m'aurez toute.

      —Toute! Depuis un mois, mon adorée, je baise les cinq ongles roses de votre menotte. Puis-je espérer que mes lèvres arriveront un jour jusqu'au poignet?

      —Vous vous lassez.

      —Méchante qui n'en croit pas un mot?

      —Mon ami, je veux vous donner une petite femme, qui vous sera totalement inconnue.

      —Donnez-moi, en attendant, vos dix doigts à baiser, au moins.

      —Prenez garde et n'allez pas écorcher vos lèvres aux rugosités de l'épiderme. J'ai beau mettre des gants très épais, le trapèze ne me permet pas de montrer des mains de petite maîtresse.

      —M'aimes-tu?

      —Pourquoi me tutoyer, André? Plus tard vous me direz: «madame Bamberg, vous êtes insupportable… madame Bamberg, vous êtes exaspérante.» Et tout cela pour avoir abusé du tu aux nocturnes fiançailles.

      —L'originale fiancée!

      —Originale, non! Les autres sont originales, moi pas! Qu'une jeune fille livre ses yeux, livre sa bouche, livre sa taille et se croie toujours vierge: voilà ce que je n'ai jamais pu comprendre. Les hommes,—j'ai beaucoup lu,—nous considèrent comme de jolies petites places fortes où il fait bon tenir garnison. La place se rend ou ne se rend pas: voilà tout. Je ne sache pas que les défenseurs d'une forteresse aient jamais engagé les assiégeants à persévérer dans l'attaque par des aguicheries et des concessions de tourelles. Ce seraient des sièges de convention, ces sièges-là.

      —Voilà une petite place qui tonne joliment contre le pauvre André

       Bamberg.

      —Vous userez de représailles, mon ami!

      —Quand, hélas!

      —Affaire à vous. Quel drôle d'assiégeant vous faites! Vous restez là à jouer des airs de flûte sous les… remparts espérant qu'on répondra à vos bergerades par des baisers à boulets rouges.

      —Bien! je prends l'offensive.

      Passant le bras autour du caban de Simone, André voulut prendre un baiser.

      —Prenez garde, mon ami, je me défends. J'ai des ongles acérés de petite chatte sauvage et des biceps capables de porter quinze kilos à bras tendus.

      —Il me serait impossible d'accomplir semblable prouesse… et je désespère, Simone, de vous faire partager mon amour.

      —C'est-à-dire que vous pensez, mon pauvre André, que si je suis assise à côté de vous en ce coin désert du parc, c'est par caprice de jeune fille romanesque, amoureuse seulement de clairs de lune.

      Dégageant ses mains des menottes de Simone, André Bamberg baissa la tête pour cacher à la jeune fille une larme tombée dans les frisons blonds de sa moustache. Mais Simone devina la cause du silence de celui qu'elle aimait, et, penchée en un joli mouvement de buste, elle attira les lèvres d'André vers ses lèvres, le bras passé autour du cou de son amant:

      —Méchant qui pleure! Méchant qui pleure! Alors, je ne t'aime pas… Osez donc répéter, monsieur Bamberg, que je ne vous aime pas! Et cette vilaine larme qui me mouille les lèvres… Séchée la larme!… Bue la larme, la petite larme salée si bonne, qui me donne soif de nouveaux baisers. C'est pour toi, mon aimé, que je ne voulais pas de tes caresses. On doit tant aimer ce que l'on a longtemps voulu avec la désespérance de ne pas le posséder un jour. Pendant un mois, un long mois, j'ai souffert, me gardant de toi, de ta bouche. J'ai pleuré de faire de la tristesse à ton front. J'aurais voulu m'offrir à toi au jour de la communion, les lèvres vierges de tes lèvres. Je me serais donnée peu à peu, pour être certaine de te garder plus longtemps, aussi longtemps que mon seigneur aurait pris de nouvelles joies en moi! Méchant qui pleure et qui n'a pas vu que je ne voulais pas gaspiller notre tendresse, et que je ne suis pas femme à me donner un peu sans me donner toute.

      André ne pleurait plus, mais écoutait la petite musique de cette voix douce chantant près de son oreille, si près, que l'haleine chaude de Simone le chatouillait. Il embrassait les mains de celle qui venait de lui dire franchement toute sa passion, se servant, jeune fille chaste, des mots de vieilles maîtresses qui savent bercer les douleurs d'hommes.

      M. Gosselet, surpris de ne plus entendre que des chuchotements, écarta de la main une branche qui l'empêchait de voir les amoureux.

      Le bruissement des feuilles apeura Simone qui se pressa vers l'aimé, l'étreignant de ses deux bras:

      —J'ai peur, André.

      —Peur, petite folle, peur de quelque insecte qui bourdonne sa tendresse à sa fiancée.

      —Les feuilles ont remué, je te l'assure.

      —Bast! C'est le petit amour qui écarte les grappes de lilas pour voir combien tu es belle. Parle… Dis-moi: tu… Tu dis si bien: tu. Dis ce que tu voudras, ce que tu imagineras. Je ne connaissais pas ta voix. Quand je te disais mon amour, moqueuse, tu interrompais mes serments de mots drôles. J'étais toujours battu, moi qui ne parlais qu'avec mon cœur. Tu m'aimes?

      —Je vous aime.

      —Le vilain vous.

      —Je t'aime, je t'aime parce que…

      —Parce que…

      —Tu n'es pas comme ceux qui viennent chez mon père, et, assis à notre table, inventorient les meubles, le linge de bouche, les faïences accrochées au mur et aussi la fille, qu'ils espèrent emporter avec un peu d'argenterie. Je t'aime parce que… je ne sais pas, moi, pourquoi je t'aime! Un jour comme tu causais avec papa Jean-Marie des affaires de l'usine, j'ai compris que tu me disais des mots que ceux qui étaient là n'entendaient pas. «Il nous faut vingt mètres de courroie, monsieur Gosselet!» Tu m'as dit ça et je ne me suis pas défendue de ton amour et j'ai attendu l'aveu que tu devais me faire pour que je vienne à toi; et je suis venue sans crainte, vers mon époux… Vous ne pleurez plus, monsieur


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