Rosa. Élise de Pressensé

Rosa - Élise de Pressensé


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      –Est-ce que Virginie ne viendra pas avec moi? demanda Rosa.

      –Non, mon enfant, elle retourne dans sa famille; je ne pourrais plus lui payer ses gages.

      En faisant cette réponse, M. de Lastès regardait sa fille avec une certaine inquiétude, car il redoutait l’effet de cette communication. Mais Rosa ne parut pas en être émue. Elle se contenta de faire un signe d’assentiment comme si son cœur eût été trop fatigué d’impressions pour qu’une peine nouvelle pût l’atteindre.

      Maintenant, chère enfant, laisse-moi, j’ai à travailler, dit son père.

      Rosa obéit aussitôt et s’éloigna à pas lents; mais arrivée près de la porte, elle se retourna, revint en arrière, et appuyant sa tête contre la joue de son père, elle lui demanda tout bas.:

      –Quand reviendrez-vous?

      –Bientôt, mon enfant bien-aimée, bientôt, répondit M. de Lastès, en la baisant au front.

      Elle retourna dans sa chambre si calme et si tranquille, que sa bonne crut un moment que le père avait cédé, et que Rosa ne partirait pas. Mais elle fut bientôt tirée d’erreur, car l’enfant, ouvrant une grande commode qui contenait une partie de sa garde-robe, dit d’une voix qui fit tressaillir Virginie:

      –Puisque nous partons demain, il faut faire ma malle.

      –Dieu vous bénisse, mon cher ange, ma douce colombe, dit la bonne d’un air stupéfait. Qui aurait pu s’attendre à un tel changement?

      –Je ne prendrai pas ceci, ni ceci, ni cela, disait Rosa en mettant de côté quelques toilettes trop élégantes pour sa nouvelle position.

      –Ces jolies robes, quel dommage que vous ne les portiez plus! elles vous allaient si bien! La dernière fois que nous sommes allées aux Tuileries, vous aviez mis votre robe bleu de ciel, avec votre chapeau à plume. Vous étiez jolie comme un cœur. Tout le monde vous regardait. Maintenant il n’y aura plus autour de vous que deux vieilles femmes qui ne savent peut-être pas distinguer une jolie figure d’une citrouille.

      –Qu’est-ce que cela me fait?

      –Dieu sait comme elles vont arranger votre belle chevelure! Ces cheveux si soyeux, si fins, qui en prendra soin? Ah! Mademoiselle Rosa, si votre papa l’avait voulu, je vous aurais suivie dans ce trou où vous allez vivre. Cela me fait trop de peine de penser que vous n’aurez personne pour vous choyer et vous servir.

      –Papa n’aura personne pour le servir. J’aime mieux être comme lui.

      –Mais vous n’aurez personne non plus pour vous aimer.

      –Peut-être que ma tante m’aimera.

      –Oh! comptez-y sur l’affection de ces vieilles momies qui sèchent depuis quarante ans dans leur égoïsme. Ne me parlez pas de ces gens-là.

      –Mais, Virginie, papa dit que sa tante est très bonne.

      –Je ne demande pas mieux.

      A la suite de cette conversation, Rosa sentit défaillir au dedans d’elle le courage qui l’avait soutenue un moment. Elle alla se coucher de bonne heure et pleura amèrement pendant un espace de vingt minutes, qu’elle prit de bonne foi pour une nuit presque entière. Lorsqu’elle se fut endormie, des sanglots soulevèrent longtemps sa poitrine, et son sommeil fut troublé par des rêves confus, mais pleins de tristesse et de vagues appréhensions du lendemain.

      Quand le jour vint, elle était tout énervée et beaucoup moins héroïque que la veille. Pendant que sa bonne faisait sa toilette de voyage, elle pleura et trépigna alternativement, suivant que l’enfant gâtée, ou l’enfant initiée depuis quelques heures aux souffrances réelles, l’emportait en elle. Enfin, son père la pressa dans une dernière étreinte, et laissa tomber sur elle une larme qui renfermait plus de douleur et d’amertume que toutes celles qui coulaient à flots sur les joues de son enfant. Cependant il avait pu voir qu’elle était capable d’énergie et d’empire sur elle-même, et il se sentait rassuré sur son avenir. Il l’aurait été bien plus encore s’il avait pu la remettre, par la foi et la prière, entre les mains de Celui dont on peut dire que ce qu’il garde est bien gardé.

      II

      –Marthe, venez un moment, s’il vous plaît.

      –Qu’y a-t-il, Madame?

      –Je viens de recevoir une lettre.

      –Je le sais bien, puisque c’est moi qui vous l’ai apportée.

      –Oui, mais vous ne savez pas qu’elle annonce un envoi qui vous intéresse autant que moi.

      –Est-ce encore du thé de première qualité, ou du vin vieux comme celui que votre neveu vous envoya l’année dernière?

      –Non, vraiment, c’est bien autre chose. Mon neveu a fait des pertes de fortune considérables. Il part pour l’Amérique, où il espère rétablir ses affaires, et il me demande de recevoir sa petite fille pendant son absence. Vous savez, Marthe, que la pauvre enfant a perdu sa mère presque au moment de sa naissance.

      –Et qu’allez-vous faire, Madame?

      –Je ne sais vraiment pas. Que me conseillez-vous, Marthe? demanda la vieille dame en levant les yeux d’un air un peu inquiet.

      –Il me semble que c’est bien simple. Il faut écrire à votre neveu qu’on ne dispose pas ainsi des gens, et qu’il trouvera facilement une bonne pension pour cette petite fille. Avoir un enfant dans cette maison, miséricorde! la maison la plus tranquille de tout le pays, où l’on n’entend jamais un mot plus haut que l’autre, et qui est toujours propre et rangée comme si c’était une image. Vraiment, cette seule idée me met hors de moi! J’aimerais mieux en sortir aujourd’hui même, pour n’y plus rentrer.

      –Mais, ma pauvre Marthe, vous ne savez pas qu’il n’est plus temps de refuser. C’est demain que l’enfant arrive; elle doit être en route à présent. Nous ne pouvons pas faire autrement que de la recevoir.

      –Alors, à quoi bon me demander conseil?

      –Voyons, Marthe, soyez raisonnable. Que voudriez-vous que je fisse?

      –Ce qu’il vous plaira, Madame; si vous voulez rendre la maison intenable, je n’ai rien à dire.

      En disant ces mots, Marthe ferma la porte d’un air bourru; et longtemps après, Madame Darcy entendait encore dans la cuisine les mouvements brusques et saccadés qui trahissaient son irritation.

      Marthe n’était pourtant ni méchante, ni égoïste. C’était un de ces types, rares de nos jours, de ce qu’a été la domesticité autrefois. Dévouée, active, familière, brusque même, elle avait pour sa maîtresse une affection qui, depuis des années, était le sentiment dominant de sa vie. Elles vivaient dans la plus grande intimité. La porte de la cuisine, où Marthe régnait despotiquement depuis plus de dix ans, était toujours ouverte sur la chambre, où, pendant le même espace de temps, Madame Darcy avait chaque jour parcouru le cycle régulier et monotone des paisibles occupations qui remplissaient son existence. Chaque matin, à la même heure, après avoir procédé minutieusement aux soins de sa toilette, elle venait s’asseoir dans le grand fauteuil que Marthe avait mis près du feu en hiver, près de la croisée en été. Pendant que la bouilloire sifflait sur le foyer, Madame Darcy ouvrait la grande Bible placée devant elle sur une petite table, puis tirant ses lunettes de leur étui et les essuyant avec soin, elle lisait d’une voix lente et monotone le chapitre du jour. Après cela, elle se mettait à genoux et lisait encore une prière.

      Elle était veuve depuis bien des années, et n’avait jamais eu d’enfant. La mort de son mari avait amené de grands changements dans sa position, et l’avait forcée à quitter une élégante demeure pour acheter la petite maison entourée d’un |étroit| jardin dans laquelle nous la trouvons. Marthe, après avoir participé à la prospérité


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