L'épouvante. Maurice Level
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Maurice Level
L'épouvante
Publié par Good Press, 2020
EAN 4064066086480
Table des matières
À MA SOEUR MADELEINE LEVEL
CHAPITRE PREMIER
CHAPITRE PREMIER LA GRANDE IDEE D'ONESIME COCHE CHAPITRE II 29, BOULEVARD LANNES CHAPITRE III LA DERNIERE MATINEE D'ONESIME COCHE, REPORTER CHAPITRE IV LA PREMIERE NUIT D'ONESIME COCHE, ASSASSIN CHAPITRE V QUELQUES POINTS DE DETAIL CHAPITRE VI L'INCONNU DU 22 CHAPITRE VII DE SIX HEURES DU SOIR A DIX HEURES DU MATIN CHAPITRE VIII L'INQUIETUDE CHAPITRE IX L'ANGOISSE CHAPITRE X L'EPOUVANTE
À MA SOEUR MADELEINE LEVEL
_Ma chérie,
Je te dédie ce livre en souvenir du temps où tu m'encourageais avant tout et contre tous à écrire.
M'acquittant ainsi de cette vieille dette de reconnaissance, je suis sûr d'être approuvé par papa, et d'obéir à la pensée de celle qui, jusqu'à la fin, nous voulut, Marie et moi, unis par une tendresse fraternelle impérissable._
MAURICE LEVEL
CHAPITRE PREMIER
LA GRANDE IDEE D'ONESIME COCHE
— Alors, c'est bien entendu, fit M. Ledoux sur le pas de sa porte. Dès que vous aurez une soirée libre, un mot, et vous venez dîner à la maison?
— Entendu, et encore merci pour l'excellente soirée…
— Vous voulez rire. C'est moi, tout au contraire… Levez bien votre col, il ne fait pas chaud. Vous connaissez le chemin? Le boulevard Lannes tout droit jusqu'à l'avenue Henri-Martin. En marchant vite, vous trouverez peut-être le dernier tramway… Ah! un mot, vous avez un revolver? le quartier n'est pas très sûr…
— N'ayez crainte, je suis toujours armé, j'ai l'habitude des excursions nocturnes dans Paris, et je connais, par profession, les tours des rôdeurs. Ne m'accompagnez pas plus loin. Le clair de lune est admirable. J'y vois comme en plein jour, rentrez…
Onésime Coche traversa le trottoir, gagna le milieu de la chaussée, et se mit en route d'un pas allègre. Comme il arrivait au coin de la rue, il entendit la voix de son hôte qui lui criait:
— À bientôt, je compte sur vous?…
Il se retourna et répondit:
— C'est promis.
M. Ledoux, sur la première marche du perron lui faisait au revoir de la main. Derrière lui, le corridor tendu d'andrinople, éclairé par une lampe de plafond, découpait dans la nuit une tache rose. Du petit jardin endormi, de la maisonnette aux volets clos, de l'intérieur confortable et bourgeois trahi par ce rectangle de lumière, se dégageait un calme de petite ville, un calme lointain, familial. Et Onésime Coche, en qui dix années d'existence à Paris n'avaient pu effacer complètement les impressions des jours passés au fond d'une province, le souvenir des longues soirées d'hiver, des rues silencieuses où l'on entend par les soirs de printemps, lorsque le bois travaille, craquer les auvents des maisons et les poutres des toits, demeura un instant immobile devant cette porte qui se refermait. Sans savoir pourquoi, il évoqua «ses vieux», depuis longtemps assoupis à cette heure, la bonne maison d'autrefois, la petite patrie absente, et la vie simple et facile qu'aurait pu être la sienne, si quelque démon ne l'avait attiré vers l'immense Paris, où, débarqué en conquérant il avait dû, n'ayant jamais connu la chance, se contenter d'une place de reporter dans un quotidien du matin.
Il alluma une cigarette, et, sans hâte, reprit son chemin.
Le dîner fin, le vin vieux, avaient fait se lever dans sa tête des vapeurs légères, des espoirs endormis, et, dans cette minute où rien ne troublait son rêve, ni le bruit des machines, ni le frisson du papier, ni l'odeur d'encre, de chiffons et de graisse qui flotte dans les salles de rédaction, il entrevit presque prochaine, cette chose formidable et fragile, qu'il n'espérait plus guère cependant: la Gloire!
Une ou deux fois, dans des restaurants de nuit, sous l'incendie des lumières, parmi le relent des mets, le parfum des femmes, le frôlement des chairs et la musique des tziganes, accoudé à sa table, le cerveau vide, les oreilles et les yeux exaspérés par les couleurs et par le bruit, il avait éprouvé cette même sensation inattendue et nette d'être quelqu'un, de porter en lui de grandes choses, et de se dire:
«En ce moment, si j'avais une plume, de l'encre et du papier, j'écrirais des phrases immortelles…»
Hélas, à cette heure louche, où un autre soi-même semble sauter sur les épaules du vrai, et l'étreindre, on n'a jamais la plume, l'encre et le papier… De même, dans le calme de cette nuit d'hiver sous la caresse irritante de la bise, idées et souvenirs effleuraient son âme sans presque s'y poser.
Une horloge tinta: ce bruit suffit à mettre en fuite tous ses rêves. Le passé se plaît à rôder dans le silence, mais rien n'évoque plus insolemment le présent que le rappel inopiné de l'heure.
— Allons, bon, fit-il! Minuit et demi, j'ai raté le dernier tramway. Du diable si je trouve une voiture dans ce quartier perdu!
Il pressa le pas. Le boulevard s'allongeait interminable, bordé à gauche par des petits hôtels, à droite par la masse arrondie des fortifications. De loin en loin, des becs de gaz jalonnaient le trottoir. C'était tout ce qui semblait vivre sur cette voie parmi les maisons endormies, les monticules de gazon, et les arbres sans feuilles où la nuit ne mettait même pas un frisson. Ce calme absolu, ce silence total, avaient quelque chose d'énervant. En passant près d'un bastion occupé par des gendarmes, Onésime Coche ralentit son allure, et jeta un coup d'oeil dans la guérite du factionnaire. Elle était vide. Il longea le mur. Derrière les grilles, la cour s'étalait toute blanche, d'un blanc sur qui les cailloux mettaient de place en place la tache noire de leur petite ombre. Des écuries, venait un raclement de chaînes et le piaffement maladroit d'un cheval embarré.
Ces vagues bruits dissipèrent complètement l'espèce d'angoisse qui ne l'avait pas quitté depuis qu'il s'était mis en route: