Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète). Морис Леблан

Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète) - Морис Леблан


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à mon service… Mais Edwards déjeune en même temps que nous, et c’est un tort. À l’avenir, il ne devra descendre qu’après notre retour.

      Chapman haussa légèrement les épaules. Décidément, le Maître du Cap devenait quelque peu bizarre avec ses craintes inexpliquées. Quel risque court-on dans un hôtel, alors surtout qu’on ne garde sur soi ou près de soi aucune valeur, aucune somme d’argent importante ?

      Ils entendirent la porte du vestibule qui s’ouvrait. C’était Edwards.

      M. Kesselbach l’appela.

      – Vous êtes en livrée, Edwards ? Ah ! Bien ! Je n’attends pas de visite aujourd’hui, Edwards ou plutôt si, une visite, celle de M. Gourel. D’ici là, restez dans le vestibule et surveillez la porte. Nous avons à travailler sérieusement, M. Chapman et moi.

      Le travail sérieux dura quelques instants pendant lesquels M. Kesselbach examina son courrier, parcourut trois ou quatre lettres et indiqua les réponses qu’il fallait faire. Mais soudain Chapman, qui attendait, la plume levée, s’aperçut que M. Kesselbach pensait à autre chose qu’à son courrier. Il tenait entre ses doigts, et regardait attentivement, une épingle noire recourbée en forme d’hameçon.

      – Chapman, fit-il, voyez ce que j’ai trouvé sur la table. Il est évident que cela signifie quelque chose, cette épingle recourbée. Voilà une preuve, une pièce à conviction. Et vous ne pouvez plus prétendre qu’on n’ait pas pénétré dans ce salon. Car enfin, cette épingle n’est pas venue là toute seule.

      – Certes non, répondit le secrétaire, elle y est venue grâce à moi.

      – Comment ?

      – Oui, c’est une épingle qui fixait ma cravate à mon col. Je l’ai retirée hier soir tandis que vous lisiez, et l’ai tordue machinalement.

      M. Kesselbach se leva, très vexé, fit quelques pas, et s’arrêtant :

      – Vous riez sans doute, Chapman… et vous avez raison… Je ne le conteste pas, je suis plutôt… excentrique, depuis mon dernier voyage au Cap. C’est que voilà… vous ne savez pas ce qu’il y a de nouveau dans ma vie… un projet formidable… une chose énorme… que je ne vois encore que dans les brouillards de l’avenir, mais qui se dessine pourtant… et qui sera colossale… Ah ! Chapman, vous ne pouvez pas imaginer. L’argent, je m’en moque, j’en ai… j’en ai trop… Mais cela, c’est davantage, c’est la puissance, la force, l’autorité. Si la réalité est conforme à ce que je pressens, je ne serai plus seulement le Maître du Cap, mais le maître aussi d’autres royaumes… Rudolf Kesselbach, le fils du chaudronnier d’Augsbourg, marchera de pair avec bien des gens qui, jusqu’ici, le traitaient de haut… Il aura même le pas sur eux, Chapman, il aura le pas sur eux, soyez-en certain et si jamais…

      Il s’interrompit, regarda Chapman comme s’il regrettait d’en avoir trop dit, et cependant, entraîné par son élan, il conclut :

      – Vous comprenez, Chapman, les raisons de mon inquiétude… Il y a là, dans le cerveau, une idée qui vaut cher et cette idée, on la soupçonne peut-être et l’on m’épie… j’en ai la conviction…

      Une sonnerie retentit.

      – Le téléphone… dit Chapman.

      – Est-ce que, par hasard, murmura M. Kesselbach, ce serait… Il prit l’appareil.

      – Allô ? De la part de qui ? Le Colonel ?… Ah ! Eh bien ! Oui, c’est moi… Il y a du nouveau ?… Parfait… Alors je vous attends… Vous viendrez avec vos hommes ? Parfait… Allô ! Non, nous ne serons pas dérangés… je vais donner les ordres nécessaires… C’est donc si grave ?… Je vous répète que la consigne sera formelle… mon secrétaire et mon domestique garderont la porte, et personne n’entrera. Vous connaissez le chemin, n’est-ce pas ? Par conséquent, ne perdez pas une minute.

      Il raccrocha le récepteur, et aussitôt :

      – Chapman, deux messieurs vont venir… Oui, deux messieurs… Edwards les introduira…

      – Mais… M. Gourel… le brigadier…

      – Il arrivera plus tard… dans une heure… Et puis, quand même, ils peuvent se rencontrer. Donc, dites à Edwards d’aller dès maintenant au bureau et de prévenir. Je n’y suis pour personne… sauf pour deux messieurs, le Colonel et son ami, et pour M. Gourel. Qu’on inscrive les noms.

      Chapman exécuta l’ordre. Quand il revint, il trouva M. Kesselbach qui tenait à la main une enveloppe, ou plutôt une petite pochette de maroquin noir, vide sans doute, à en juger par l’apparence. Il semblait hésiter, comme s’il ne savait qu’en faire. Allait-il la mettre dans sa poche ou la déposer ailleurs ?

      Enfin, il s’approcha de la cheminée et jeta l’enveloppe de cuir dans son sac de voyage.

      – Finissons le courrier, Chapman. Nous avons dix minutes. Ah ! Une lettre de Mme Kesselbach. Comment se fait-il que vous ne me l’ayez pas signalée, Chapman ? Vous n’aviez donc pas reconnu l’écriture ?

      Il ne cachait pas l’émotion qu’il éprouvait à toucher et à contempler cette feuille de papier que sa femme avait tenue entre ses doigts, et où elle avait mis un peu de sa pensée secrète. Il en respira le parfum, et, l’ayant décachetée, lentement il la lut, à mi-voix, par bribes que Chapman entendait :

      – Un peu lasse, je ne quitte pas la chambre… je m’ennuie, quand pourrai-je vous rejoindre ? Votre télégramme sera le bienvenu…

      – Vous avez télégraphié ce matin, Chapman ? Ainsi donc Mme Kesselbach sera ici demain mercredi.

      Il paraissait tout joyeux, comme si le poids de ses affaires se trouvait subitement allégé, et qu’il fût délivré de toute inquiétude. Il se frotta les mains et respira largement, en homme fort, certain de réussir, en homme heureux, qui possédait le bonheur et qui était de taille à se défendre.

      – On sonne, Chapman, on a sonné au vestibule. Allez voir.

      Mais Edwards entra et dit :

      – Deux messieurs demandent monsieur. Ce sont les personnes…

      – Je sais. Elles sont là, dans l’antichambre ?

      – Oui, monsieur.

      – Refermez la porte de l’antichambre, et n’ouvrez plus sauf à M. Gourel, brigadier de la Sûreté. Vous, Chapman, allez chercher ces messieurs, et dites-leur que je voudrais d’abord parler au Colonel, au Colonel seul.

      Edwards et Chapman sortirent, en ramenant sur eux la porte du salon. Rudolf Kesselbach se dirigea vers la fenêtre et appuya son front contre la vitre.

      Dehors, tout au-dessous de lui, les voitures et les automobiles roulaient dans les sillons parallèles, que marquait la double ligne de refuges. Un clair soleil de printemps faisait étinceler les cuivres et les vernis. Aux arbres un peu de verdure s’épanouissait, et les bourgeons des marronniers commençaient à déplier leurs petites feuilles naissantes.

      – Que diable fait Chapman ? murmura Kesselbach… Depuis le temps qu’il parlemente !…

      Il prit une cigarette sur la table puis, l’ayant allumée, il tira quelques bouffées. Un léger cri lui échappa. Près de lui, debout, se tenait un homme qu’il ne connaissait point.

      Il recula d’un pas.

      – Qui êtes-vous ?

      L’homme – c’était un individu correctement habillé, plutôt élégant, noir de cheveux et de moustache, les yeux durs – l’homme ricana :

      – Qui je suis ? Mais, le Colonel…

      – Mais non, mais non, celui que j’appelle ainsi, celui qui m’écrit sous cette signature… de convention… ce n’est pas vous.

      –


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