Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète). Морис Леблан

Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète) - Морис Леблан


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talents de société. Si Lupin ne pouvait être, à sa guise, pasteur de l’Église réformée et membre de l’Académie des Inscriptions et des Belles-Lettres, ce serait à désespérer d’être Lupin. Or, Lupin, le vrai Lupin, Beautrelet, le voici ! Regarde de tous tes yeux, Beautrelet…

      – Mais alors… si c’est vous… alors… Mademoiselle…

      – Eh oui, Beautrelet, tu l’as dit…

      Il écarta de nouveau la tenture, fit un signe et annonça :

      – Mme Arsène Lupin.

      – Ah ! murmura le jeune homme malgré tout confondu… Mlle de Saint-Véran.

      – Non, non, protesta Lupin, Mme Arsène Lupin ou plutôt, si vous préférez, Mme Louis Valméras, mon épouse en justes noces, selon les formes légales les plus rigoureuses. Et grâce à vous, mon cher Beautrelet.

      Il lui tendit la main.

      – Tous mes remerciements… et, de votre part, je l’espère, sans rancune.

      Chose bizarre, Beautrelet n’en éprouvait point de la rancune. Aucun sentiment d’humiliation. Nulle amertume. Il subissait si fortement l’énorme supériorité de son adversaire qu’il ne rougissait pas d’avoir été vaincu par lui. Il serra la main qu’on lui offrait.

      – Madame est servie.

      Un domestique avait déposé sur la table un plateau chargé de mets.

      – Vous nous excuserez, Beautrelet, mon chef est en congé, et nous serons contraints de manger froid.

      Beautrelet n’avait guère envie de manger. Il s’assit cependant, prodigieusement intéressé par l’attitude de Lupin. Que savait-il au juste ? Se rendait-il compte du danger qu’il courait ? Ignorait-il la présence de Ganimard et de ses hommes ?… Et Lupin continuait :

      – Oui, grâce à vous, mon cher ami. Certainement, Raymonde et moi, nous nous sommes aimés le premier jour. Parfaitement, mon petit… L’enlèvement de Raymonde, sa captivité, des blagues, tout cela : nous nous aimions… Mais elle, pas plus que moi, d’ailleurs, quand nous fûmes libres de nous aimer, nous n’avons pu admettre qu’il s’établît entre nous un de ces liens passagers qui sont à la merci du hasard. La situation était donc insoluble pour Lupin. Mais elle ne l’était pas si je redevenais le Louis Valméras que je n’ai pas cessé d’être depuis le jour de mon enfance. C’est alors que j’eus l’idée, puisque vous ne lâchiez pas prise et que vous aviez trouvé ce château de l’Aiguille, de profiter de votre obstination.

      – Et de ma niaiserie.

      – Bah ! qui ne s’y fût laissé prendre ?

      – De sorte que c’est sous mon couvert, avec mon appui, que vous avez pu réussir ?

      – Parbleu ! Comment aurait-on soupçonné Valméras d’être Lupin, puisque Valméras était l’ami de Beautrelet, et que Valméras venait d’arracher à Lupin celle que Lupin aimait ? Et ce fut charmant. Oh ! les jolis souvenirs ! L’expédition à Crozant ! les bouquets de fleurs trouvés : ma soi-disant lettre d’amour à Raymonde ! et, plus tard, les précautions que moi, Valméras, j’eus à prendre contre moi, Lupin, avant mon mariage ! Et, le soir de votre fameux banquet, quand vous défaillîtes entre mes bras ! Les jolis souvenirs !…

      Il y eut un silence. Beautrelet observa Raymonde. Elle écoutait Lupin sans mot dire, et elle le regardait avec des yeux où il y avait de l’amour, de la passion, et autre chose aussi, que le jeune homme n’aurait pu définir, une sorte de gêne inquiète et comme une tristesse confuse. Mais Lupin tourna les yeux vers elle et elle lui sourit tendrement. À travers la table, leurs mains se joignirent.

      – Que dis-tu de ma petite installation, Beautrelet ? s’écria Lupin… De l’allure, n’est-ce pas ? Je ne prétends point que ce soit du dernier confortable… Cependant, quelques-uns s’en sont contentés, et non des moindres… Regarde la liste de quelques personnages qui furent les propriétaires de l’Aiguille, et qui tinrent à honneur d’y laisser la marque de leur passage.

      Sur les murs, les uns au-dessous des autres, ces mots étaient gravés :

       César. Charlemagne. Roll. Guillaume le Conquérant. Richard, roi d’Angleterre. Louis le Onzième. François. Henri IV. Louis XIV. Arsène Lupin.

      – Qui s’inscrira désormais ? reprit-il. Hélas ! La liste est close. De César à Lupin, et puis c’est tout. Bientôt, ce sera la foule anonyme qui viendra visiter l’étrange citadelle. Et dire que, sans Lupin, tout cela restait à jamais inconnu des hommes Ah ! Beautrelet, le jour où j’ai mis le pied sur ce sol abandonné, quelle sensation d’orgueil ! Retrouver le secret perdu, en devenir le maître, le seul maître ! Héritier d’un pareil héritage ! Après tant de rois, habiter l’Aiguille !…

      Un geste de sa femme l’interrompit. Elle paraissait très agitée.

      – Du bruit, dit-elle… du bruit en dessous de nous… vous entendez…

      – C’est le clapotement de l’eau, fit Lupin.

      – Mais non… mais non… Le bruit des vagues, je le connais… c’est autre chose…

      – Que voulezvous que ce soit, ma chère amie, dit Lupin en riant. Je n’ai invité que Beautrelet à déjeuner.

      Et, s’adressant au domestique :

      – Charolais, tu as fermé les portes des escaliers derrière monsieur ?

      – Oui, et j’ai mis les verrous.

      Lupin se leva :

      – Allons, Raymonde, ne tremblez pas ainsi… Ah ! mais vous êtes toute pâle !

      Il lui dit quelques mots à voix basse, ainsi qu’au domestique, souleva le rideau et les fit sortir tous deux.

      En bas, le bruit se précisait. C’étaient des coups sourds qui se répétaient à intervalles égaux. Beautrelet pensa :

      « Ganimard a perdu patience, et il brise les portes. »

      Très calme, et comme si, véritablement, il n’eût pas entendu, Lupin reprit :

      – Par exemple, rudement endommagée, l’Aiguille, quand j’ai réussi à la découvrir ! On voyait bien que nul n’avait possédé le secret depuis un siècle, depuis Louis XVI et la Révolution. Le tunnel menaçait ruine. Les escaliers s’effritaient. L’eau coulait à l’intérieur. Il m’a fallu étayer, consolider, reconstruire.

      Beautrelet ne put s’empêcher de dire :

      – À votre arrivée, était-ce vide ?

      – À peu près. Les rois n’ont pas dû utiliser l’Aiguille, ainsi que je l’ai fait, comme entrepôt…

      – Comme refuge, alors ?

      – Oui, sans doute, au temps des invasions, au temps des guerres civiles, également. Mais sa véritable destination, ce fut d’être… comment dirais-je ? le coffre-fort des rois de France.

      Les coups redoublaient, moins sourds maintenant. Ganimard avait dû briser la première porte, et il s’attaquait à la seconde.

      Un silence, puis d’autres coups plus rapprochés encore. C’était la troisième porte. Il en restait deux.

      Par une des fenêtres, Beautrelet aperçut les barques qui cinglaient autour de l’Aiguille, et, non loin, flottant comme un gros poisson noir, le torpilleur.

      – Quel vacarme ! s’exclama Lupin, on ne s’entend pas ! Montons, veux-tu ? Peut-être cela t’intéressera-t-il de visiter l’Aiguille.

      Ils passèrent à l’étage au-dessus, lequel était défendu, comme les autres, par une porte que Lupin referma derrière lui.

      – Ma galerie de tableaux, dit-il.

      Les


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