Rosa. Élise de Pressensé

Rosa - Élise de Pressensé


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même figure et ce même bonnet avec cette large garniture. Et pourtant elle a été une fois une petite fille comme moi. Peut-être qu’elle aimait aussi à sauter et à courir, et qu’on la grondait parce qu’elle ne pouvait pas se tenir tranquille sur sa chaise.

      Cette idée lui parut si comique qu’elle partit d’un grand éclat de rire et laissa tomber son ouvrage sur ses genoux. Madame Darcy leva les yeux d’un air fort surpris.

      –Qu’y a-t-il encore? demanda-t-elle, non sans impatience, car cette subite interruption du calme qui l’entourait lui avait fortement ébranlé les nerfs. Qu’avez-vous, Rosa ? Parlez ! répondez-moi.

      L’enfant devint toute rouge.

      –Je pensais… balbutia-t-elle.

      — Eh bien ! que pensiez-vous ?

      — Je pensais, reprit la petite fille, qui ne put s’empêcher de rire encore malgré son embarras, que vous aviez peut-être été une petite fille comme moi, et…

      — Je ne suis certainement pas née toute vieille comme vous me voyez. Qu’y a-t-il là de si amusant?

      Ma tante, est-ce que vous aimiez à jouer quand vous étiez petite?

      — J’aimais à jouer, mais j’aimais aussi à faire mon devoir, et mon ouvrage ne restait pas sur mes genoux, comme celui d’une petite fille de ma connaissance.

      –C’est qu’on ne vous donnait peut-être pas de si longues tâches.

      —Au contraire, on me faisait beaucoup travailler.

      Le silence recommença jusqu’au moment où Rosa montra sa tapisserie à sa tante en s’écriant : J’ai fini.

      Et là-dessus on croira peut être qu’elle s’empressa de plier son ouvrage et de le serrer; mais Rosa n’était point accoutumée à prendre tant de peine. Elle le jeta pêle-mêle avec ses pelotons de laine sur une chaise qui se trouvait à côté d’elle, et laissant à terre le panier qui devait le contenir, elle s’élança vers la porte pour profiter de sa liberté recouvrée. Sa tante la rappela, et, nous devons lui rendre cette justice, Rosa revint sans mauvaise humeur et sans impatience, et répara son oubli, puis elle courut à la cuisine.

      Marthe était assise et occupée à peler des pommes. L’enfant s’amusa un moment de la vitesse surprenante avec laquelle le long ruban de pelure se déroulait en spirale sous son couteau. Mais sa langue ne pouvait rester longtemps inactive.

      –Marthe, dit-elle tout à coup, avez-vous connu ma tante quand elle était à mon âge?

      –Non, vraiment; je n’étais pas née dans ce temps-là.

      –Elle m’a dit qu’elle était toujours sage et qu’elle travaillait beaucoup. Etiez-vous aussi toujours sage, Marthe?

      –Loin de là. J’ai donné du fil à retordre à ma pauvre mère. Que le bon Dieu lui rende là-haut tout ce que je lui ai dû dans ce monde! Je désobéissais souvent, et surtout j’étais très étourdie.

      –Ah! soupira Rosa d’un air d’intime satisfaction.

      –Imaginez-vous qu’un jour que ma mère voulait m’envoyer à l’école; je m’étais si bien cachée dans un arbre qu’on ne put pas me trouver. Aussi je fus bien battue quand je redescendis.

      –Oh! que ce devait être amusant! Vous saviez donc grimper sur les arbres? Quelle bonne idée vous aviez eue là, Marthe.

      –Ma mère ne pensa pas comme vous, et ce fut moins amusant pour moi d’être mise au lit pour le reste de la journée.

      Rosa prit un air grave.

      –On était bien sévère pour vous.

      –Je le méritais, car j’avais entendu ma mère m’appeler bien des fois sans vouloir répondre, et ce ne fut que l’odeur des choux au lard qu’elle cuisait pour le dîner qui me fit descendre de ma cachette.

      De ce moment, Rosa ne prêta plus qu’une attention distraite à la conversation; et profitant d’un moment où Marthe s’était levée pour remettre un panier de pommes dans l’office, elle se glissa dans le jardin et se mit à chercher de l’œil un arbre assez noueux pour qu’elle pût exécuter le plan qu’elle venait de concevoir.

      Rosa n’avait jamais de sa vie grimpé sur un arbre, car elle avait été élevée à Paris où l’on peut difficilement s’accorder ce divertissement quand on n’a d’autre promenade que les Tuileries ou les Champs-Elysées. Mais elle ne doutait pas d’y réussir du premier coup, et son esprit entreprenant goûtait fort une tentative de ce genre.

      Tout au fond du jardin, au milieu d’un fourré d’arbustes qui commençaient à bourgeonner, s’élevait un vieux pommier, plus grand que ne le sont d’ordinaire les arbres de son espèce, et dont les branches noueuses s’entrelaçaient, puis se séparaient de manière à former plus d’un siège commode, mais difficile à atteindre. Ce fut lui qui fixa tout d’abord le choix de Rosa comme répondant le mieux à l’idée qu’elle s’était faite. Les nœuds énormes du tronc lui promettaient une ascension praticable. Après quelques efforts infructueux, elle réussit à se percher tant bien que mal dans une espèce de nid que formaient les grosses branches à leur séparation d’avec le tronc.

      Mais ce n’était que le premier pas, et bien qu’on dise souvent que c’est celui-là seul qui coûte, le plus difficile restait encore à faire. Rosa ne se laissa point décourager par les obstacles. Elle travailla des pieds et des mains, tant et si bien que, quelques minutes après sa première escalade, on aurait pu la voir perchée sur une branche très élevée, les pieds pendants et se retenant avec les deux mains et de toute sa force à un rameau qui lui offrait un point d’appui très nécessaire. Ce qui gâtait un peu son plaisir, c’était que personne ne fût là pour admirer l’adresse qu’elle avait déployée. Elle éprouvait bien aussi une légère inquiétude en songeant qu’il faudrait redescendre, mais après avoir si bien réussi à monter elle se sentait une grande confiance en elle-même. Cependant le plaisir de cette situation émouvante, si grand dans sa nouveauté, commençait à lui paraître un peu monotone. Déjà elle mesurait de l’œil l’espace qu’il lui fallait franchir pour trouver où poser le pied, et se demandait s’il valait mieux descendre avec prudence et lenteur, ou bien se lancer aveuglément et sans précaution dans cette route aérienne, lorsqu’elle aperçut Marthe qui traversait le jardin dans la direction du poulailler. Elle ne résista pas à l’envie de lui faire admirer sa hardiesse. L’appeler, faire un mouvement imprudent, lâcher prise, tomber de branche en branche avec un cri perçant, et rouler quelques pas plus loin au pied de l’arbre, tout cela fut l’affaire d’un clin d’œil. Marthe avait entendu son nom sans pouvoir comprendre d’où il partait, car elle était loin de soupçonner chez Rosa des goûts aussi aventureux. Le cri qui suivit lui donna une si vive émotion qu’elle laissa tomber toute la provision de blé que contenait son tablier et s’élança vers le point d’où il partait. Lorsqu’elle arriva, Rosa s’était déjà relevée. Elle essayait de rire de sa mésaventure, mais elle ne put y réussir, ni même contenir les sanglots nerveux causés par l’émotion de sa chute. Elle avait le visage et les mains tellement ensanglantés, que Marthe crut au premier moment le mal beaucoup plus grand qu’il ne l’était en réalité. La brave fille, tout effrayée, prit Rosa dans ses bras, la porta à la maison, la lava avec de l’eau fraîche, et ce ne fut qu’après cette opération qu’elle découvrit que les légères blessures de l’enfant étaient des égratignures plutôt qu’autre chose. Après s’être assurée avec une inquiète sollicitude qu’elle pouvait marcher, remuer tous ses membres et que sa tête n’avait reçu aucune contusion dangereuse, elle reprit un air sévère pour lui reprocher son étourderie, puis elle la fit monter dans sa chambre, la déshabilla sans ajouter une parole, et la mit au lit, au grand désappointement de Rosa, qui trouvait un peu dur de se coucher si longtemps avant le soleil, mais qu’ n’osa faire aucune résistance, ni même la moindre objection. En ôtant les vêtements de la petite fille Marthe


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