Toutes les Oeuvres Majeures de Cicéron. Ciceron
adversaires, serait honteux ou funeste ; combien, au contraire, ce que vous demandez ou ce que vous avez fait est utile et honorable. L’orateur fera aussi cette réflexion : ce qui nous est cher dans la loi, ce n’est point seulement les expressions, marques faibles et obscures de la volonté, mais l’importance des choses, mais la sagesse et la prudence du législateur. Définissez ensuite la loi ; montrez qu’elle ne consiste pas dans les mots, mais dans le sens, et que le juge qui s’attache à l’esprit et non à la lettre, n’en est pas moins fidèle à la loi. Quelle indignité de punir du même supplice le scélérat dont l’audace criminelle a enfreint la loi, et celui que des motifs honnêtes, ou une nécessité insurmontable, ont écarté, non pas du sens, mais de la lettre de la loi ! C’est par ces raisons et d’autres semblables que l’orateur prouvera qu’il faut admettre des exceptions, les admettre pour la loi dont il s’agit, et admettre celle qu’il demande.
Si rien n’est plus utile, comme nous l’avons dit, pour celui qui défend la lettre, que de répandre du doute sur l’équité dont se pare son adversaire, il ne l’est pas moins, pour ce dernier, d’appeler à son secours le texte même, ou d’y montrer quelque ambiguïté, de justifier celui des deux sens qui est le plus avantageux à sa cause, ou de tourner en sa faveur, par la définition, l’expression la plus défavorable, ou enfin de tirer du texte, par induction, ce qui ne s’y trouve pas expressément : nous parlerons plus bas de ce moyen de preuve. Lorsqu’on peut ainsi tirer de la lettre même un moyen de défense, quelque faible qu’il soit, pourvu que la cause soit juste, ce moyen sera nécessairement très avantageux, puisqu’en renversant le point d’appui de l’adversaire, on ôte à ses preuves tout leur nerf et toute leur vivacité. L’un et l’autre pourront puiser leurs lieux communs dans la question accessoire. Celui qui défend la lettre pourra dire encore qu’il ne faut point interpréter la loi suivant l’intérêt du coupable ; que rien n’est plus sacré que la loi. Son adversaire répondra que la loi ne consiste point dans les mots, mais bien dans l’intention du législateur et dans l’intérêt général ; qu’il serait souverainement injuste de se prévaloir des expressions du législateur contre l’équité dont il avait l’intention de prendre la défense.
XLIX. Quand deux ou plusieurs lois semblent contradictoires, le point de discussion naît de cette opposition ; par exemple, une loi porte : LE MEURTRIER D’UN TYRAN RECEVRA LE MÊME PRIX QUE LES VAINQUEURS DES JEUX OLYMPIQUES, ET LE MAGISTRAT LUI ACCORDERA CE QU’IL VOUDRA DEMANDER. Une autre loi ordonne, qu’APRÉS LA MORT D’UN TYRAN, LE MAGISTRAT FASSE MOURIR SES CINQ PLUS PROCHES PARENTS. « Thébé, épouse d’Alexandre, tyran de Phères, égorge, pendant la nuit, son mari qui reposait à ses côtés. Elle demande pour récompense le fils qu’elle a eu du tyran. Quelques citoyens prétendent que la loi veut la mort de l’enfant. Tel est le point sur lequel il faut prononcer. » Les mêmes lieux communs, les mêmes préceptes conviennent ici à chacune des deux parties, puisqu’il s’agit, pour l’une et pour l’autre, d’établir la loi favorable à sa cause, et d’infirmer celle qui lui est contraire. Il faut d’abord les comparer, examiner celle qui traite de plus grands intérêts, je veux dire d’objets plus utiles, plus honnêtes et plus nécessaires. On conclut alors que si l’on ne peut conserver deux ou plusieurs lois qui se contredisent, il faut donner la préférence à celle dont les dispositions embrassent de plus grands intérêts. On recherche ensuite quelle est la loi la plus récente : c’est ordinairement la plus importante et celle qu’il faut préférer. On distinguera la loi qui permet, et celle qui ordonne ; car on est obligé de faire ce qui est ordonné expressément ; on est plus libre à l’égard de ce qui est permis. Puis on examine laquelle des deux punit la désobéissance, ou celle qui la punit avec le plus de sévérité ; car il faut conserver de préférence la loi qu’on a environnée de plus de précautions. Observez ensuite laquelle ordonne, et laquelle défend ; car la loi prohibitive ne semble, le plus souvent, qu’une exception de la loi impérative. Après quoi l’orateur s’arrête à la loi générale et à la loi particulière ; à celle qui s’applique à plusieurs circonstances ; à celle qui ne s’applique qu’à un seul cas : on voit, en effet, que la loi particulière et celle qui ne parle que d’un seul cas, tiennent de plus près à la cause, et peuvent être plus favorables au jugement. On examine encore celle qui ordonne sur-le-champ, et celle qui accorde quelques délais et quelques retards ; car il faut obéir avant tout à ce qui ne souffre point de délais. Tâchez ensuite de paraître fidèle à la lettre de votre loi, tandis que votre adversaire est obligé de choisir entre deux sens, ou de recourir à l’analogie, à la définition : une loi dont le sens est clair, a bien plus de poids et d’autorité. Montrez aussi l’accord de la lettre et de l’esprit dans la loi que vous invoquez ; essayez de ramener au sens de votre loi celle dont s’appuie votre adversaire, et de montrer, si la cause le permet, qu’elles ne sont point contradictoires ; que, dans votre sens, on peut les conserver l’une et l’autre, tandis qu’en adoptant celui de votre adversaire, il faut nécessairement ne point tenir compte de l’un des deux. Pour les lieux communs, vous n’oublierez point de voir ceux que la cause elle-même peut vous fournir, et, en développant les lieux féconds de l’honneur et de l’intérêt, vous montrerez surtout, par l’amplification, à laquelle des deux lois on doit obéir de préférence.
L. C’est une question d’analogie quand, de ce qui se trouve dans la loi, on déduit ce qui ne s’y trouve pas. LA LOI MET UN FURIEUX ET TOUS SES BIENS SOUS LA TUTELLE DE SES PARENTS DU CÔTÉ PATERNEL, ET DE SES PARENTS DU CÔTÉ MATERNEL. Une autre loi PERMET AU PÈRE DE FAMILLE DE LÉGUER A QUI IL VOUDRA SES ESCLAVES ET SES BIENS. Enfin, une troisième porte que, SI UN PÈRE DE FAMILLE MEURT INTESTAT, SES, ESCLAVES ET SES BIENS APPARTIENNENT A SES PARENTS DU CÔTÉ PATERNEL, ET A SES PARENTS DU CÔTÉ MATERNEL. « Un homme est condamné pour parricide ; aussitôt, comme il n’avait pu s’enfuir, on lui met des entraves, on lui enveloppe la tête dans un sac de cuir, et on le mène en prison, jusqu’à ce qu’on ait préparé le sac où l’on doit l’enfermer pour l’abandonner à la merci des flots. Cependant quelques amis lui apportent des tablettes dans la prison, amènent des témoins, et écrivent les noms de ceux qu’il institue ses héritiers. On signe le testament, et le coupable est conduit au supplice. Les agnats disputent la succession à ceux que le testament a nommés héritiers. » On ne peut ici produire aucune loi qui ôte formellement à ceux qui sont en prison le pouvoir de tester. Il faut donc par analogie chercher, et d’après les lois qui ont condamné le parricide, et d’après celles qui prononcent sur la validité des testaments, si le coupable avait ou non le pouvoir de tester.
Voici à peu près les lieux communs qu’offre ce genre de cause et de raisonnement. L’orateur commence par louer et établir l’écrit qu’il produit ; il compare ensuite ce qui est douteux dans la question présente avec ce qui est certain, de manière à faire regarder le douteux et le certain comme absolument semblables. Il s’étonne qu’en regardant l’un comme juste, on rejette l’autre qui l’est bien davantage, ou, du moins, qui l’est autant. Si le législateur n’en fait point mention, ajoute-t-il, c’est qu’il a pensé qu’après ce qu’il avait écrit sur un point, le doute n’était plus permis sur l’autre. D’ailleurs, les lois ne sont-elles pas remplies d’omissions auxquelles on ne s’arrête point, parce qu’on peut, d’après ce qui est écrit, suppléer ce qui manque ? Démontrez ensuite la justice de votre cause, comme dans la question juridiciaire absolue.
L’adversaire, de son côté, pour chercher à affaiblir les rapports que l’on veut établir, prouvera que les deux termes comparés diffèrent de genre, de nature, d’essence, d’étendue ; qu’ils ne sont applicables, ni pour le temps, ni pour le lieu, ni pour la personne, ni pour l’opinion. L’orateur marquera le rang et la place qu’on doit assigner à chacun de ces termes ; il en fera sentir la différence, et démontrera ainsi qu’on ne doit point avoir la même idée de l’un et de l’autre. Veut-il employer aussi l’analogie, et en a-t-il le moyen, qu’il se serve de celles que nous avons indiquées. S’il ne le peut, il affirmera qu’on doit s’en tenir à ce qui est écrit ; que toutes les lois seront exposées à des altérations, si l’on veut admettre les rapports proposés. On ne trouvera presque rien qui ne ressemble à quelque autre chose ; parmi tant d’objets, il y a cependant des lois particulières pour chacun, et l’on peut trouver partout des rapports