Histoire de la République de Gênes. Emile Vincens

Histoire de la République de Gênes - Emile Vincens


Скачать книгу
des siècles.

      Les croisés avaient avec eux un petit nombre de navires anglais et flamands qui avaient apporté de l'Océan quelques renforts aux princes de ces contrées lointaines. Il parut même une flotte de Danois. Ils coopérèrent à quelques sièges, et, pour toute récompense, ils ne voulurent qu'une parcelle du bois de la vraie croix. Les Italiens, sans négliger l'acquisition des reliques, étaient moins désintéressés pour les biens terrestres. Mais aussi par leur voisinage et par leur activité, par leurs relations sur les côtes, et leur habitude de la navigation dans la Méditerranée, ils rendaient à l'armée des services qu'on ne pouvait recevoir d'une poignée de navigateurs de l'Océan.

      Bohémond attira quelquefois des vaisseaux de ses provinces des deux Siciles, mais il est rarement question de leur assistance. Au contraire, on trouve partout les Génois et les Pisans, souvent confondus par nos croisés, qui les voyaient paraître sans cesse, tantôt ensemble, tantôt les uns à la suite des autres; cependant les mémoires du temps ont bien su distinguer ce qui appartient à Embriaco et à ses Génois au siège de Jérusalem. Entre les deux peuples la jalousie était réciproque; mais l'autorité des papes, qui ménageait parmi ces rivaux des trêves ou des paix, les savait faire marcher ensemble quand elle y était intéressée. Ainsi leurs flottes réunies escortèrent à la terre sainte l'intrigant Daimbert, légat du saint-siège et archevêque de Pise.

      C'était au moment où Godefroy de Bouillon, régnant sous le titre modeste de duc, avait assuré la conquête des chrétiens par la grande victoire d'Ascalon. Le légat arrivait trop tard pour troubler l'élection d'un chef suprême et pour empêcher que le gouvernement de la terre sainte ne fût tenu par un séculier. Mais il commença par vendre ses secours et ceux de la flotte qui l'avait porté, à l'ambitieux Bohémond, prince d'Antioche. Antioche et la cité voisine de Laodicée avaient appartenu à l'empire grec. La première de ces villes n'avait été abandonnée à Bohémond qu'en enfreignant une promesse faite à l'empereur de Constantinople. L'autorité impériale était encore reconnue à Laodicée, que les mahométans n'avaient pas enlevée aux Grecs. Mais Bohémond voulait réunir à sa principauté cette ville qu'il trouvait à sa convenance. Il gagne Daimbert, et ce légat n'a pas honte de conduire ses Génois et ses Pisans à l'attaque d'une cité chrétienne9. Les machines de ces auxiliaires y portent la mort et le désespoir. Une seule circonstance arrêta ce scandale. Le nom commun de chrétiens était vainement invoqué; les représentations de Bouillon avaient été inutiles. Mais un nombre de seigneurs croisés du plus haut rang étaient en marche de ce côté pour retourner en Europe après avoir accompli leurs voeux. Daimbert se crut obligé d'aller au-devant d'eux. Il vint les flatter et les caresser; il les loua au nom de l'Église de leurs oeuvres saintes; mais ces chevaliers lui demandèrent à leur tour comment il conciliait ces pieux sentiments avec l'assistance prêtée à l'usurpation, à la perfidie; avec sa part dans le spectacle impie donné aux mahométans, de croisés faisant une guerre injuste à des adorateurs de la croix. Daimbert confus rejeta tout sur Bohémond qui l'avait trompé, disait-il, par de faux exposés; il fut contraint de retirer ses marins de cette odieuse entreprise. Le prince d'Antioche, privé de ce secours, leva le siège: Laodicée ouvrit ses portes aux chevaliers qui l'avaient préservée, et son port aux vaisseaux de Gênes et de Pise traités désormais en alliés. L'empereur grec vraisemblablement n'y gagna rien; car un décret royal, peu d'années après, nomme Laodicée parmi les villes acquises au royaume de Jérusalem, grâce, y est-il dit, à l'assistance des Génois.

      Peu après, Daimbert se joignit à Bohémond et à Baudouin d'Édesse, momentanément unis. Ils allèrent ensemble à Jérusalem. Là, par l'intrigue de ses puissants amis, le légat se fit nommer patriarche. Dans cette haute position il put protéger ses Pisans. Par l'influence de leur ancien archevêque, ils partagèrent les concessions et les privilèges qu'on accordait aux Génois. L'antique jalousie en redoubla entre ces peuples.

      Des rivaux redoutables aux uns et aux autres survinrent à cette époque (1100). Jusque-là il n'avait paru de Vénitiens que sur un petit nombre de bâtiments, qui de Rhodes avaient poussé leur cabotage jusqu'en Syrie. Mais on vit entrer dans le port de Joppé le doge de Venise en personne, à la tête d'une puissante flotte et d'une troupe nombreuse.

      Dans les mémoires des croisades, quand on signale cette arrivée des Vénitiens, on a soin de marquer que Bouillon, qui se trouvait à Joppé, ne les accueillit qu'après s'être assuré que c'étaient des chrétiens et des frères et non des ennemis. Ces mots d'un contemporain10 et d'un témoin indiquent que c'était pour la première fois qu'on les voyait à la croisade. Quoique les écrivains vénitiens d'une époque postérieure aient adopté la tradition d'un autre voyage, ils conviennent cependant que Venise n'avait montré ses forces à la guerre sainte qu'après la conquête du saint sépulcre.

      CHAPITRE III.

       Les Génois à Césarée.

      (1100) Godefroy de Bouillon mourut et Baudouin son frère fut élu pour lui succéder. Ce prince était dans son comté d'Édesse, et il ne lui était pas facile de parvenir sûrement à Jérusalem. L'intrigant patriarche tâchait d'en profiter pour susciter des troubles et un compétiteur au nouveau roi. Il manda au prince d'Antioche de venir prendre le sceptre, mais Bohémond n'était pas en état de répondre à l'invitation. Surpris dans une expédition malheureuse, il était prisonnier chez les Sarrasins. En ce moment une flotte génoise de vingt-huit galères et de huit vaisseaux entra dans le port de Laodicée. Ici nous commençons à trouver pour guide les chroniques contemporaines des Génois. Caffaro, qui les écrivit le premier, était sur la flotte; il rapporte ce qu'il a vu, et, quelques années après, ayant fait hommage de son récit à ses concitoyens, l'approbation du parlement en fit un document authentique.

      A Gênes, le premier événement que les annales racontent, c'est la formation d'une compagnie réunie pour expédier une flotte à la terre sainte. Les préparatifs durèrent dix-huit mois, et enfin la flotte était partie au mois d'août 1100. Nous ne savons pas si on recourait à une association aussi générale pour la première fois, ou si c'était le renouvellement d'une précédente société arrivée à son terme; cette dernière opinion est très probable; le nouvel armement semble la suite de celui qui avait déjà porté Embriaco à Joppé, et qui avait fait concourir les Génois au siège de Jérusalem. Mais Caffaro ne commence son récit qu'aux choses où il a pris part. Quoi qu'il en soit, avec dix-huit mois d'efforts, les Génois ne faisaient encore qu'une entreprise de marchands, tandis que nous voyons les Vénitiens, à la même époque, marcher en corps de nation et d'armée, avec leur prince à la tête. C'est, d'un côté, la consistance d'un gouvernement de forme presque monarchique; c'est, de l'autre, la modeste contenance d'une simple commune qui n'a pas de trésor public pour y puiser et qui n'ose pas même attacher au concours spontané de ses concitoyens le sceau de l'autorité nationale.

      En arrivant, l'on apprit qu'il n'y avait ni roi à Jérusalem depuis la mort de Godefroy, ni prince à Antioche depuis la captivité de Bohémond. Les Génois prirent d'abord sa principauté sous leur garde; et, secondant un légat du pape qu'ils s'étaient chargés de conduire, ils dépêchèrent à Tancrède, parent de Bohémond, pour le presser de venir prendre le gouvernement d'Antioche, et à Baudouin pour l'encourager à se rendre à sa capitale afin d'y recevoir la couronne. Sur leur invitation, il vint les trouver à Laodicée, et, s'il faut les en croire, il n'accepta le trône qui lui était déféré que sur le serment que les Génois lui firent de l'aider de tout leur pouvoir. Il est certain qu'il se montra favorable pour eux pendant tout son règne. Cependant ce n'est pas sur leur flotte qu'il se mit en chemin vers Jérusalem. Baudouin suivit le rivage par terre jusqu'à Joppé. Il est dit seulement qu'il embarqua sa femme et ses richesses sur les bâtiments qui côtoyaient la rive à sa vue. C'est peut- être toute l'assistance que les Génois lui prêtèrent en ce moment.

      Guillaume Embriaco était le consul de la flotte génoise, et, comme nous voyons qu'il n'était pas au nombre des consuls de la compagnie qui l'avait armée, probablement demeurés à Gênes où ils furent aussi les magistrats de la république, il était sans doute leur lieutenant et leur mandataire dans l'expédition. Le nom de consul, commun, dans les villes municipales, aux syndics des professions comme aux magistrats supérieurs, servait, chez les Génois, au dehors comme


Скачать книгу