Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète). Морис Леблан
tout est perdu… » L’année suivante, le fils de ce Larbeyrie et sa fille, qui avait épousé le marquis de Vélines, furent exilés dans leurs terres de Provence et de Bretagne. Il ne faut pas douter qu’il y ait là quelque particularité. »
Il faut en douter d’autant moins, ajouterai-je, que M. Chamillard, d’après Voltaire, fut le dernier ministre qui eut l’étrange secret du Masque de fer.
Vous voyez, monsieur, le profit que l’on peut tirer de ce passage, et le lien évident qui s’établit entre les deux aventures. Je n’ose, quant à moi, imaginer des hypothèses trop précises sur la conduite, sur les soupçons, sur les appréhensions de Louis XIV en ces circonstances, mais n’est-il pas permis, d’autre part, puisque M. de Larbeyrie a laissé un fils qui fut probablement le grand-père du citoyen-officier Larbrie, et une fille, n’est-il pas permis de supposer qu’une partie des papiers laissés par Larbeyrie ait échu à la fille, et que, parmi ces papiers, se trouvait le fameux exemplaire que le capitaine des gardes sauva des flammes ?
J’ai consulté l’Annuaire des Châteaux. Il y a aux environs de Rennes un baron de Vélines. Serait-ce un descendant du marquis ? À tout hasard, hier, j’ai écrit à ce baron pour lui demander s’il n’avait pas en sa possession un vieux petit livre, dont le titre mentionnerait ce mot de l’Aiguille. J’attends sa réponse.
J’aurais la plus grande satisfaction à parler de toutes ces choses avec vous. Si cela ne vous dérange pas trop, venez me voir. Agréez, monsieur, etc.
P.S. – Bien entendu, je ne communique pas aux journaux ces petites découvertes. Maintenant que vous approchez du but, la discrétion est de rigueur.
C’était absolument l’avis de Beautrelet. Il alla même plus loin : deux journalistes le harcelant ce matin-là, il leur donna les informations les plus fantaisistes sur son état d’esprit et sur ses projets.
L’après-midi il courut en hâte chez Massiban, qui habitait au numéro 17 du quai Voltaire. À sa grande surprise, il apprit que Massiban venait de partir à l’improviste, lui laissant un mot au cas où il se présenterait. Isidore décacheta et lut :
Je reçois une dépêche qui me donne quelque espérance. Je pars donc et coucherai à Rennes. Vous pourriez prendre le train du soir et, sans vous arrêter à Rennes, continuer jusqu’à la petite station de Vélines. Nous nous retrouverions au château, situé à quatre kilomètres de cette station.
Le programme plut à Beautrelet et surtout l’idée qu’il arriverait au château en même temps que Massiban, car il redoutait quelque gaffe de la part de cet homme inexpérimenté. Il rentra chez son ami et passa le reste de la journée avec lui. Le soir il prenait l’express de Bretagne. À six heures il débarquait à Vélines. Il fit à pied, entre des bois touffus, les quatre kilomètres de route. De loin, il aperçut sur une hauteur un long manoir, construction assez hybride, mêlée de Renaissance et de Louis-Philippe, mais ayant grand air tout de même avec ses quatre tourelles et son pont-levis emmailloté de lierre.
Isidore sentait son cœur battre en approchant. Touchait-il réellement au terme de sa course ? Le château contenait-il la clef du mystère ?
Il n’était pas sans crainte. Tout cela lui semblait trop beau, et il se demandait si, cette fois encore, il n’obéissait pas à un plan infernal, combiné par Lupin, si Massiban n’était pas, par exemple, un instrument entre les mains de son ennemi.
Il éclata de rire.
« Allons, je deviens comique. On croirait vraiment que Lupin est un monsieur infaillible qui prévoit tout, une sorte de Dieu tout-puissant, contre lequel il n’y a rien à faire. Que diable ! Lupin se trompe, Lupin, lui aussi, est à la merci des circonstances, Lupin fait des fautes, et c’est justement grâce à la faute qu’il a faite en perdant le document, que je commence à prendre barre sur lui. Tout découle de là. Et ses efforts, en somme, ne servent qu’à réparer la faute commise. » Et joyeusement, plein de confiance, Beautrelet sonna.
– Monsieur désire ? dit un domestique apparaissant sur le seuil.
– Le baron de Vélines peut-il me recevoir ?
Et il tendit sa carte.
– Monsieur le baron n’est pas encore levé, mais si Monsieur veut l’attendre.
– Est-ce qu’il n’y a pas déjà quelqu’un qui l’a demandé, un monsieur à barbe blanche, un peu voûté ? fit Beautrelet qui connaissait Massiban par les photographies que les journaux avaient données.
– Oui, ce monsieur est arrivé il y a dix minutes, je l’ai introduit dans le parloir. Si Monsieur veut bien me suivre également.
L’entrevue de Massiban et de Beautrelet fut tout à fait cordiale. Isidore remercia le vieillard des renseignements de premier ordre qu’il lui devait, et Massiban lui exprima son admiration de la façon la plus chaleureuse. Puis ils échangèrent leurs impressions sur le document, sur les chances qu’ils avaient de découvrir le livre, et Massiban répéta ce qu’il avait appris, relativement à M. de Vélines. Le baron était un homme de soixante ans qui, veuf depuis de longues années, vivait très retiré avec sa fille, Gabrielle de Villemon, laquelle venait d’être cruellement frappée par la perte de son mari et de son fils aîné, morts des suites d’un accident d’auto.
– M. le baron fait prier ces messieurs de vouloir bien monter.
Le domestique les conduisit au premier étage, dans une vaste pièce aux murs nus, et simplement meublée de secrétaires, de casiers et de tables couvertes de papiers et de registres. Le baron les accueillit avec beaucoup d’affabilité et ce grand besoin de parler qu’ont souvent les personnes trop solitaires. Ils eurent beaucoup de mal à exposer l’objet de leur visite.
– Ah oui, je sais, vous n’avez écrit à ce propos, monsieur Massiban. Il s’agit, n’est-ce pas, d’un livre où il est question d’une Aiguille, et qui me viendrait d’un ancêtre ?
– En effet.
– Je vous dirai que mes ancêtres et moi nous sommes brouillés. On avait de drôles d’idées en ce temps-là. Moi, je suis de mon époque. J’ai rompu avec le passé.
– Oui, objecta Beautrelet, impatienté, mais n’avez-vous aucun souvenir d’avoir vu ce livre ?
– Mais si ! Je vous l’ai télégraphié, s’écria-t-il en s’adressant à Massiban, qui, agacé, allait et venait dans la pièce et regardait par les autres fenêtres, mais si !… Ou du moins il semblait à ma fille qu’elle avait vu ce titre parmi les quelques milliers de bouquins qui encombrent la bibliothèque. Car, pour moi, messieurs, la lecture… Je ne lis même pas les journaux… Ma fille quelquefois, et encore ! Pourvu que son petit Georges, le fils qui lui reste, se porte bien ! Et pourvu, moi, que mes fermages rentrent, que mes baux soient en règle !… Vous voyez mes registres… je vis là-dedans, messieurs… et j’avoue que j’ignore absolument le premier mot de cette histoire, dont vous m’avez entretenu par lettre, monsieur Massiban…
Isidore Beautrelet, horripilé par ce bavardage, l’interrompit brusquement :
– Pardon, Monsieur, mais alors ce livre…
– Ma fille l’a cherché. Elle le cherche depuis hier.
– Eh bien ?
– Eh bien elle l’a retrouvé, elle l’a retrouvé il y a une heure ou deux. Quand vous êtes arrivés…
– Et où est-il ?
– Où il est ? Mais elle l’a posé sur cette table… tenez… là-bas…
Isidore bondit. Au bout de la table, sur un fouillis de paperasses, il y avait un petit livre recouvert de maroquin rouge. Il y appliqua son poing violemment, comme s’il défendait que personne au monde y touchât… et un peu aussi comme si lui-même n’osait le prendre.
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