Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète). Морис Леблан

Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète) - Морис Леблан


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et il déclara, de l’air satisfait de quelqu’un qui annonce une grosse nouvelle :

      – Demain, à quatre heures du soir, Herlock Sholmès, le grand policier anglais pour qui il n’est point de mystère, Herlock Sholmès, le plus extraordinaire déchiffreur d’énigmes que l’on ait jamais vu, le prodigieux personnage qui semble forgé de toutes pièces par l’imagination d’un romancier, Herlock Sholmès sera mon hôte.

      On se récria. Herlock Sholmès à Thibermesnil ? C’était donc sérieux ? Arsène Lupin se trouvait réellement dans la contrée ?

      – Arsène Lupin et sa bande ne sont pas loin. Sans compter l’affaire du baron Cahorn, à qui attribuer les cambriolages de Montigny, de Gruchet, de Crasville, sinon à notre voleur national ? Aujourd’hui, c’est mon tour.

      – Et vous êtes prévenu, comme le fut le baron Cahorn ?

      – Le même truc ne réussit pas deux fois.

      – Alors ?

      – Alors ?… alors voici.

      Il se leva, et désignant du doigt, sur l’un des rayons de la bibliothèque, un petit espace vide entre deux énormes in-folio :

      – Il y avait là un livre, un livre du XVIe siècle, intitulé la Chronique de Thibermesnil, et qui était l’histoire du château depuis sa construction par le duc Rollon sur l’emplacement d’une forteresse féodale. Il contenait trois planches gravées. L’une représentait une vue cavalière du domaine dans son ensemble, la seconde le plan des bâtiments, et la troisième j’appelle votre attention là-dessus – le tracé d’un souterrain dont l’une des issues s’ouvre à l’extérieur de la première ligne des remparts, et dont l’autre aboutit ici, oui, dans la salle même où nous nous tenons. Or ce livre a disparu depuis le mois dernier.

      – Fichtre, dit Velmont, c’est mauvais signe. Seulement cela ne suffit pas pour motiver l’intervention de Herlock Sholmès.

      – Certes, cela n’eût point suffi s’il ne s’était passé un autre fait qui donne à celui que je viens de vous raconter toute sa signification. Il existait à la Bibliothèque Nationale un second exemplaire de cette Chronique, et ces deux exemplaires différaient par certains détails concernant le souterrain, comme l’établissement d’un profil et d’une échelle, et diverses annotations, non pas imprimées, mais écrites à l’encre et plus ou moins effacées. Je savais ces particularités, et je savais que le tracé définitif ne pouvait être reconstitué que par une confrontation minutieuse des deux cartes. Or, le lendemain du jour où mon exemplaire disparaissait, celui de la Bibliothèque Nationale était demandé par un lecteur qui l’emportait sans qu’il fût possible de déterminer les conditions dans lesquelles le vol était effectué.

      Des exclamations accueillirent ces paroles.

      – Cette fois, l’affaire devient sérieuse.

      – Aussi, cette fois, dit Devanne, la police s’émut et il y eut une double enquête, qui, d’ailleurs, n’eut aucun résultat.

      – Comme toutes celles dont Arsène Lupin est l’objet.

      – Précisément. C’est alors qu’il me vint à l’esprit de demander son concours à Herlock Sholmès, lequel me répondit qu’il avait le plus vif désir d’entrer en contact avec Arsène Lupin.

      – Quelle gloire pour Arsène Lupin ! dit Velmont. Mais si notre voleur national, comme vous l’appelez, ne nourrit aucun projet sur Thibermesnil, Herlock Sholmès n’aura qu’à se tourner les pouces ?

      – Il y a autre chose, et qui l’intéressera vivement, la découverte du souterrain.

      – Comment, vous nous avez dit qu’une des entrées s’ouvrait sur la campagne, l’autre dans ce salon même !

      – Où ? En quel lieu de ce salon ? La ligne qui représente le souterrain sur les cartes aboutit bien d’un côté à un petit cercle accompagné de ces deux majuscules : « T. G. », ce qui signifie sans doute, n’est-ce pas, Tour Guillaume. Mais la tour est ronde, et qui pourrait déterminer à quel endroit du rond s’amorce le tracé du dessin ?

      Devanne alluma un second cigare et se versa un verre de Bénédictine. On le pressait de questions. Il souriait, heureux de l’intérêt provoqué. Enfin, il prononça :

      – Le secret est perdu. Nul au monde ne le connaît. De père en fils, dit la légende, les puissants seigneurs se le transmettaient à leur lit de mort, jusqu’au jour où Geoffroy, dernier du nom, eut la tête tranchée sur l’échafaud, le 7 thermidor an Il, dans sa dix-neuvième année.

      – Mais depuis un siècle, on a dû chercher ?

      – On a cherché, mais vainement. Moi-même, quand j’eus acheté le château à l’arrière-petit-neveu du conventionnel Leribourg, j’ai fait faire des fouilles. À quoi bon ? Songez que cette tour, environnée d’eau, n’est reliée au château que par un point, et qu’il faut, en conséquence, que le souterrain passe sous les anciens fossés. Le plan de la Bibliothèque Nationale montre d’ailleurs une suite de quatre escaliers comportant quarante-huit marches, ce qui laisse supposer une profondeur de plus de dix mètres. Et l’échelle, annexée à l’autre plan, fixe la distance à deux cents mètres. En réalité, tout le problème est ici, entre ce plancher, ce plafond et ces murs. Ma foi, j’avoue que j’hésite à les démolir.

      – Et l’on n’a aucun indice ?

      – Aucun.

      L’abbé Gélis objecta :

      – Monsieur Devanne, nous devons faire état de deux citations.

      – Oh ! s’écria Devanne en riant, monsieur le curé est un fouilleur d’archives, un grand liseur de mémoires, et tout ce qui touche à Thibermesnil le passionne. Mais l’explication dont il parle ne sert qu’à embrouiller les choses.

      – Mais encore ?

      – Vous y tenez ?

      – Énormément.

      – Vous saurez donc qu’il résulte de ses lectures que deux rois de France ont eu le mot de l’énigme.

      – Deux rois de France !

      – Henri IV et Louis XVI.

      – Ce ne sont pas les premiers venus. Et comment monsieur l’abbé est-il au courant ?…

      – Oh ! C’est bien simple, continua Devanne. L’avant-veille de la bataille d’Arques, le roi Henri IV vint souper et coucher dans ce château. À onze heures du soir, Louise de Tancarville, la plus jolie dame de Normandie, fut introduite auprès de lui par le souterrain avec la complicité du duc Edgard, qui, en cette occasion, livra le secret de famille. Ce secret, Henri IV le confia plus tard à son ministre Sully, qui raconte l’anecdote dans ses Royales Économies d’État sans l’accompagner d’autre commentaire que de cette phrase incompréhensible :

      « La hache tournoie dans l’air qui frémit, mais l’aile s’ouvre, et l’on va jusqu’à Dieu. »

      Il y eut un silence, et Velmont ricana :

      – Ce n’est pas d’une clarté aveuglante.

      – N’est-ce pas ? Monsieur le curé veut que Sully ait noté par là le mot de l’énigme, sans trahir le secret des scribes auxquels il dictait ses mémoires.

      – L’hypothèse est ingénieuse.

      – Je l’accorde, mais qu’est-ce que la hache qui tournoie, et l’oiseau qui s’envole ?

      – Et qu’est-ce qui va jusqu’à Dieu ?

      – Mystère !

      Velmont reprit :

      – Et ce bon Louis XVI, fût-ce également pour recevoir la visite d’une dame, qu’il se fit ouvrir le souterrain ?

      – Je l’ignore.


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