Rosa. Élise de Pressensé
ne répondit pas. Sa lèvre trembla légèrement et il devint un peu plus pâle. Après un moment de silence, il reprit la conversation; mais sans revenir au même sujet.
Il est temps que nous sachions quelle était cette famille dans laquelle notre petite Rosa venait d’être si brusquement introduite. Madame Reynold avait eu cinq enfants. La mort de sa fille aînée ne lui en, avait laissé que quatre; mais elle avait adopté, depuis plusieurs années, les enfans d’une sœur, restés orphelins. Alfred et Cécile pouvaient se considérer comme les aînés de cette nombreuse famille. Il était impossible de se douter qu’ils n’eussent pas les mêmes droits que les autres enfants à la tendresse de la mère. Alfred surtout, dont l’état maladif réclamait des soins constants et dévoués, absorbait à lui seul une partie considérable du temps, des préoccupations et des sollicitudes de sa tante. Elle n’était jamais lasse de le soigner, de le distraire, de le veiller, de l’encourager, et la source vive de ce dévouement qui jaillissait de son cœur était si riche et si abondante qu’elle ne faisait jamais défaut. Cécile ne lui donnait pas moins de peine, non par sa santé qui était aussi florissante que son intelligence était vive, mais par son caractère difficile et mécontent. Blanche, plus jeune que Cécile de quelques mois seulement, savait alléger la tâche de sa mère par sa tendresse et son aimable naturel. Elle était le charme, la joie de la maison. Il semblait qu’en sa présence la mauvaise humeur et l’ennui fussent forcés de se dissiper comme un brouillard sous les rayons d’un beau soleil. Sa mère aurait pu compter les jours par les jouissances que lui donnait l’heureux développement de cette fille bien-aimée. Une maladie violente la lui ravit en moins d’une semaine.
Après sa mère, personne n’avait aimé Blanche comme Alfred. Chétif, mélancolique et privé de tous les plaisirs de l’enfance, il n’avait compris les joies de la vie que par l’intermédiaire de sa petite cousine. C’était son sourire qui illuminait la chambre sombre où il devait souvent rester enfermé pendant de longues semaines. Sa présence le calmait et rendait ses souffrances tolérables; le son de sa voix et de son rire perlé était pour lui la plus harmonieuse des musiques. C’étaient ses petites mains adroites qui devaient, lorsqu’il avait la fièvre, préparer ses boissons pour qu’il les trouvât agréables et rafraîchissantes. En retour, il ne se lassait jamais de faire pour elle de jolis dessins et de merveilleuses découpures; jamais non plus de lui raconter des histoires gaies ou fantastiques qu’il s’amusait à composer pendant ses fréquentes insomnies. Alfred et Blanche étaient inséparables, et Madame Reynold était souvent obligée d’employer son autorité pour forcer celle–ci à faire l’exercice nécessaire à sa santé. Aussi lorsqu’un matin, après quelques jours d’angoisses, il fallut la coucher pâle et froide dans son petit cercueil, on craignit que la frêle constitution du jeune garçon ne pût pas supporter un choc aussi cruel. Il voulut qu’on le portât auprès de cette couche étroite où l’enfant reposait tout entourée de roses blanches, et portant sur ses traits délicats l’empreinte solennelle du monde invisible. Personne ne sut ce qui se passa en lui auprès de ce cercueil; mais de ce moment un grand changement s’opéra dans son caractère. D’irritable, il devint patient et doux; d’orgueilleux et exigeant qu’il était, humble et sans cesse préoccupé de la crainte de fatiguer ceux qui l’entouraient. Mais il ne parlait pas de ce qui se passait en lui, et même avec sa tante, il semblait éviter toute allusion à sa petite cousine.
Tels étaient donc les principaux habitants de cette maison, dans laquelle Rosa devait s’éveiller le lendemain, après de longues heures d’un sommeil profond et non interrompu. Plusieurs fois, pendant la soirée, Madame Reynold alla sans bruit écouter à la porte de sa chambre. Une respiration égale et lente l’avertit que son repos était aussi restaurant qu’on pouvait le désirer. Le messager était revenu, rapportant tous les remercîments de Madame Darcy. Il était arrivé au moment où Marthe et le jardinier rentraient dans une mortelle inquiétude, après une longue et infructueuse recherche. On avait ajouté que l’on viendrait reprendre la petite coupable le lendemain vers dix ou onze heures. Tout était donc pour le mieux, et jamais journée aventureuse n’aboutit à une nuit plus paisible et plus longue que celle dont Rosa s’éveilla enfin bien longtemps après que les petits oiseaux eurent salué le lever du soleil.
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