Toutes les Oeuvres Majeures de Cicéron. Ciceron
que l’accusateur aura traités de manière qu’on puisse les rétorquer et les tourner contre lui, (et tels sont les trois derniers qu’il a employés,) suivez, pour les réfuter, une marche contraire à la sienne. La plus solide raison que l’accusateur ait à vous opposer, c’est le désordre général,que causerait le pouvoir de punir un homme qui n’aurait point été condamné : répondez, pour l’affaiblir, que le crime était tel qu’un homme, je ne dis pas vertueux, mais seulement un homme libre, ne devait point le souffrir ; si évident, que le coupable même n’osait essayer de le nier ; tel d’ailleurs, que c’était pour celui qui l’a puni plus que pour tout autre un devoir de le faire ; que la justice et l’honneur exigeaient plutôt qu’il fût puni comme il l’a été, et par celui qui l’a puni, que porté devant les tribunaux ; enfin qu’il a été si public qu’il n’était pas besoin de jugement. Ici vous prouverez, par des raisonnements et des comparaisons, qu’il y a plusieurs crimes si atroces et dont l’évidence est si frappante, qu’il n’est pas nécessaire, qu’il n’est pas même utile, d’attendre que les juges aient prononcé.
L’accusateur aura un lieu commun contre l’accusé qui, ne pouvant nier le délit qu’on lui impute, ose fonder quelque espérance sur le renversement de toute justice. Il démontrera l’utilité des tribunaux ; il plaindra le sort d’un malheureux qui subit le supplice sans avoir été condamné ; il exhalera son indignation contre l’audace et la cruauté de celui qui s’est fait l’exécuteur de ce supplice. Le défendeur s’indignera aussi contre l’audacieux qu’il a puni, et tachera de nous attendrir sur son propre sort. Il ne faut point juger de la chose par le nom qu’on lui donne, mais considérer l’intention de l’accusé, les motifs, le temps de l’exécution. Quels maux n’enfanterait point l’injustice ou le crime, si celui qu’on attaque dans son honneur, dans ses parents, dans ses enfants, enfin dans tout ce qui peut ou doit être cher à tous les hommes, n’avait puni un attentat si énorme et si public !
XXIX. Le recours rejette sur quelque autre personne ou sur quelque chose l’accusation intentée contre nous. Il y en a deux espèces ; car c’est tantôt la cause et tantôt le fait qu’on rejette. L’exemple suivant fera connaître la première : « Les Rhodiens ont nommé des députés pour se rendre à Athènes ; les trésoriers ne leur ont point remis d’argent comme ils le devaient, et les députés ne sont point partis. » On les cite en justice. « Ils devaient partir, » voilà l’accusation. Ils la repoussent, en disant « qu’ils ne le devaient pas. » La question est « Le devaient-ils ? » Ils donnent pour raison « que le trésorier ne leur a point remis l’argent qu’ils devaient recevoir du trésor public. « On les réfute, en disant : « Vous n’en deviez pas moins remplir les fonctions dont l’État vous avait chargés. » Il s’agit de décider « si des députés qui ne reçoivent pas du trésor public, les frais de voyage qui leur étaient dus, n’en sont pas moins tenus de remplir leur mission. » Examinez encore ici, comme dans les autres causes, ce que vous fournit la question de conjecture ou toute autre question. L’alternative et la récrimination vous offriront surtout des secours.
L’accusateur justifiera, s’il le peut, celui sur qui l’accusé rejette sa faute ; sinon il affirmera qu’elle est étrangère à ce dernier, et personnelle à celui qu’il accuse. D’ailleurs, chacun doit remplir ses devoirs ; et de ce que l’un est coupable, ce n’est pas une raison pour les autres de le devenir. Ensuite, celui sur qui vous rejetez votre cause est -il coupable, accusez-le à part comme je vous accuse, et ne confondez pas votre défense et son accusation.
Quand le défenseur aura traité toutes les questions incidentes, voici la marche qu’il suivra pour le recours. D’abord, il démontrera quel est l’auteur de la faute, et, outre que ce n’est point lui, qu’il n’a pas pu, qu’il n’a pas dû agir comme le prétend l’accusateur. Il ne l’a pas pu, ce qu’il prouvera par les raisons d’intérêt qui embrassent aussi la nécessité. Il ne l’a pas dû, l’honneur s’y opposait. Nous développerons mieux ces deux points, en traitant du genre délibératif. L’accusé a fait tout ce qui était en son pouvoir, et s’il n’a pas fait ce qu’il devait, la faute tout entière retombe sur un autre. Mais, en chargeant ce dernier, n’oubliez point de faire voir tout le zèle et toute la bonne volonté de l’accusé ; prouvez-le par l’empressement qu’on lui a toujours connu pour ses devoirs, par ses discours, par ses actions passées. D’ailleurs, il était aussi utile à ses intérêts de faire ce qu’on lui reproche de n’avoir pas fait, que dommageable de ne le pas faire ; et cette conduite s’accordait bien mieux avec le reste de sa vie, que cette négligence involontaire dont il faut accuser tout antre que lui.
XXX. Si l’on rejette la faute, non sur un homme, mais sur une chose ; si, pour nous servir du même exemple,on répond « que c’est la mort du trésorier qui a empêché de remettre l’argent aux députés, » en retranchant la récrimination, on peut se servir également des autres lieux communs, et prendre dans la concession ou aveu du crime, dont nous traiterons plus bas, ce qu’elle offre de favorable. Les lieux communs sont pour l’une et l’autre à peu près les mêmes que dans les précédentes questions accessoires. Quelques-uns néanmoins sont particuliers à celle-ci comme, l’indignation pour l’accusateur ; et, pour le défendeur, l’injustice qu’il y aurait à le punir d’une faute dont un autre est coupable.
Employer le recours pour rejeter le fait lui-même, c’est nier que l’action dont on nous accuse dépendît de nous en aucune manière, et affirmer que ce n’est point à nous qu’il faut attribuer ce qu’elle peut avoir de criminel. En voici un exemple : « Autrefois, lors de la conclusion d’un traité avec les Samnites, un jeune patricien fut chargé par le général de tenir la victime. Le sénat refusa de ratifier ce traité ; on livra aux ennemis le général, et un sénateur fut d’avis qu’il fallait aussi livrer celui qui avait tenu la victime. » - « » Il faut le livrer, » dit l’accusateur. « Il ne le faut pas, » répond le défenseur. « Le faut-il ? » voilà la question. « Il n’y a point de ma faute, dit le jeune homme pour se justifier ; mon âge et ma condition privée ne me donnaient aucun pouvoir, surtout en présence du général qui, revêtu d’une magistrature et d’une autorité suprême, devait juger si le traité était honorable ou non. » On le réfute ainsi : « Puisque vous avez pris part aux cérémonies religieuses qui consacrent un traité honteux, vous devez être livré. » - Voici le point à juger. « Un particulier, sans nul caractère public, qui, par l’ordre du général, a pris part au traité, et à toutes les cérémonies dont fut accompagné cet acte religieux, doit-il ou non être livré aux ennemis ? » - Ce qui distingue ces deux genres de cause, c’est que dans le premier, l’accusé accorde qu’il aurait dû faire ce que veut l’accusateur ; mais, sans employer la concession, il attribue à quelque chose ou à quelqu’un la cause qui a enchaîné sa volonté : nous montrerons bientôt que la concession emploie (les moyens plus victorieux. Dans le second, au contraire, il ne doit pas accuser un autre, mais démontrer que le fait n’est pas ou n’était pas en sou pouvoir, et ne le regardait nullement. Alors il arrive souvent que l’accusateur intente son accusation par le recours ; comme si, par exemple, « on mettait en justice un citoyen qui, pendant sa préture, quoique les consuls fussent à Rome, aurait appelé le peuple aux armes pour quelque expédition. » En effet, de même que dans l’exemple précédent, l’accusé déclarait que le fait n’était point en sa puissance, et que son devoir ne lui prescrivait pas de l’éviter : ainsi, dans la cause présente, l’accusateur appuie son accusation, en démontrant que le fait n’était point du ressort de celui qu’il accuse, et que son devoir ne lui prescrivait point de s’en charger. Chacune des deux parties doit chercher, par tout ce que fournit l’honneur et l’intérêt, par des exemples, des indices et des raisonnements, à établir ses devoirs, ses droits, son pouvoir, et examiner si sur tous ces points chacun a exercé des fonctions qui lui appartiennent. La nature du fait indiquera s’il faut employer les lieux communs de l’indignation ou du pathétique.
XXXI. La concession ou l’aveu du crime a lieu lorsque l’accusé, sans se justifier sur le fait, supplie qu’on lui pardonne. Il emploie le défaut d’intention et la déprécation. Par le défaut d’intention, il ne cherche point à se justifier du fait, mais de l’intention ; et alors il peut alléguer pour