Alsace, Lorraine et France rhénane. Stéphen Coubé

Alsace, Lorraine et France rhénane - Stéphen Coubé


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elles nous ont longtemps appartenu aux époques celtique, gallo-romaine, mérovingienne et carolingienne. Germanique à la surface, leur population, surtout dans les campagnes, est au fond gauloise d'âme et de sang. Elle ne ressemble pas à celle de l'autre côté du Rhin. «Loin des villes, dit le commandant Espérandieu dans sa remarquable brochure sur le Rhin français, le type qu'on rencontre communément est celui des agriculteurs de l'Alsace et de la Lorraine. Les grandes agglomérations, où le flot des immigrants s'est porté de préférence, sont plus allemandes; cependant, sauf à Cologne peut-être, dont la population a augmenté de façon prodigieuse en moins de cent ans, un Français n'éprouve nulle part la sensation d'être dépaysé[1].»

      Au IXe et au Xe siècle, ces provinces nous ont été enlevées par une grande injustice diplomatique, mais elles ont gardé l'indélébile empreinte celtique. Les laisser à l'Allemagne serait consacrer une injustice et perpétuer une usurpation: usurpation, c'est le mot dont se servait Richelieu en parlant de la création du royaume de Lotharingie qui nous ravit pour la première fois la rive gauche du Rhin.

      Sans remonter à Clovis et à Charlemagne, nous retrouvons dans notre histoire des titres plus récents que nous étudierons plus loin. Rappelons ici seulement que ce pays s'est donné à nous et s'est glorifié d'être français de 1795 à 1815. Il formait quatre départements, la Sarre, le Mont-Tonnerre, le Rhin-et-Moselle et la Roer. Sarrelouis, la ville de Louis XIV et la patrie de Ney, Trèves, la plus latine des cités du Nord dans les premiers siècles, Mayence, Coblentz, Cologne, Aix-la-Chapelle, anciens castella gallo-romains, toutes ces villes s'étaient reprises à nous aimer et elles arboraient fièrement nos couleurs, comme une parure. Elles nous aimeront encore, si tant est qu'elles nous aient oubliés, quand elles auront réappris à nous connaître, et nous verrons plus loin que l'amitié sera vite renouée, quand aura disparu la crainte de la schlague allemande et que la douceur de la civilisation française aura de nouveau enchanté leurs yeux et leurs cœurs.

      Ces riches contrées ont d'ailleurs une importance capitale au point de vue militaire; elles sont nécessaires à notre défense nationale. Ce serait une suprême imprudence, une folie de les abandonner à l'ennemi, quand l'occasion propice s'offre à nous de les lui reprendre.

      Foin des doctrines antimilitaristes qui ne cessent de nous crier: Pas d'annexion! Eh oui! il ne faut pas s'annexer le bien d'autrui, mais on peut, mais on doit s'annexer son propre bien, quand on en a été dépouillé par un vol odieux. Loin d'être une violence, c'est la réparation d'une injustice.

      La France doit donc reprendre ainsi au moins la plus grande partie de la région cisrhénane, par exemple jusqu'à la ligne de l'Eifel, au nord de la Moselle. Elle pourrait offrir à la Belgique la partie située au delà de cette ligne et qui comprend Aix-la-Chapelle et Cologne. Mais si la Belgique, pour des raisons que je discuterai plus loin, n'en voulait pas, ce serait à la France d'y établir sa domination absolue ou du moins son protectorat. À aucun titre, l'Allemagne ne doit garder la moindre parcelle de territoire ou de puissance sur la rive gauche du Rhin.

      [Note 1: Le Rhin français, Paris, Attinger: fr. 60.]

      * * * * *

      L'irrédentisme français.

      Il existe en Italie un parti des Irrédentistes. Ce sont les patriotes qui luttent pour la reconquête des terres italiennes, telles que Trieste et Trente, qui ne sont pas encore rachetées ou délivrées du joug de l'étranger: irredente. Sans doute ce mouvement est allé trop loin et a même été dirigé contre la France au temps de la défunte Triplice, alors que quelques agités parlaient de reprendre Nice à la France. Mais, en soi, il est naturel et légitime, car il est fondé sur le principe des nationalités bien compris.

      Une nation a le droit de revendiquer un pays où elle retrouve ses frères, sa race, ses mœurs et où l'appellent une frontière naturelle, un droit historique découlant d'une possession antérieure, enfin et surtout le vœu des habitants.

      Eh bien, il doit y avoir un irrédentisme français, appliqué à la rive gauche du Rhin, parce que cette rive est pour nous un patrimoine sacré. Elle nous a appartenu pendant plus de mille ans, avant d'être accaparée par la Germanie. Elle est enchaînée aujourd'hui; nous devons briser ses fers. Lorsque le Syndic de Chambéry présenta, en 1792, les clefs de sa ville au général de Montesquiou, il lui dit: «Nous ne sommes pas un peuple conquis, nous sommes un peuple délivré.» Voilà ce que devront nous dire bientôt tous les habitants de la rive gauche du Rhin.

      Charles VII était un irrédentiste, quand il disait, en 1444: «_Le royaume de France a été, depuis beaucoup d'années, dépouillé de ses limites naturelles qui allaient jusqu'au Rhin; il est temps d'y rétablir sa souveraineté.»

      Turenne était un irrédentiste, lorsqu'il disait au chevalier de la Fare, en 1674: «Il ne faut pas qu'il y ait un homme de guerre au repos en France tant qu'il y aura un Allemand en Alsace

      Lazare Carnot était un irrédentiste, quand il écrivait: «Les limites anciennes et naturelles de la France sont le Rhin, les Alpes et les Pyrénées

      Danton était un irrédentiste, quand il s'écriait à la Convention, le 31

       janvier 1793: «Les limites de la France sont marquées par la Nature. Nous les atteindrons à leurs quatre points: à l'Océan, aux bords du Rhin, aux Alpes, aux Pyrénées

      Merlin de Douai était un irrédentiste, quand il disait à la même tribune, le 24 septembre 1795: «Certes, ce n'est pas pour rentrer honteusement dans nos anciennes limites que les armées républicaines vont aujourd'hui, avec tant d'audace et de bravoure, chercher et anéantir au delà de ce fleuve redoutable (le Rhin) les derniers ennemis de la liberté

      Cette phrase de Merlin s'applique avec une précision émouvante à notre temps. Si nos soldats luttent et meurent depuis un an avec tant d'héroïsme, c'est pour que la France soit à jamais délivrée du péril teuton. Or la possession des provinces cisrhénanes est indispensable pour cela: c'est la condition absolue de notre sécurité à l'avenir. Ce serait tromper et trahir le sang de nos morts que de ne pas aller jusqu'au bout de nos droits.

      Napoléon était un irrédentiste, lorsqu'il écrivait cette phrase magnifique, où l'on retrouve la netteté, la majesté et la profondeur d'une pensée de Bossuet: «La France reprendra tôt ou tard… ses limites naturelles, celles du Rhin, qui sont un décret de Dieu, comme les Alpes et les Pyrénées

      Victor Hugo était un irrédentiste, le jour où il disait: «Il faut rendre à la France ce que Dieu lui a donné, la rive gauche du Rhin

      Oui, le Rhin nous attend. Nos drapeaux devront bientôt flotter joyeusement sur ses rives, de Bâle jusqu'à Cologne. La voix du sang français qu'il a bu, les ossements de nos pères qui dorment dans sa longue vallée, notre passé, notre avenir, le décret de Dieu nous y appellent. Les Allemands aiment à chanter la Wacht am Rhein: c'est à la France maintenant de chanter et surtout de monter, face à l'Est, la «garde du Rhin».

      * * * * *

       Le nom de «France rhénane».

      Supposons un instant le problème résolu de la manière la plus complète.

       Les drapeaux français flottent à Trèves, à Mayence, à Coblentz, à

       Cologne, à Aix-la-Chapelle. Une question préalable se pose. Comment

       appellerons-nous le pays qui s'étend au nord de l'Alsace et de la

       Lorraine?

      Il ne peut plus être question des dénominations actuelles, puisqu'elles

       ne répondent plus à la réalité. Ces terres n'appartenant plus à la

       Bavière, à la Hesse et à la Prusse, ne peuvent plus s'appeler Bavière,

       Hesse ou Prusse rhénanes.

      Nous avons rappelé plus haut que cette contrée, réunie à la France de 1795 à 1815, formait les départements


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