François le Bossu. Comtesse de Ségur

François le Bossu - Comtesse de Ségur


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si elle a désobéi? Puisque Mina le dit!

      M. DES ORMES

      —Mina ne m'inspire aucune confiance; je l'ai surprise déjà plus d'une fois à mentir; et, de plus, je crois qu'elle déteste cette petite.

      MADAME. DES ORMES

      —Ce n'est pas étonnant! Avec elle, Christine est toujours désagréable et maussade.

      M. DES ORMES

      —Ce qui prouve que Mina s'y prend mal. Mais, vous êtes trop sévère avec Christine, parce que vous ne surveillez pas assez ce qui se passe, et que vous ajoutez foi aux plaintes de la bonne, Christine a une peur affreuse de cette Mina! De grâce, mettez-y plus de soin et de surveillance.

      MADAME DES ORMES

      —Ah! je vous en prie, parlons d'autre chose. Ce sujet m'impatiente.

      M. des Ormes soupira, quitta le salon, et, curieux de voir ce que faisait Mina, il alla voir si Christine se consolait de sa triste journée; il entra chez elle. Christine était dans son lit, et, seule, elle pleurait tout bas. M. des Ormes s'approcha, se pencha vers le lit de sa fille.

      —Où est ta bonne, Christine?

      CHRISTINE

      —Elle est sortie, papa

      M. DES ORMES

      —Comment? elle te laisse toute seule?

      CHRISTINE

      —Oui, toujours quand je suis couchée.

      M. DES ORMES

      —Veux-tu que je l'appelle?

      —Oh! non! non! Laissez-la, je vous en prie, papa, s'écria Christine avec effroi.

      —Pourquoi as-tu peur d'elle?

      Christine ne répondit pas. Son père insista pour savoir la cause de sa frayeur; la petite finit par répondre bien bas:

      —Je ne sais pas.

      Ne pouvant en obtenir autre chose, il quitta Christine, triste et préoccupé. Sa conscience lui reprochait son insouciance pour elle et le peu de soin qu'il prenait de son bien-être, sa femme ne s'en occupant pas du tout. Quand il rentra au salon, il trouva Mme des Ormes d'assez mauvaise humeur; il ne lui reparla plus de Christine ni de Mina, mais il forma le projet de surveiller la bonne et de la faire partir à la première méchanceté ou calomnie dont elle se rendrait coupable.

       Table des matières

       Table des matières

      Peu de jours après, M. des Ormes fut appelé à Paris pour une affaire importante; il aurait désiré y aller seul, mais sa femme voulut absolument l'accompagner, disant qu'elle avait à faire des emplettes indispensables; elle se rendit en toute hâte chez sa belle-soeur de Cémiane pour lui annoncer son départ.

      MADAME DE CÉMIANE

      —Et Christine, l'emmenez-vous?

      MADAME DES ORMES

      —Certainement non; que voulez-vous que j'en fasse pendant mes courses, mes emplettes? Je n'emmène que ma femme de chambre et un domestique.

      MADAME DE CÉMIANE

      —Que deviendra donc, Christine?

      MADAME DES ORMES

      —D'abord, mon absence durera à peine quinze jours; elle restera avec sa bonne, qui n'a pas autre chose à faire qu'à la soigner.

      MADAME DE CÉMIANE

      —Il me semble que Christine la craint beaucoup; ne pensez-vous pas qu'elle soit trop sévère?

      MADAME DES ORMES

      —Pas du tout! Elle est ferme, mais très bonne. Christine a besoin d'être menée un peu sévèrement; elle est raisonneuse, impertinente même, et toujours prête à résister.

      MADAME DE CÉMIANE

      —Je ne l'aurais pas cru! elle parait si douce, si obéissante! Je la ferai venir souvent chez moi pendant votre absence, n'est-ce pas?

      MADAME DES ORMES

      —Tant que vous voudrez, ma chère; faites comme vous voudrez et tout ce que vous voudrez, pourvu qu'elle reste établie aux Ormes avec sa bonne. Adieu, je me sauve, je pars demain, et j'ai tant à faire!

      Mme des Ormes rentra, s'occupa de ses paquets, recommanda à Mina de mener souvent Christine chez sa tante de Cémiane, et partit le lendemain de bonne heure.

      Cette absence devait être de quinze jours; elle se prolongea de mois en mois pendant deux ans, à cause d'un voyage à la Martinique que dut faire M. des Ormes, qui avait placé là une grande partie de sa fortune. Mme des Ormes voulut à toute force l'accompagner, car elle aimait tout ce qui était nouveau, extraordinaire, et surtout les voyages. Pendant ces deux ans, les Cémiane et M. de Nancé ne quittèrent pas la campagne, heureusement pour Christine, qui voyait sans cesse Gabrielle, Bernard et leur ami François. Christine conçut une amitié très vive pour François dont la bonté et la complaisance la touchaient et lui donnaient le désir de l'imiter. Elle allait souvent passer des mois entiers chez sa tante, qui avait pitié de son abandon. Mina était hypocrite aussi bien que méchante, de sorte qu'elle sut se contenir en présence des étrangers, et que personne ne devina combien la pauvre Christine avait à souffrir de sa dureté et de sa négligence. Christine n'en parlait jamais, parce que Mina l'avait menacée des plus terribles punitions si elle s'avisait de se plaindre à ses cousins où à quelque autre.

      Paolo aimait et protégeait Christine; il aimait aussi François, auquel il donnait des leçons de musique et d'italien, ce qui lui faisait gagner cinquante francs par Mois, somme considérable dans sa position, et suffisante pour le faire vivre. Il avait aussi quelques malades qui l'appelaient, le sachant médecin et peu exigeant pour le payement de ses visites. D'ailleurs, il passait des semaines entières chez M. de Nancé. Ces deux années se passèrent donc heureusement pour tous nos amis. On avait tous les mois à peu près des nouvelles de M. et Mme des Ormes; ils annoncèrent enfin leur retour pour le mois de juillet, et cette fois ils furent exacts. L'entrevue avec Christine ne fut pas attendrissante; son père et sa mère l'embrassèrent sans émotion, la trouvèrent très grande et embellie: elle avait huit ans, avec la raison et l'intelligence d'un enfant de dix pour le moins. Son instruction ne recevait pas le même développement; Mina ne lui apprenait rien, pas même à coudre; Christine avait appris à lire presque seule, aidée de Gabrielle et de François, mais elle n'avait de livres que ceux que lui prêtait Gabrielle; François ignorait son dénûment, sans quoi il lui eût donné toute sa bibliothèque.

      Le lendemain du retour de M. et Mme des Ormes, ils reçurent un mot de Mme de Cémiane, qui leur demandait de venir passer la journée suivante avec eux et d'amener Christine.

      «Il faut, disait-elle, que je vous présente un nouveau voisin de campagne, M. de Nancé, qui est charmant; et un demi-médecin italien, fort original, qui vous amusera; il me fait savoir, par un billet attaché au collier de mon chien de garde, qu'il viendra chez moi demain. Amenez-nous Christine; Gabrielle vous le demande instamment.»

      MADAME DES ORMES

      —Je suis bien aise que votre soeur fasse quelques nouvelles connaissances dans le voisinage; nous en profiterons et nous les engagerons à dîner pour la semaine prochaine.

      M. DES ORMES

      —Comme vous voudrez, ma chère; mais il me semble qu'il vaudrait mieux attendre qu'ils nous eussent fait une visite.


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