Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète). Морис Леблан
lui des renseignements plus détaillés que ceux que tu as fournis à Barbareux ?
– Aucun.
– Tu mens, monsieur Kesselbach. Deux fois, devant Barbareux, tu as consulté des papiers enfermés dans l’enveloppe de maroquin.
– En effet.
– Alors, cette enveloppe ?
– Brûlée.
Lupin tressaillit de rage. évidemment, l’idée de la torture et des commodités qu’elle offrait traversa de nouveau son cerveau.
– Brûlée ? Mais la cassette… avoue donc… avoue donc qu’elle est au Crédit Lyonnais ?
– Oui.
– Et qu’est-ce qu’elle contient ?
– Les deux cents plus beaux diamants de ma collection particulière.
Cette affirmation ne sembla pas déplaire à l’aventurier.
– Ah ! Ah ! Les deux cents plus beaux diamants ! Mais dis donc, c’est une fortune… Oui, ça te fait sourire… Pour toi, c’est une bagatelle. Et ton secret vaut mieux que ça… Pour toi, oui, mais pour moi ?
Il prit un cigare, alluma une allumette qu’il laissa éteindre machinalement et resta quelque temps pensif, immobile.
Les minutes passaient.
Il se mit à rire.
– Tu espères bien que l’expédition ratera, et qu’on n’ouvrira pas le coffre ? Possible, mon vieux. Mais alors il faudra me payer mon dérangement. Je ne suis pas venu ici pour voir la tête que tu fais sur un fauteuil… Les diamants, puisque diamants il y a… Sinon, l’enveloppe de maroquin… Le dilemme est posé…
Il consulta sa montre.
– Une demi-heure… Bigre !… Le destin se fait tirer l’oreille… Mais ne rigole donc pas, monsieur Kesselbach. Foi d’honnête homme, je ne rentrerai pas bredouille… Enfin !
C’était la sonnerie du téléphone. Lupin s’empara vivement du récepteur, et changeant le timbre de sa voix, imitant les intonations rudes de son prisonnier :
– Oui, c’est moi, Rudolf Kesselbach… Ah ! Bien, mademoiselle, mettez-moi en communication… C’est toi, Marco ?… Parfait… Ça s’est bien passé ?… À la bonne heure… Pas d’accrocs ?… Compliments, l’enfant… Alors, qu’est-ce qu’on a ramassé ? La cassette d’ébène… Pas autre chose ? Aucun papier ?… Tiens, tiens !… Et dans la cassette ?… Sont-ils beaux, ces diamants ?… Parfait, parfait… Une minute, Marco, que je réfléchisse… tout ça, vois-tu… si je te disais mon opinion… Tiens, ne bouge pas… reste à l’appareil…
Il se retourna :
– Monsieur Kesselbach, tu y tiens à tes diamants ?
– Oui.
– Tu me les rachèterais ?
– Peut-être.
– Combien ? Cinq cent mille ?
– Cinq cent mille… oui…
– Seulement, voilà le hic… Comment se fera l’échange ? Un chèque ? Non, tu me roulerais… ou bien je te roulerais… écoute, après-demain matin, passe au Lyonnais, prends tes cinq cents billets et va te promener au Bois, près d’Auteuil… moi, j’aurai les diamants… dans un sac, c’est plus commode… la cassette se voit trop…
– Non… non… la cassette… je veux tout…
– Ah ! fit Lupin, éclatant de rire… tu es tombé dans le panneau… Les diamants, tu t’en fiches… ça se remplace… Mais la cassette, tu y tiens comme à ta peau… Eh bien ! Tu l’auras, ta cassette… foi d’Arsène… tu l’auras, demain matin par colis postal !
Il reprit le téléphone.
– Marco, tu as la boîte sous les yeux ?… Qu’est-ce qu’elle a de particulier ? De l’ébène, incrusté d’ivoire… oui, je connais ça… style japonais, faubourg Saint-Antoine… Pas de marque ? Ah ! Une petite étiquette ronde, bordée de bleu, et portant un numéro… oui, une indication commerciale… aucune importance. Et le dessous de la boîte, est-il épais ?… Bigre ! Pas de double fond, alors… Dis donc, Marco, examine les incrustations d’ivoire sur le dessus… ou plutôt, non, le couvercle.
Il exulta de joie.
– Le couvercle ! c’est ça, Marco ! Kesselbach a cligné de l’œil… Nous brûlons !… Ah ! Mon vieux Kesselbach, tu ne voyais donc pas que je te guignais. Fichu maladroit !
Et, revenant à Marco :
– Eh bien ! Où en es-tu ? Une glace à l’intérieur du couvercle ?… Est-ce qu’elle glisse ? Y a-t-il des rainures ? Non… eh bien ! casse-la… Mais oui, je te dis de la casser… Cette glace n’a aucune raison d’être… elle a été rajoutée.
Il s’impatienta :
– Mais, imbécile, ne te mêle pas de ce qui ne te regarde pas… Obéis… Il dut entendre le bruit que Marco faisait, au bout du fil, pour briser le miroir, car il s’écria, triomphalement :
– Qu’est-ce que je te disais, monsieur Kesselbach, que la chasse serait bonne ?… Allô ? Ça y est ? Eh bien ?… Une lettre ? Victoire ! Tous les diamants du Cap et le secret du bonhomme !
Il décrocha le second récepteur, appliqua soigneusement les deux plaques sur ses oreilles, et reprit :
– Lis, Marco, lis doucement… L’enveloppe d’abord… Bon… Maintenant, répète.
Lui-même répéta :
– Copie de la lettre contenue dans la pochette de maroquin noir.
– Et après ? Déchire l’enveloppe, Marco. Vous permettez, monsieur Kesselbach ? Ça n’est pas très correct, mais enfin… Vas-y, Marco, M. Kesselbach t’y autorise. Ça y est ? Eh bien ! Lis.
Il écouta, puis ricanant :
– Fichtre ! ce n’est pas aveuglant. Voyons, je résume. Une simple feuille de papier pliée en quatre et dont les plis paraissent tout neufs… Bien… En haut et à droite de cette feuille, ces mots : un mètre soixante-quinze, petit doigt gauche coupé, etc. Oui, c’est le signalement du sieur Pierre Leduc. De l’écriture de Kesselbach, n’est-ce pas ?… Bien… Et au milieu de la feuille ce mot, en lettres capitales d’imprimerie :
APOON
« Marco, mon petit, tu vas laisser le papier tranquille, tu ne toucheras pas à la cassette ni aux diamants. Dans dix minutes j’en aurai fini avec mon bonhomme. Dans vingt minutes je te rejoins… Ah ! à propos, tu m’as envoyé l’auto ? Parfait. À tout à l’heure.
Il remit l’appareil en place, passa dans le vestibule, puis dans la chambre, s’assura que le secrétaire et le domestique n’avaient pas desserré leurs liens et que, d’autre part, ils ne risquaient pas d’être étouffés par leurs bâillons, et il revint vers son prisonnier.
Il avait une expression résolue, implacable.
– Fini de rire, Kesselbach. Si tu ne parles pas, tant pis pour toi. Es-tu décidé ?
– À quoi ?
– Pas de bêtises. Dis ce que tu sais.
– Je ne sais rien.
– Tu mens. Que signifie ce mot Apoon ?
– Si je le savais, je ne l’aurais pas inscrit.
– Soit, mais à qui, à quoi se rapporte-t-il ? Où l’as-tu copié ? D’où cela te vient-il ?
M. Kesselbach