Pièces choisies. Valentin Krasnogorov

Pièces choisies - Valentin Krasnogorov


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mais l’insolence, c’est quand on traite, sans raison, d’insolente une personne qu’on ne connaît pas. Votre mari…

      La conversation est interrompue. De dépit Le Docteur couvre le combiné du téléphone de sa main.

      LE VISITEUR. Alors, qu’a-t-elle dit ?

      LE DOCTEUR. Elle a dit qu’elle n’a pas du tout de mari !

      LE VISITEUR. Ma femme n’a pas de mari ? C’est bizarre.

      LE DOCTEUR. Bizarre, en effet.

      LE VISITEUR. Mais alors, qui est-ce ?

      LE DOCTEUR. Ça, j’aimerais que vous me le disiez.

      LE VISITEUR. Mais pourquoi ne pas le lui avoir demandé ?

      LE DOCTEUR. Parce qu’elle a raccroché. Excusez-moi, mais votre femme est une personne assez nerveuse.

      LE VISITEUR. Probablement, sa nervosité vient-elle, justement, de ce qu’elle n’a pas de mari.

      LE DOCTEUR. Mais elle est votre femme !

      LE VISITEUR. (Perplexe.) C’est juste. Dites, comme ça, pourquoi avez-vous besoin de mon nom ? Ça facilitera la guérison, ou quoi ?

      LE DOCTEUR. Pour ouvrir une fiche médicale. Pour vous suivre. Pour vous faire passer un examen. Pour vous envoyer la facture, que diable !

      LE VISITEUR. La facture ? Alors, je crains de ne jamais me rappeler mon nom.

      LE DOCTEUR. Avec vous, il y a de quoi perdre la raison !

      LE VISITEUR. Ne prenez pas cela trop à cœur. Fumez une cigarette, détendez-vous. J’ai de bonnes cigarettes. Vous en voulez ? (Il met la main dans sa poche.) Tenez, prenez tout le paquet.

      LE DOCTEUR. (Prenant le paquet.) Ce ne sont pas des cigarettes. Ce sont des jeux de cartes.

      LE VISITEUR. Des cartes ? Tant mieux. Faisons une partie, ça vous distraira.

      LE DOCTEUR. Je n’ai pas de temps à consacrer à de telles stupidités. De plus, je ne sais même pas jouer.

      LE VISITEUR. Je vous apprendrai. (Il bat vite les cartes et les distribue.) Admettons que vous misiez dix euros sur la dame de pique. Alors…

      LE DOCTEUR. (Il prend machinalement les cartes, mais, se ressaisissant les jette sur la table.) Vous vous trouvez dans un cabinet médical, et non pas au casino ! L’auriez-vous oublié ? Je suis médecin libéral, et mon temps, c’est de l’argent, beaucoup d’argent ! Vous voulez que je le perde au jeu ?

      LE VISITEUR. (Confus.) Pardon. (Il range les cartes.)

      LE DOCTEUR. (Las.) Vous savez quoi ? Donnez-moi, finalement, une cigarette. Bien qu’en réalité, j’aie cessé de fumer depuis longtemps.

      LE VISITEUR. Tenez, je vous en prie.

      LE DOCTEUR. (Étonné.) Mais ce ne sont pas des cigarettes, voyons, c’est la carte d’identité. (Il regarde la carte d’identité, compare la photographie avec le visage de l’Homme. Réjoui.) Oui, c’est votre carte d’identité !

      LE VISITEUR. Eh bien, qu’est-ce que je vous disais ? J’ai une excellente mémoire.

      LE DOCTEUR. (Regardant la carte d’identité.) Bien, cher Michel, nous avons, enfin, fait connaissance. (Il introduit les données dans l’ordinateur.) Michel… Grelot. Grelot, c’est vous ?

      MICHEL. Et qui d’autre encore ?

      LE DOCTEUR. Bon, d’accord. Venons-en, enfin, à votre affaire. De quoi vous plaignez-vous ? Soyez précis.

      MICHEL. (Déterminé.) Il était temps. Vous me décevez. Je vous paie régulièrement des sommes exorbitantes et lorsqu’un poids-lourd m’a foncé dessus, vous n’avez même pas bougé le petit doigt.

      LE DOCTEUR. Premièrement, vous ne m’avez versé aucune somme, encore moins exorbitante. Deuxièmement, je n’ai jamais eu vent qu’un poids-lourd vous ait foncé dessus.

      MICHEL. Étrange oubli. Pourtant, je vous ai envoyé à ce propos une lettre, à laquelle vous n’avez même pas daigné répondre.

      LE DOCTEUR. Je n’ai le souvenir d’aucune lettre.

      MICHEL. Donc, vous souffrez d’amnésie. Le coup fut très fort, les conséquences lourdes. Vous avez été simplement obligé de prendre immédiatement des mesures.

      LE DOCTEUR. (Ajoutant les données sur la fiche médicale.) Avez-vous été gravement blessé ?

      MICHEL. Le côté droit a été sérieusement endommagé.

      LE DOCTEUR. (Ajoutant les données sur la fiche médicale.) « Le côté droit a été endommagé… »

      MICHEL. Et les deux phares cassés.

      LE DOCTEUR. (En colère.) Qui a le côté endommagé ? Vous ou la voiture ?

      MICHEL. La voiture, bien sûr.

      LE DOCTEUR. Et que vous est-il arrivé ? Vous vous êtes cogné la tête ?

      MICHEL. Pourquoi, tout à coup ? Je vais très bien. Pas une égratignure.

      LE DOCTEUR. Alors, pourquoi devais-je prendre immédiatement des mesures ?

      MICHEL. Et qui me paiera une compensation ?

      LE DOCTEUR. Une compensation ? Pour quoi ? Ce n’est tout de même pas moi qui conduisais le poids-lourd.

      MICHEL. Non. Mais vous êtes mon agent d’assurances. Quand avez-vous l’intention de me régler la réparation ?

      LE DOCTEUR. Mon cher, je ne suis pas agent d’assurances. Je suis médecin libéral. Docteur. Vous comprenez ? Docteur.

      MICHEL. (Perplexe.) Docteur ?

      LE DOCTEUR. Docteur, docteur. (Il lui parle doucement et patiemment.) Vous êtes venu voir le docteur. Le docteur, pas l’agent d’assurances.

      MICHEL. Oui, c’est vrai… J’avais complètement oublié. Pardon.

      LE DOCTEUR. (Préoccupé.) Je sens que votre maladie est des plus sérieuses. Des plus sérieuses.

      MICHEL. Mais on peut en guérir ?

      LE DOCTEUR. Comment vous dire… C’est une chance que vous soyez venu me voir moi précisément. Un autre médecin pour rien au monde ne vous soignerait.

      MICHEL. Oui, vous l’avez déjà dit.

      LE DOCTEUR. Donc ça, vous vous en souvenez ?

      MICHEL. Bien sûr.

      LE DOCTEUR. C’est bien. Et d’une manière générale, vous souvenez-vous de quelque chose ?

      MICHEL. Je me souviens de tout. De mon enfance, de l’école, du travail. Mais je peux complètement oublier ce qu’il m’est arrivé une semaine ou une heure plus tôt. Et puis soudain me rappeler. Et oublier à nouveau. C’est affreux.

      LE DOCTEUR. Tout va bien, tout va bien, rien n’est irréparable.

      MICHEL. Comment s’appelle ma maladie ?

      LE DOCTEUR. C’est une des formes de la sclérose. Difficile de dire pour l’instant, laquelle précisément. Il en existe beaucoup. (Ajoutant les données sur la fiche médicale.) Comment vous sentez-vous physiquement ?

      MICHEL. Normal.

      LE DOCTEUR. Quel comportement votre femme a-t-elle à votre égard ?

      MICHEL. Normal.

      LE DOCTEUR. Quand avez-vous eu des rapports intimes avec elle pour la dernière fois ?

      MICHEL. (Après une longue réflexion.) Je ne me rappelle pas.

      LE DOCTEUR. (Se prenant par la tête de désespoir.) Mon cher, soyons honnête, vous êtes un cas un peu difficile. Faisons une petite pause.

      MICHEL. Pourquoi ?

      LE


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