Trois Roses dans la rue Vivienne. Gustave Claudin

Trois Roses dans la rue Vivienne - Gustave Claudin


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par le vertueux M. de Montyon, c’est-à-dire une médaille d’or de trois mille francs. C’est un spectacle très-touchant que de voir apparaître l’élu. Presque toujours c’est un pauvre vieillard vaincu et courbé par le travail et les années, qui vient, timide et tremblant, remercier son apologiste d’avoir discerné son mérite dans le coin obscur et ignoré où il avait langui pendant si longtemps.

      Le nom du couronné est publié par les journaux. Tout le monde le lit et personne ne le retient. L’élu s’en retourne clans sa province, il reçoit les félicitations de ses voisins, puis il rentre dans sa profonde obscurité.

      Voilà bien en réalité tout ce que notre société fait pour la vertu. J’ai entendu dire, par des esprits très-droits, que c’était assez. Je le veux bien, mais je me demanderai pourquoi, quand on n’accorde qu’une médaille de trois mille francs à une créature du bon Dieu qui a mérité le paradis, on donne chaque année une somme de cent mille francs au cheval de course qui arrive le premier dans le prix de Paris. J’avoue qu’entre ce superbe animal et l’être vertueux en question, il n’y a pas de comparaison à établir. J’avoue enfin qu’en présence d’une contradiction aussi choquante, aussi inique, je me surprends à couvrir de mon indulgence la fille légère et privée de conseils, qui, interpellée par le vice qui lui donne des diamants tout de suite, et la vertu qui lui promet une médaille de trois mille francs en échange de trente ans de dévouement et d’abnégation, sourit au vice et envoie promener la vertu.

      On m’objectera que la vertu est austère, et que les récompenses qu’elle peut nous valoir doivent demeurer austères comme elle. Je serais de cet avis si nous avions les mœurs farouches de la Sparte de Lycurgue, si nous mangions du brouet noir, s’il fallait un tombereau attelé de deux chevaux pour transporter une somme de quarante sous. Mais notre milieu social n’a rien de commun avec ce rigorisme. Je crois donc pouvoir affirmer que rien ne serait perturbé, si à l’avenir on donnait un peu moins au cheval vainqueur dans le prix de Paris, et un peu plus à l’élu du prix Montyon; les chevaux n’en courraient pas moins vite dans l’arène et beaucoup de jeunes filles feraient moins de faux pas dans la vie.

      Si je suis dans l’erreur, je serais heureux qu’un contradicteur voulût bien me le prouver. Il me rendrait un service dont je le remercie d’avance.

      Le roman, c’est son but devrait donc, partout et toujours, plaider la cause de la vertu, et non pas chanter avec autant de fracas et de bonne humeur les prouesses, les exploits et les gentillesses de ceux qui la trahissent.

      C’est pour cela que dans les Trois Roses de la rue Vivienne, j’ai cru devoir protester contre le charme et le prestige qu’on accorde à de fausses idoles qu’il serait temps de renverser de leur piédestal, puisque j’ai reproché à la jeunesse du jour d’avoir perdu toute son originalité, et d’avoir substitué aux élégances spirituelles de nos pères des distractions d’un goût suspect et en réalité peu récréatives. Soyons nous, et n’imitons personne, et persuadons-nous bien de cette vérité que les ridicules que nous croyons éviter sont infiniment moins grands que ceux dans lesquels il est de mode de tomber. Vous êtes de formes opulentes, ô madame! ne cherchez pas à maigrir, et ne vous condamnez pas au plus sévère et au plus dur des régimes pour peser quelques grammes de moins. Et surtout souvenez-vous que si vous avez moins de poids, vous avez plus de rides. Le remède est donc pire que le mal.

      En réalité, je ne suis pas un moraliste en colère, et ce que j’ai écrit, loin d’être hostile aux jeunes gens, n’est au contraire qu’un témoignage de sympathie. Pour me résumer, je demande qu’un nouveau comte d’Orsay apparaisse à l’horizon, et vienne se poser parmi nous en arbitre de l’élégance. Il est temps qu’il arrive si Paris veut conserver le privilége de donner le ton au monde civilisé. Venez, prince, sortez du nuage qui nous dérobe votre distinction. Au nom du bon goût, délivrez-nous des ordures qu’on persiste à prendre pour des perles. Délivrez-nous surtout de ces monstres prétentieux qu’on rencontre partout, et que notre mauvais génie semble avoir déchaînés pour gâter nos fêtes, assombrir nos promenades et offenser nos regards. Vite à l’œuvre, ô mon prince, car le mauvais goût l’emporterait si vous tardiez à lui porter ce coup fatal que saint Michel sut trouver pour le démon.

      Ainsi soit-il!

       Table des matières

      Un soir du mois de septembre, le conseil municipal de Jouarre était assemblé à la mairie. A la fin d’une séance fort calme, pendant laquelle les braves gens qui composaient cette assemblée avaient disserté très-longuement sur les affaires de la commune, le maire prit la parole et informa ses collègues qu’il avait besoin d’un crédit pour faire élever les trois petits enfants d’une pauvre sourde et muette que la commune avait été contrainte d’adopter. Le conseil municipal murmura un peu, mais bientôt, fléchi par l’infortune de cette pauvresse, il céda et alloua le crédit demandé.

      Avant d’aller plus loin, il faut dire quelques mots de Jouarre, ainsi que la Gritte, nom donné à cette sourde et muette.

      Jouarre est un bourg du département de Seine-et-Marne, situé au sommet d’une petite montagne que les habitants appellent le Mont-Blanc de la Brie; on le trouve sur la route départementale qui conduit de la Ferté-Sous-Jouarre, — où l’on fabrique des meules à moulins qui ressemblent à de grands fromages, à Coulommiers, où l’on fabrique des fromages de Brie qui ressemblent à de petites meules à moulin. Les savants prétendent que Jouarre a pour étymologie Jovis ara (autel de Jupiter), parce qu’en effet Jupiter y eut un temple pendant la domination romaine. Avant la révolution de 1789, il y avait à Jouarre une célèbre abbaye qui eut pour abbesses des princesses de sang royal. L’abbaye a disparu comme l’autel de Jupiter.

      Un jour, les habitants de ce grand village virent circuler dans les rues une fille de seize ans, sourde et muette. Elle était tombée là comme un aérolythe. Le maire, le juge de paix, en un mot toutes les autorités compétentes se livrèrent aux investigations les plus minutieuses sans pouvoir découvrir d’où venait cette pauvre créature. Comme elle était muette, il n’y avait point à la questionner. Les commères et les enfants, ignorant son nom, la nommèrent la Gritte; pourquoi? On ne pourrait le dire.

      La Gritte avait la beauté du diable. Ses dents étaient blanches, ses cheveux d’un noir d’ébène; sa peau, légèrement basanée. Ajoutez à cela une taille mince et des épaules fort appétissantes. Elle était douce, et s’attachait tout de suite à celui qui lui tendait la main. Un médecin chargé de l’examiner assura qu’elle était muette et sourde de naissance, mais qu’elle n’était point privée de raison. Selon lui, la pauvre fille devait avoir été abandonnée dans ces parages par une troupe de Bohémiens.

      Tout d’abord, on la repoussa, dans la prévision qu’elle s’en irait chercher ailleurs son existence; mais ni les rebuffades ni les menaces ne la découragèrent. Elle s’incrusta pour ainsi dire dans le village, demandant du pain quand elle avait faim, et se cachant la nuit, sans qu’on pût découvrir où elle allait chercher un abri.

      Le hasard voulut que la Gritte trouvât l’occasion de désarmer les mauvaises volontés. Un soir d’hiver, un an après son apparition dans le pays, un grand incendie éclata. Les pompiers et les habitants accoururent pour combattre le fléau, qui prit, malgré leur activité, des proportions considérables, gagnant les demeures et les chaumières d’alentour. C’était un désordre indescriptible, pendant lequel les plus énergiques perdirent la tête.

      Tandis qu’on délibérait pour fixer la part du feu, on vit la Gritte, les cheveux en partie brûlés, et ses vêtements en lambeaux, rapporter dans ses bras deux jeunes enfants qu’elle était allée chercher dans leur berceau et arracher à une mort certaine. La pauvre fille, en rapportant ces petits êtres à leur mère, était en proie à une émotion qu’elle traduisait par des cris rauques et inarticulés. La Gritte avait accompli cet exploit sans avoir conscience du danger. Elle s’était jetée dans les flammes, de la même


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