Les gens de bureau. Emile Gaboriau

Les gens de bureau - Emile Gaboriau


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n'avait point eu de boules blanches à ses examens de l'École de droit découvrit un matin qu'il devait être admirablement propre à toutes les administrations.

      En conséquence, il prit une grande feuille de papier, et de sa plus belle écriture, qui n'était pas belle, il adressa une demande d'emplois à S. Exc. M. le Ministre de l'Équilibre National.

      Un vieux monsieur qu'il ne connaissait guère y mit une apostille dans laquelle il déclarait que les talents du soussigné Caldas devaient être utilisés sans retard au profit de l'État.

      En fait d'apostille, il n'y a que la première qui coûte. Romain eut bientôt la satisfaction de voir tout à l'entour de sa pétition vingt signatures de personnes qu'il ne connaissait pas du tout.

      Sa demande envoyée, Caldas se mit à piocher consciencieusement les matières de son examen.

      L'administration de l'Équilibre, en effet, outre qu'elle exige des candidats aux emplois dont elle dispose le diplôme de bachelier, les astreint encore à passer un examen spécial.

      Peut-être l'administration s'est-elle aperçue que tous les bacheliers ne savent pas l'orthographe.

      D'autres mobiles encore l'ont guidée, lorsqu'elle a inauguré le système des épreuves.

      D'abord un vif désir de ne pas rester au-dessous de la civilisation chinoise, qui donne au concours le tablier du cuisinier aussi bien que le bouton de jaspe du général.

      Ensuite l'intention bien arrêtée de recruter désormais son personnel dans un choix de sujets hors ligne.

      Enfin la généreuse pensée de déconcerter à tout jamais le népotisme et de substituer le règne du mérite au régime de la faveur.

      Pour cette dernière raison sans doute, on est facilement admis à subir l'examen, pourvu que l'on soit chaudement appuyé par trois ou quatre grands personnages.

      Caldas avait déjà légèrement préparé les trois premiers numéros du programme qui comprend quarante-sept numéros, lorsqu'il reçut l'avis de se rendre au ministère pour y subir les épreuves écrites et orales.

      Il s'y rendit fort inquiet. Les matières sur lesquelles il fallait répondre sont nombreuses et variées.

      On demande aux candidats: une page d'écriture, un problème de trigonométrie, une dictée sur les difficultés les plus ardues de la langue française, une dissertation sur une question de statistique, et la géographie postale de la France.

      C'est dans la salle des archives que l'examen a lieu.

      Lorsque Caldas y pénétra, cent cinquante à deux cents concurrents l'y avaient déjà devancé; il en vint encore près du double après lui.

      Tout ce monde s'asseyait en silence, et des garçons de bureau donnaient à chacun une plume, une écritoire et un cahier de papier blanc.

      Modestement placé près de la porte, Caldas considérait cette singulière assemblée. Il était venu des candidats de toutes les paroisses: il y en avait de très-jeunes qui n'avaient pas encore de barbe, et de très-vieux qui n'avaient plus de cheveux; des gens d'une mise soignée, et des pauvres diables presque en haillons.

      A un moment le silence fut troublé; les élèves de la pension Labadens, qui prépare à tous les ministères (Trente ans de succès.—On traite à forfait), venaient de faire leur entrée.

      Ces jeunes élèves portaient l'uniforme des lycées et empestaient la pipe et l'absinthe.

      L'un d'eux vint s'asseoir à la gauche de Caldas; déjà il avait à sa droite un vieillard sexagénaire dont les yeux s'abritaient derrière des lunettes vertes.

      —Tous ces gens-là, pensait Caldas, ont pourtant un protecteur. Ils ont eu une signature illustre. Comment, par quels ressorts, par quels moyens?… Quelles ont été leurs influences? Sont-ils dans la manche d'une jolie femme, d'une chambrière, d'un perruquier ou d'un confesseur? Ce serait, en vérité, une curieuse statistique.

      Dix heures sonnèrent. On ferma les portes.

      Un monsieur très-décoré, qui occupait au fond de la salle un fauteuil placé sur une estrade, semblait présider l'assemblée.

      Ce monsieur se leva et prononça à peu près ce petit discours:

      «—Je ne vous cacherai pas, jeunes candidats, les horribles difficultés de cet examen; vous n'aurez cependant à répondre qu'à des questions d'une extrême simplicité. La plus rigoureuse sévérité présidera à la correction des compositions; les examinateurs seront d'ailleurs aussi indulgents que possible. Rendons tous grâce à Son Excellence Monsieur le Ministre.»

      L'examen commença. Il y eut une question qui embarrassa bien Caldas.

      C'était un problème ainsi posé:

      «Dire l'influence de la statistique sur la durée moyenne de la vie des hommes depuis dix ans.»

      Il s'en tira pourtant en s'inspirant fort à propos d'un passage humanitaire de la Case de l'oncle Tom.

      Du reste, Romain put travailler avec tranquillité. Il ne fut dérangé que tous les quarts d'heure par son voisin le lycéen qui lui offrait des prises de tabac dans sa queue de rat, et, de temps à autre, par le sexagénaire, qui lui demandait des conseils sur les participes. Trois messieurs, qui copièrent par-dessus son épaule, ne le gênèrent aucunement.

      En rentrant chez lui, Caldas se disait:

      —Cet examen est une excellente chose pour les candidats; au numéro de classement qu'obtient leur mérite, ils peuvent mesurer au juste l'influence de leurs protecteurs.

       Table des matières

      Les hautes influences qu'avait fait jour Caldas lui garantissaient sa réception dans un rang honorable. Aussi n'essaya-t-il pas d'entreprendre quoi que ce soit, et son tailleur étant venu lui présenter une petite facture, il lui promit de le payer le jour où il toucherait des appointements.

      Et il attendit.

      Il attendit huit jours, un mois, six mois…. ……………………………………….

      Après quoi il prit son chapeau et se rendit au Ministère afin d'avoir des nouvelles de son examen.

      —Vous êtes reçu, lui dit un employé très-complaisant auquel on l'adressa; et sans l'écriture qui vous a nui beaucoup, vous étiez reçu le premier, hors ligne; mais vous écrivez si mal que vous vous êtes trouvé rejeté à la quatre-vingt-troisième place.

      —Et quand aurai-je un emploi? demanda Caldas.

      —Mais à votre tour; vous avez le numéro neuf mille cent quatre-vingt-sept.

      —Ciel! s'écria Romain épouvanté, j'aurai cent ans quand mon tour viendra.

      —Pardon, dit l'employé, depuis l'examen il y a eu cinq nominations.

      Romain salua poliment et se retira fort édifié.

      Renonçant à dîner du budget, Caldas ne songea plus qu'à déjeuner de la littérature. Dès le lendemain, il envoyait au Bilboquet, journal de banque et de littérature mêlées, un article de haute fantaisie, qui fit le succès du numéro et lui fut payé un franc trente-cinq centimes.

      Attaché à poste fixe à cet organe sérieux, il ne tarda pas avoir se développer devant lui les resplendissants horizons de la fortune et de la gloire.

      Un quart de vaudeville reçu au théâtre de Grenelle mit le sceau à sa réputation.

      De ce jour il vécut de sa plume, indépendant et fier…

      * * * * * Il y avait dix-neuf mois que Romain


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