Le Roman Historique a l'Epoque Romantique - Essai sur l'Influence de Walter Scott. Louis Maigron

Le Roman Historique a l'Epoque Romantique - Essai sur l'Influence de Walter Scott - Louis Maigron


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Table des matières

      LE ROMAN HISTORIQUE AVANT LE ROMANTISME

      S'il est indiscutable que le vrai roman historique est une conquête du XIXe siècle, il n'en est pas moins certain que les Vigny et les Mérimée, les Balzac et les Hugo ont eu des précurseurs dans notre littérature, et que, avec toutes les différences qui peuvent d'ailleurs les en séparer, leurs ancêtres restent bien, non pas seulement les Courtilz de Sandras et les Prevost, mais même les La Calprenède et les Scudéry. Les uns ont écrit, ou plutôt ils ont cru écrire, des romans historiques: leurs héros ne sont jamais que des personnages illustres; il n'y a qu'une toile de fond à leurs scènes, et c'est toujours l'histoire; la plus ordinaire enfin de leurs prétentions est de ne rien avancer qu'ils ne puissent soutenir d'irréfutables témoignages,—chose après tout fort naturelle, personne n'ayant le ton plus affirmatif que le plus effronté menteur. Mais, pour ridicule que soit la mascarade, il est remarquable que tous ces «romanistes», comme les appelait Bayle, obéissent d'instinct à une des lois du roman historique, qui est de ne point prendre ses personnages dans une réalité trop voisine, et donc en général assez peu poétique. Or, reculer leurs scènes jusqu'aux temps mal éclairés du moyen âge, les transporter même jusqu'aux époques fabuleuses de la légende romaine, c'était donner à leurs oeuvres l'espèce d'attrait que devaient dégager plus tard et pour d'autres lecteurs Notre-Dame de Paris ou la Chronique de Charles IX, Quentin Durward ou Ivanhoe.

      Avec des ambitions plus modestes, d'autres réalisent moins mal, quoique sans le savoir, la formule du roman historique moderne, et se rapprochent d'autant plus du but qu'ils semblent moins y tendre. Au lieu d'introduire l'histoire dès les premières pages, avec ostentation et fracas, ils la dissimulent au contraire, la glissent à l'ombre et comme à couvert de leurs aventures tragiques ou plaisantes, nous ôtant ainsi, et fort habilement, la tentation et même le droit d'être exigeants et sévères pour des figures reléguées à l'arrière-plan. En même temps, par le choix des époques et des personnages, ils s'astreignent à plus d'exactitude et de fidélité. Désormais, plus de Pharamond, de Clélie ou d'Horatius Coclès, personnages fabuleux ou légendaires, plus poétiques que vrais et dont il est impossible de vérifier le vrai caractère; mais Louis XIII et Mazarin, la cour des Stuarts ou celle de Saint-Germain, c'est-à-dire l'histoire d'hier ou même l'histoire présente, et dont chaque lecteur peut immédiatement éprouver le degré d'exactitude ou de fausseté. Par là s'insinuait dans le roman un certain respect de la vérité historique, et le genre apprenait à se préserver des travestissements grotesques qui, en discréditant sa fortune, pouvaient le compromettre et le déshonorer à tout jamais.

      Enfin, à l'aurore même du XIXe siècle, et quelques années avant que Walter Scott exécutât ses romans historiques d'après les règles que devaient s'efforcer d'observer chez nous ses premiers imitateurs, Chateaubriand, dans les Natchez, les Martyrs et le Dernier Abencerage, découvrait ou appliquait mieux que tout autre un des éléments essentiels du genre: la couleur locale. Le roman historique avait à peu près tous ses organes. Il ne fallait plus qu'un souffle pour tout animer; il vint, et ce fut d'Angleterre.

      Ainsi envisagée, l'histoire du roman historique avant le romantisme prend un intérêt véritable, et l'on arrive à oublier l'insignifiance et l'insipidité des oeuvres, quand on ne s'attache qu'à suivre à travers elles la lente organisation d'un genre nouveau.

       Table des matières

      Le courant idéaliste[1].

      Le XVIIe siècle, où tant de choses se sont organisées, les grands genres littéraires et la monarchie absolue, devait assister aussi aux tentatives d'organisation d'un genre remis en faveur par l'Astrée, vers 1610: le roman. Comme il ne savait pas encore quel devait être son objet, il hésita longtemps, tâtonna, eut des aventures. Il fut pastoral avec l'Astrée et la Carithée, exotique et fantastique avec Polexandre, satirique et picaresque avec Francion et le Berger extravagant; et ainsi ballotté de tous côtés, jouet de tous les vents, c'est-à-dire de toutes les fantaisies des auteurs, avec l'Ariane[2] de Desmarets de Saint-Sorlin (1632), il toucha enfin à l'histoire. Le goût public aidant[3], ce fut bientôt la forme de roman qui prévalut. Cassandre est de 1642, Cléopâtre de 1648,Artamène ou le Grand Cyrus de 1649,Clélie de 1656, et Faramond de 1661. Or, comme chacune de ces oeuvres a un nombre fort respectable de volumes[4] et que, s'il fallait déjà du temps pour les lire, il en fallait sans doute bien plus encore pour les composer, on peut dire que pendant plus d'un quart de siècle la production en fut continue. De cette union du roman et de l'histoire, il ne pouvait malheureusement rien sortir.

      [Note 1: Comme il est essentiel de fixer et de préciser le sens d'un terme d'autant qu'il est plus flottant et plus vague, nous appelons (faute d'un mot plus clair et surtout plus simple) idéalistes les écrivains qui altèrent systématiquement l'histoire, moins soucieux de la décrire dans sa réalité que d'après l'idée plus ou moins fausse qu'ils ont pu s'en faire.]

      [Note 2: Ariane est une contemporaine de Néron, et non la soeur de Phèdre: il ne faudrait pas s'y tromper.]

      [Note 3: Dans l'édition précédente, nous avons dit les principales raisons de cet engouement.]

      [Note 4: Les romans de Cassandre, d'Artamène et de Clélie en ont 10 chacun; Cléopâtre en a 12, 48 livres et 4153 pages.]

      Si le roman historique n'est pas l'histoire, il n'en est pas moins vrai que les destinées de l'un sont intimement liées à celles de l'autre et que des progrès ou de l'intelligence de celle-ci dépendent les mérites ou les défauts de celui-là. Or, quelle idée se fait-on de l'histoire au XVIIe et au XVIIIe siècle? On connaît, il est vrai, avec assez d'exactitude les faits et les successions de faits de quelques époques. On sait, par exemple, que Cyrus fut un grand roi, que Néron incendia une partie de Rome, que Richard Coeur-de-Lion fut retenu prisonnier en Autriche à son retour de Palestine et qu'il y eut sous Charles VII une héroïne du nom de Jeanne d'Arc. Mais quelles étaient les moeurs de ces époques, leur façon de sentir et de penser, leur âme enfin,—ce qui est justement la seule matière possible du roman historique,—c'est ce qu'il semble difficile d'avoir ignoré d'une ignorance plus profonde. Vous pouvez parcourir Mézeray, pour ne citer que l'historien le plus estimé du XVIIe siècle, et le seul précisément que l'école descriptive des Chateaubriand et des Augustin Thierry ait un peu épargné: vous ne rencontrerez aucun de ces traits pénétrants qui révèlent chez les hommes des temps passés des âmes différentes des nôtres. Certaines de ses descriptions ne manquent pourtant pas d'exactitude. Il parle, dans son Histoire de France avant Clovis, de framées et de francisques; il montre ces guerriers primitifs chassant «aux Elans, aux Wisens et aux Urochs», dans une phrase dont il semble que le rythme n'ait pas échappé à Chateaubriand. Mais, sans compter que l'Avant-Clovis est de 1682 et par conséquent postérieur aux romans de Mlle de Scudéry et de La Calprenède, ce commencement de vérité pittoresque s'arrête à l'extérieur. Le dedans, l'âme, reste toujours hors de ses prises. Il ne vient même pas à la pensée de l'historien de se demander si ces dehors barbares peuvent cacher autre chose qu'une âme de barbare. Il n'y avait cependant qu'un pas à faire: on ne mit guère qu'un siècle et demi à le franchir.

      En attendant, avec une insouciance et une sécurité vraiment admirables, on fait subir aux moeurs des temps passés le travestissement le plus ridicule. Encore s'il s'était contenté de les ignorer! Mais le siècle, avec une complaisance visible, les façonne à son image et à sa ressemblance. Par un scrupule dont on ne saurait trop le louer, Mézeray, dans sa Galerie des rois de France, a fait laisser en blanc les médaillons de «Faramond» (qu'il appelle aussi «Waramond»), de Clodion, de Mérovée et de Childéric. Mais il écrit sans sourciller que Childéric était «d'humeur amoureuse et d'agréable entretien


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